§ 1 – Les tiers intéressés
Existe-t-il une possibilité de s’opposer à des choix de gestion pour les héritiers ? Le droit civil
interdit heureusement les héritiers toute action contre leur auteur. Sur quel patrimoine
s’exercerait-elle d’ailleurs, si ce n’est celui dont ils auront hérité ?
A/ L’intérêt des créanciers du souscripteur
Le créancier nanti, s’il n’a pas le pouvoir d’arbitrer ni de s’opposer à l’arbitrage du souscripteur
(sauf bien entendu si le contrat le prévoit), peut-il prétendre avoir subi un préjudice du fait des
arbitrages ? A ce sujet, l’arrêt précité de la Cour de cassation ne s’est pas prononcé. Il semble
que son intérêt à agir puisse être admis.
1 – Saisie-attribution du contrat d’assurance vie : hypothèse impossible ou dorénavant autorisée ?
Dans le même ordre d’idées, quel serait le cas d’un créancier qui bénéficierait d’une saisieattribution
sur le contrat ? En l’occurrence, une jurisprudence constante117 énonce
régulièrement l’insaisissabilité des contrats d’assurance sur la vie en raison du caractère
personnel de la désignation d’un bénéficiaire et du dessaisissement de la prime au profit de
l’assureur…
N’est-elle pas mise à mal par le récent alinéa 2 de l’article 706-155 du Code de procédure
pénale118 ? Celui-ci énonce : “Lorsque la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat
d’assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de
nantissement de ce contrat, dans l’attente du jugement définitif au fond. Cette saisie interdit
également toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l’attente de ce jugement
et l’assureur ne peut alors plus consentir d’avances au contractant. Cette saisie est notifiée au
souscripteur ainsi qu’à l’assureur ou à l’organisme auprès duquel le contrat a été souscrit.”
Les conséquences de cette disposition récente n’ont pas encore fait l’objet d’une interprétation
unanime, mais elle semble mettre à mal la théorie de l’insaisissabilité de l’assurance vie, à tout
le moins s’agissant de lutter contre l’organisation de leur insolvabilité par les personnes faisant
l’objet de mesure d’instruction au pénal.
2 – Le créancier nanti
S’agissant du créancier nanti, encore faudrait-il qu’il établisse la preuve d’une faute
susceptible d’engager la responsabilité civile du souscripteur.
B/ Les co-souscripteurs au contrat
Les co-souscripteurs au contrat d’assurance en sont des parties. Si toutefois elles devaient
engager la responsabilité contractuelle sur le fondement de l’assurance, c’est contre l’assureur
qu’elles intenteraient une action.
Envisageons ici les conséquences d’une faute dans les choix d’arbitrage à l’égard du cotitulaire
de cette faculté. La question se reporterait sans doute sur la désignation de l’intérêt
légitime qui guidera le souscripteur en arbitrant. Un arbitrage effectué du chef d’un seul des
souscripteurs au contrat doit-il être nourri par un intérêt commun, qu’il conviendra alors de
définir (lourde tâche, dès lors que le contrat sera lui-même resté silencieux !) ? Ou doit-on, au
contraire, estimer que, là où le contrat ne distingue pas, la liberté d’arbitrer est totale et
impropre à engager la responsabilité civile de l’un contre l’autre ?
§ 2 – La faute délictuelle du souscripteur arbitre
A/ L’arbitrage peut-il être qualifié de manquement contractuel ?
Envisageons, en dehors de la sphère contractuelle de l’assurance vie, l’hypothèse d’un
préjudice subi par un tiers du fait de l’arbitrage. Rappelons que la Cour de cassation a admis
par principe qu’un “tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité
délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un
dommage”119, et même si seule est prouvée une causalité matérielle entre l’inexécution
contractuelle et le dommage (point n’est besoin de qualifier la causalité juridique entre la faute
et le préjudice).
Toutefois, il s’agit ici de reprocher à l’un des contractants les modalités de l’exécution d’une
faculté née du contrat, et non de l’une de ses obligations. A défaut de constituer une faute
contractuelle, il apparaît que l’arbitrage incriminé devra être qualifié de faute délictuelle pour
engager la responsabilité du souscripteur. L’arbitrage peut-il être qualifié de fait objectivement
illicite ? Le juge appréciera son comportement in abstracto, par référence au modèle du bon
père de famille.
B/ L’arbitrage, faute délictuelle à l’égard des tiers ?
Le débiteur peut être tenté d’arbitrer en faveur d’unités de compte de faible valorisation afin de
diminuer le gage du créancier, par un esprit de vengeance (dont il serait vain de supposer
l’âme humaine incapable, même si son résultat est inopportun…).
Peut-on imaginer que le souscripteur co-titulaire du contrat qui n’aura pas procédé à
l’arbitrage ou le nu-propriétaire d’un contrat en démembrement pourrait intenter une action
contre l’autre. Quoi qu’il en soit, ces projections n’ont pas encore nourri la jurisprudence qui
devrait alors statuer sur l’existence d’une faute : un arbitrage peut-il être fautif ? La nature de
la faute consisterait dans la teneur du choix, alors même que ce choix, effectué selon une
liberté aménagée contractuellement, sert un intérêt légitime.
Quoi qu’il en soit, en la matière, plus de questions sont ouvertes que de réponses avancées, et
cela ressort nettement de la pure prospective. En réalité, les questions qui nourrissent le
contentieux de l’assurance vie en unités de compte, en matière d’arbitrage, tendent à mettre en
jeu la responsabilité des professionnels, sur le recours de souscripteurs déçus.
116 Article L132-9
117 Cass.,1ère civ., 28 avril 1998 n° 96-10333
118 introduit par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale
Mémoire Institut des Assurances de Lyon 2010
L’arbitrage entre supports dans les contrats d’ assurance en unités de compte – Emilie CHENARD-COLLY Page 72
119 Ass.Plen., 6 octobre 2006, pourvoi 05-13255
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