§1 – Le principe de congruence
A/ La définition de la prestation d’assurance en unités de comptes
Dans un contrat d’assurance vie multisupport, autrement appelée assurance vie à capital
variable, “le capital ou la rente garantis [sont] exprimés en unités de compte constituées de
valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant
sur une liste dressée par décret en Conseil d’Etat” (article L 131-1 du Code des assurances).
L’article R131-1 prévoit que “[…] le contrat peut se référer […] à une seule unité de compte”,
ce qui a été la pratique originellement, jusqu’à ce que les contrats monosupports montrent
leurs limites avec l’explosion de la bulle Internet dans les années 2000, la chute des valeurs de
référence entrainant, dans de nombreux cas, celle la valeur de la prestation délivrée. L’autre
branche de l’alternative est celle aujourd’hui pratiquée, savoir la référence “[…] à la
combinaison de plusieurs unités de compte. Dans ce dernier cas, la prime doit être ventilée
entre les différentes unités de compte conformément aux dispositions du contrat. […]”. Dans
la pratique, une moyenne entre une cinquantaine et une centaine de supports est offerte par
contrat.
B/ La nécessaire possession des actifs représentatifs au patrimoine de l’assureur
En gage de la solvabilité de l’entreprise d’assurance au profit des bénéficiaires, le Code a posé
le “principe de congruence”(22) (article R 332-5) en vertu duquel elle doit posséder à tout
moment la valeur à laquelle l’unité de compte est adossée. Il détient les actifs en
représentation du contrat. En l’occurrence les valeurs de référence inscrites à l’actif du bilan de
l’assureur doivent coïncider très exactement avec les unités de compte entre lesquelles il aura
été arbitré au contrat : elles doivent être représentées à l’actif de l’entreprise d’assurance.
Cette règle énonce que l’assureur doit « investir les « primes » (c’est-à-dire les sommes qui
lui sont confiées) sur des instruments financiers « entrant dans la composition de cette valeur
de référence (c’est-à-dire l’unité de compte) et dans les proportions fixées par ladite
composition.»(23). Ces actifs sont cantonnés, c’est à dire affectés spécifiquement à la couverture
de l’engagement pris au titre du contrat d’assurance multisupport, et non affecté parmi d’autres
indistinctement à la couverture de risques mutualisés.
§2 – Gestion des actifs
A/ Si l’assureur possède les actifs portés en support de sa prestation, il revêt naturellement la qualité pour gérer ces actifs.
1 – L’assureur, gestionnaire naturel des actifs
« L’entreprise d’assurance dispose […] de la liberté de gérer les actifs constitués ou d’en
déléguer la gestion. »(24). Il s’agit pour l’assureur de déterminer les qualités des actifs
financiers, en fonction d’une stratégie prédéfinie (et dont les objectifs seront fixés sur les
prospectus et notes d’information donnés au souscripteur du contrat).
Ces actifs peuvent revêtir la forme de titres financiers simples (actions, obligations, détenus
directement) ou encore de parts de SICAV, de FCP…« L’entreprise d’assurance dispose […]
de la liberté de gérer les actifs constitués ou d’en déléguer la gestion. »(25). Il s’agit pour
l’assureur de déterminer les qualités des actifs financiers, en fonction d’une stratégie
prédéfinie (et dont les objectifs seront fixés sur les prospectus et notes d’information donnés
au souscripteur du contrat)
D’où l’assureur tient-il cette qualité ? C’est de son droit de propriété que découle sa faculté.
Certains auteurs se sont alarmés de l’utilisation du concept de mandat ou de délégation par le
souscripteur au profit de l’assureur, au risque d’entretenir un mélange des genres malheureux.
Le souscripteur déléguerait à l’assureur la gestion des fonds acquis grâce aux primes. Pour
Jean BIGOT26, ce schéma est évidemment impossible, « car l’assureur est et doit rester
responsable de la gestion des actifs. Il est douteux que l’assureur, propriétaire des actifs et à
ce titre ayant qualité pour les gérer ou les faire gérer par un tiers, puisse recevoir du
contractant un tel mandat ou délégation ». Le recours à de tels concepts paraît alambiqué et
inexact dès lors que le pouvoir d’administrer ses biens découle naturellement du droit de
propriété de l’assureur sur les actifs de son patrimoine.(27)
2 – La délégation de l’exercice de la gestion des actifs financiers
En outre, Philippe GLASER, avocat, énonce que « les assureurs sont seuls habilités, en leur
qualité de prestataires de services en investissement, à choisir la société gestionnaire ou à
proposer à la souscription de nouvelles unités de compte. »(28) La gestion peut donner
l’impression d’une « atomisation »(29) dans la mesure où l’assureur désigne une société de
gestion de portefeuille pour la gestion des supports financiers composites, les gestionnaires
des supports en SICAV ou FCP s’ajoutent à ces intervenants. Quoi qu’il en soit, c’est
l’assureur qui porte sur son patrimoine la responsabilité et les conséquences de la gestion,
quels que soient les autres intervenants.
B/ Compatibilité entre le statut d’entreprise d’assurance et la gestion financière des actifs financiers sous-jacents des unités de compte ?
Le principe de spécialité implique que les organismes d’assurance agréés n’exercent
exclusivement que l’activité d’assurance, au sens de la directive CE 2002/83/CE (article 6b), et
des articles L322-2-2 et R321-130.
S’agissant de l’ assurance vie, “les entreprises qui sous forme d’assurance directe contractent
des engagements dont l’exécution dépend de la durée de la vie humaine” peuvent-elles exercer
le métier de gestion des actifs qu’elles détiennent ? Il apparaît, en effet, que ces instruments
financiers sont détenus en représentation de leurs engagements, donc pour l’exécution de la
prestation d’assurance. C’est précisément pour sa capacité de gestion financière que le
souscripteur aura contracté.
Dès lors que l’assureur offre au contrat des fonds profilés, ouverts dans ses comptes, et dont la
gestion doit être effectuée au regard d’un profil de gestion déterminé, il se porte responsable
de l’adéquation de la gestion des unités de compte aux caractéristiques déterminées pour le
support : la prestation ne consiste plus seulement à garantir sa prestation au terme du contrat,
mais en outre de garantir la juste gestion des fonds internes auxdites unités de compte. Offrir à
l’arbitrage ces fonds profilés contrevient-il au principe de spécialité ? Il ne s’agit pas d’une
“activité commerciale” en soi, puisque elle doit être regardée comme une modalité
supplémentaire d’assurer la prestation d’assurance, une opération qui en “découle directement,
selon les critères du Code des assurances.
Si la gestion financière n’est pas le métier de l’assureur au principal, il semble qu’il ne puisse
lui être dénié la nécessité d’assurer une juste gestion de ses actifs. Il n’obéit pas aux règles des
conseils en investissements financiers et ne subit à ce titre aucun contrôle de l’autorité de
contrôle prudentiel, selon l’analyse de l’ancienne AMF (Autorité des marchés financiers)31.
En tout état de cause, les dispositions du Code monétaire et financier indiquent que les
entreprises d’assurances sont autorisées à exercer des activités de Prestataires de services
d’investissement32, “dans la limite des dispositions qui les régissent”. La gestion de fonds
profilés étant d’une importance limitée par rapport à leurs activités principales, puisque la
prestation principale demeure la couverture d’un risque et la délivrance de la prestation au
dénouement, cette activité ne semble pas s’opposer au principe de spécialité de l’entreprise
d’assurance.
22 Qu’on se rappelle le sens de l’adjectif “congru”, utilisé par extension dans la locution “portion congrue”, et
l’on comprendra de ce terme mathématique qu’il s’agit de la juste quantité nécessaire (exacte, pertinente et
seulement suffisante)
23 Axel DEPONDT, “La gestion sous mandat dans les contrats d’assurance-vie en unités de compte : un non-sens
juridique “, OMNIDROIT, Newsletter N°93, 07 avril .2010, portée en ANNEXE aux présentes
Mémoire Institut des Assurances de Lyon 2010
L’arbitrage entre supports dans les contrats d’ assurance en unités de compte – Emilie CHENARD-COLLY Page 18
L’assureur a l’obligation de posséder les supports à l’actif du bilan. Ceci exclut donc l’idée
selon laquelle l’arbitrage entre unités de compte consisterait pour le souscripteur à vendre des
actifs pour en racheter d’autres. C’est donc que le souscripteur, en contrepartie du versement
de la prime, n’a pas fait l’acquisition d’unités de compte ou de valeurs pour son propre compte.
24 Les délégations d’arbitrage dans le cadre des contrats d’assurance-vie multisupports – La pratique des
mandats croisés, F. LUCET et D. CORON, RGDA1998, p. 657
25 Les délégations d’arbitrage dans le cadre des contrats d’assurance-vie multisupports – La pratique des
mandats croisés, F. LUCET et D. CORON, RGDA1998, p. 657
26 Traité de droit des assurances, Tome 4 Les assurances de personnes, sous la direction de Jean BIGOT, LGDJ,
ed. 2007, n°352
27 (Sur la notion de délégation d’arbitrage entre unités de compte, d’une nature différente de la délégation de
gestion des actifs, voir développements ultérieurs section 2)
28 N. DUCROS, “Assurance vie/Gestion sous mandat – une pratique non exempte de risques pour les assureurs”,
L’Agefi Actifs N° 423, 04/12/2009
29 LUCET et CORON op. cit.
30 “Les opérations autres que celles qui sont mentionnées aux articles L. 310-1 et L. 310-1-1 du présent code et
à l’article L. 341-1 du code monétaire et financier ne peuvent être effectuées par les entreprises mentionnées
aux articles L. 310-1 et L. 310-1-1 du présent code que si elles demeurent d’importance limitée par rapport à
l’ensemble des activités de l’entreprise […]” et précisent que “Les entreprises soumises au contrôle de l’Etat par
l’article L. 310-1 ne peuvent avoir d’autre objet que celui de pratiquer les opérations mentionnées à l’article R.
321-1, ainsi que celles qui en découlent directement, à l’exclusion de toute autre activité commerciale.”
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