Je n’ai traité jusqu’ici que de la ville comme forme et très peu encore de ses habitants. Citons, encore une fois, une remarque du Dictionnaire :
Sans se perdre dans les arcanes du Da sein heideggerien, le terme [d’habitant] a une connotation somme toute active qu’on aurait tort de négliger. L’habitant d’une ville en est toujours d’une façon ou d’une autre l’acteur, même si au coin d’une terrasse, sirotant un verre, il affectionne d’en être le spectateur (55).
Avant de s’intéresser enfin à l’art dans la ville, intéressons-nous donc d’abord à l’habitant, l’homme de la rue, acteur-spectateur, mais aussi promeneur, flâneur, « usager », manifestant…
Si l’on peut traverser la ville rapidement, en voiture, ou sans même la voir, en métro, ce n’est que par la marche qu’elle se donne véritablement. Qu’est ce que marcher en ville ? Michel de Certeau en fait un « espace d’énonciation », véritable fondement de la relation à l’espace urbain et aux autres habitants :
L’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (le speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés. […] Il a en effet une triple fonction « énonciative » : c’est un procès d’appropriation du système topographique par le piéton (de même que le locuteur s’approprie et assume la langue) : c’est une réalisation spatiale du lieu (de même que l’acte de parler est une réalisation sonore de la langue) ; enfin il implique des relations entre des positions différenciées, c’est-à-dire des « contrats » pragmatiques sous la forme de mouvements (de même que l’énonciation verbale est « allocution », « implante l’autre en face » du locuteur et met en jeu des contrats entre colocuteurs) (56).
Le piéton fabrique l’espace : il l’actualise, le fait sien, par des détours, des raccourcis, des changements de vitesse… Et tout comme, dans l’énonciation, on peut distinguer des niveaux de langue, la marche en ville se décline sur plusieurs modes.
55 Dictionnaire, « Habitant », p. 136-137
56 Michel de Certeau, L’invention du quotidien I, p. 148
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