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1.3.2 Art et promotion

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La cooptation de l’art urbain par les systèmes marchands et institutionnels est-elle logique ou tragique ? L’effet de mode dont bénéficient le graffiti et le street art en général atteste de leur popularité : le public en redemande. Héritier de Dada et du Pop Art, l’art urbain n’est pas un art sacralisé ; pourtant, il descend aussi du Land Art et, théoriquement, n’existe qu’in situ, avec un rapport problématique à la photographie et à la reproduction. Le rapport à la publicité est lui aussi délicat : le street art peut-il être utilisé comme publicité pour un artiste, comme stratégie d’autopromotion ? Que penser d’une publicité qui reprend les codes du street art jusqu’à ses modes d’exposition, surtout si elle a été conçue par un artiste reconnu ?

C’est le cas de la campagne Vespa, conçue et exécutée par l’artiste canadien fauxreel. En 2008, à Toronto puis dans d’autres villes du Canada, des personnages étranges apparaissent sur les murs : corps d’homme, tête de scooter. Le guidon fait songer aux bois d’un cerf mécanique. On est en plein dans le street art : il s’agit d’une œuvre anonyme, dans laquelle on pourrait lire, au choix, une critique de la mécanisation et de la consommation ou le fantasme d’une créature hybride, mi-homme mi-machine [20]. A un détail près : cette iconographie apparaît également sur les vitrines des boutiques Vespa. La blogosphère s’empare de l’affaire et démasque l’auteur de cette campagne publicitaire sauvage, un street artist reconnu qui travaille sous le nom de fauxreel.

Figure 20 L’ART DE L’ESPACE PUBLIC  Esthétiques et politiques de l’’art urbain

20. fauxreel, campagne Vespa, Toronto, 2008

Dans son « manifeste » d’artiste, disponible sur son site Internet, il déclare vouloir « questionner la notion d’espace “public” », « exposer les exclusions inscrites sur les affiches publicitaires, dans l’architecture et dans la géographie urbaine » et « reconquérir ces espaces au nom des habitants (27)».

Interrogé sur la campagne Vespa par le site Unurth, il explique qu’il a approché le projet « pour soulever des questions sur le rôle de la publicité dans l’espace public, en examinant les zones d’ombre entre street art, graffiti et publicité tout en essayant de créer des liens entre un produit et les identités individuelles (28)».

Son discours est construit, éloquent, plein de « questionnements », et fondamentalement contradictoire : la « reconquête » de l’espace public ne peut être publicitaire. Au-delà de la question épineuse du désintéressement esthétique, le problème essentiel posé par cette campagne est le fait qu’elle soit absolument illégale : si les artistes sont à peu près tolérés parce qu’ils n’ont rien à vendre et tout à donner, en revanche les publicitaires sont censés louer des espaces autorisés. Le problème ne réside donc pas tant dans l’intention artistique ou dans la collaboration de l’artiste avec une marque que dans l’invasion d’un espace réservé à l’expression publique pour promouvoir un produit commercial, en se déguisant en street art.

Les artistes, s’étonne Krzysztof Wodiczko dans son entretien avec Pataphysics, semblent avoir droit à une liberté d’expression plus grande que d’autres catégories sociales. Hrag Vartanian, du blog d’art contemporain Hyperallergic, formule ainsi le cœur du problème : « De quel droit un artiste peut-il occuper l’espace public si ce n’est pour participer au débat public ou pour communiquer en son nom propre (29)? »

Les exemples de campagne de street marketing sont nombreux ; elles ne sont toutefois pas toujours illégales, puisque les propriétaires des murs peuvent être rétribués par l’annonceur. Cependant, outre que les passants ne peuvent connaître ce fait a priori, il s’agit de toute façon d’un débordement de l’espace déjà alloué à la publicité et de l’envahissement d’un espace réservé au dialogue par une logique commerciale. L’art a toujours été récupéré par la publicité ; le véritable problème est bien quand celle-ci s’en approprie non seulement les codes mais les prérogatives, à savoir l’occupation de l’espace public.

27 Voir www.fauxreel.ca (ma traduction)
28 Voir http://unurth.com/275910/The-Fauxreel-Interview (ma traduction)
29 Voir http://hyperallergic.com/3415/street-art-politics-commercialization (ma traduction)

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