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§ 3 – Entre arbitrage abusif et risque d’insolvabilité, la problématique des arbitrages à cours connu

ADIAL

L’assureur dispose-t-il de la faculté de s’opposer aux arbitrages abusifs effectués par le
souscripteur ? La difficulté est essentiellement apparue à l’occasion d’arbitrages effectués en
application d’une faculté de réclamer la réallocation d’actifs sur la base d’une cotation
antérieure à la date de réalisation : cette procédure d’arbitrage dite à “cours connu” avait été
originellement mise en place alors que les contrats étaient monosupports, de telle sorte que les
souscripteurs connaissent la valeur exacte de la prestation d’assurance avant d’en demander le
rachat.
Les contrats évoluant, cette faculté est demeurée mais son usage a pu être dévoyé pour
devenir un instrument de spéculation.
Dès lors que les assureurs offrent au contrat de multiples unités de compte (souvent une
centaine), les souscripteurs peuvent espérer désinvestir celles en baisse au profit d’autres
allocations.

Imaginons une unité de compte valorisée 100 à la date de référence prévue
contractuellement : l’assuré arbitre quelques jours après sur la base de 100, alors que la valeur
de marché aura pu continuer de baisser. Le risque financier induit pour l’assureur est clair : il
se sera engagé à réallouer les fonds à hauteur de 100 alors qu’il aura désinvesti les actifs sousjacents
pour un prix inférieur et portera la différence sur son patrimoine, sans contrepartie
financière mis à part les frais qu’il aura pu facturer. A la hausse, l’avantage est tout aussi
intéressant en termes spéculatifs : le souscripteur peut investir une unité de compte dont il
aura déjà pu constater qu’elle est en hausse, pour une valeur moindre que celle de son cours
actuel.
La multiplication des opérations d’arbitrage à cours connu peuvent donc mettre en péril la
solvabilité de l’assureur, tenu de supporter la différence entre la valeur actuelle des actifs
sous-jacents et celle promise au contrat, et qui devra en outre mettre en oeuvre les moyens
nécessaires à l’exécution de ces instructions massives et ainsi engager des frais à cet égard.
Certains souscripteurs auront tiré grand avantage d’une telle faculté, se heurtant à la résistance
de l’assureur. Examinons l’état de la jurisprudence nombreuse qui s’est saisie de ces
difficultés.

A/ Un abus du droit d’arbitrer ?

La faculté d’arbitrage est-elle susceptible d’abus ? L’exécution d’arbitrages conformes aux
facultés contractuelles est-elle susceptible d’être qualifiée d’abus de droit ? L’assureur peut-il
légitimement s’opposer à donner effet à une instruction d’arbitrage ? La jurisprudence
classique recourt en effet à la notion d’abus de droit en cas d’exercice d’un droit dans
l’intention de nuire à un tiers, de mauvaise foi ou avec une légèreté blâmable sur le fondement
de l’article 1383 du Code civil (la responsabilité pour négligence ou imprudence), ou encore
sans intérêt à agir en exécution d’une clause contractuelle191.
En l’occurrence, existe-t-il pour le souscripteur une possibilité de modifier les supports en
opportunité ? Cela semble être tout l’intérêt de la faculté d’arbitrage. Il ne peut pas être targué
d’avoir arbitré dans le seul but de causer un préjudice à l’assureur. Dès lors que l’exercice de
cette faculté contractuelle tend à valoriser sa créance, le souscripteur (ou le bénéficiaire par
l’effet de l’assurance pour compte) cherche à en tirer un avantage patrimonial légitime.
Le surnombre d’arbitrages est en soi-même abusif, rétorquent les assureurs. L’abus résiderait
dans l’excès, à défaut de l’intention.
La jurisprudence n’a pas fait droit à ces arguments : rien dans cette attitude ne peut être
interprété comme un manquement à l’exécution de bonne foi des conventions (1134 du Code
civil). Tout au plus le souscripteur pourra-t-il avoir tiré toutes les conséquences utiles pour lui
d’une faculté contractuelle que l’assureur aura pu encadrer contractuellement, en sa position de
professionnel, et d’autant plus dans le cadre de contrats d’adhésion dans lesquels les rapports
de force jouent en sa faveur.

La liberté contractuelle dicte désormais aux assureurs de limiter contractuellement le nombre
d’arbitrages dans une période déterminée ou encore de déterminer la valorisation des unités de
compte désinvesties à une date ultérieure.

B/ L’inexécution fautive par l’assureur de ses obligations contractuelles – la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de l’assureur pour inexécution des ordres d’arbitrage

1 – La faute de l’assureur

– Inexécution contractuelle contre faculté d’arbitrage
Confrontés à ces problématiques, les assureurs se sont parfois purement opposés à l’exécution
des ordres d’arbitrage, se rendant en quelque sorte justice à eux-mêmes. La jurisprudence
désormais bien établie les condamne pour ces inexécutions fautives.
Le souscripteur estime avoir subi une perte faute d’exécution de son instruction, qu’il espère
voir compenser par l’allocation judiciaire de dommages et intérêts. Notons à ce sujet
l’inefficacité des procédures de résolution amiable internes aux entreprises d’assurances ou
aux fédérations d’assurance.
– Faculté de modification des supports contre faculté d’arbitrage
Une autre réaction en défense consiste pour l’assureur à modifier les supports offerts à
l’arbitrage, afin d’éviter une multiplication des arbitrages entre actions et favoriser le
placement de la prime sur des supports moins volatils, afin de dissuader une attitude
spéculative. Les clauses contractuelles autorisent ces modifications192, mais deux questions se
posent à cet égard :
L’existence de ces clauses est-elle abusive en soi ? C’est ce que P. COURTIEU a pu soutenir,
la modification unilatérale du service à fournir se trouvant ainsi aménagée sans raison valable.
La jurisprudence refuse de reconnaître cet abus, l’existence même de ces clauses se justifiant
par le risque de ruine de l’assureur, risquant donc d’être empêché de délivrer ses prestations
aux assurés193
Par ailleurs, l’exercice de cette faculté est-elle elle-même susceptible d’abus ? Dans quelles
limites peut-elle être exercée ? Les souscripteurs recourent, pour s’y opposer, à la notion de
loyauté dans les conventions194 sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil, de
dénaturation de contrat d’assurance, pour en avoir modifié la substance trop profondément,
d’abus de droit195 ou encore de dol.
La Cour de cassation approuve une juridiction du fond d’avoir jugé que “la suppression des
supports ne doit pas être massive, sans contrepartie et effectuée afin de vider le contrat de sa
substance pour en interdire le fonctionnement normal.[…] Par ailleurs, la cour rappelle que
l’assureur est tenu de maintenir une diversité équivalente lorsqu’il modifie la liste des
supports financiers. »196 Le contrôle s’effectue donc sur l’intention de l’assureur quand il
modifie les supports et sur la substance du contrat, dont la diversité des unités de compte se
distingue comme une qualité essentielle.

2 – Le préjudice – notion de perte de chance

– Le préjudice du souscripteur :
Dès lors qu’est établie la faute de l’assureur, le débat se positionne sur l’évaluation du
préjudice causé. La nature de l’arbitrage interdit en effet de considérer une perte comme
acquise définitivement.
– Le préjudice du bénéficiaire :
Quelle est l’incidence du jeu de la garantie plancher sur le préjudice de sous-valorisation ?
La compagnie devra avoir établi une provision mathématique pour garantir le paiement de la
prestation d’assurance à la survenance éventuelle du décès de l’assuré, provision qui
correspond généralement à la valeur cumulée des primes versées et devra compenser la
dévalorisation de la valeur des unités de compte par rapport à ce montant garanti. Dès lors, ce
mécanisme contractuel diminue potentiellement le montant du préjudice subi par le
bénéficiaire. Si l’assureur a refusé d’exécuter les ordres d’arbitrage, la chance de gain du
bénéficiaire devrait se calculer sur la base des montants espérés en ce qu’ils dépassent de ce
montant, puisque les mécanismes de responsabilité revêtent un caractère indemnitaire.
Il convient en outre d’établir qui peut valablement se prétendre victime d’un défaut dans
l’exécution des ordres d’arbitrage, qui porte l’intérêt à agir : le bénéficiaire est titulaire d’une
“action directe et personnelle” contre l’assureur : sa créance ne consiste pas au versement de la
prestation telle qu’évaluée au moment de l’acceptation, mais tel qu’il a été défini
contractuellement, donc “c’est ce capital, résultant de l’exécution des modalités de gestion
prévues, que l’assuré s’est engagé à délivrer au bénéficiaire.(197)”

Il convient d’entendre par là que l’évaluation de la prestation décès s’apprécie au dénouement
du contrat, et selon les critères établis conventionnellement – savoir la garantie plancher ou la
valorisation du capital, si elle est supérieure, telle qu’elle résultera des arbitrages effectués au
contrat.

3 – Questions de prescription

2 ans, 5 ans, 10 ans – les actions en responsabilité sur le fondement de l’arbitrage entre unités
de compte ne relèvent pas du hasard pour leur mise en oeuvre dans le temps. L’opportunité
d’assigner tel ou tel intervenant se déduit notamment de cet élément. Prescription biennale
dans la relation contractuelle d’assurance198 contre prescription de droit commun199 pour les
autres intervenants à l’arbitrage, et décennale quand le bénéficiaire est distinct du
souscripteur : telles sont les données du problème : le justiciable choisira le prestataire à
assigner en fonction des fautes qu’il est susceptible de lui reprocher mais également selon
l’acquisition ou non de la prescription.
La résistance de l’assureur à l’exécution d’une clause d’arbitrage à cours connu est l’occasion
de préciser, selon les termes d’un arrêt de la Cour de cassation200 que le délai de prescription
biennal pour contester les modifications de support opposées à la mise en oeuvre d’une telle
clause est “le jour de la connaissance réelle par l’assuré des changements de supports”201, et
non celui de la modification elle-même.
Plus récemment, cette solution a été confirmée : le point de départ du délai consiste en la prise
de connaissance du dol prétendu (en l’occurrence attestée par une lettre du souscripteur déçu
adressée à la compagnie d’assurances). La Cour de cassation exclut l’argument de l’assuré
requérant selon lequel le délai de prescription ne commencerait pas à courir tant que perdure
le contrat d’assurance dans les conditions issues des prétendues manoeuvres dolosives de
l’assureur. Cette solution confirme la jurisprudence classique en matière de dol (Article 1304
Code civil)202.
Outre l’exécution de l’instruction d’arbitrage, objet essentiel de l’opération, gage de son
efficacité, il convient d’envisager les sources de contentieux qui prennent naissance à
l’occasion des prestations qui gravitent autour de l’opération : les responsabilités croisées et
cumulées engendrées par la délégation d’arbitrage.

188 relatif à la délivrance de la prestation en espèces : “sur la base de la valeur de rachat ou de réalisation de
ces titres à la date prévue à cet effet par le contrat. Cette date ne peut être postérieure de plus de trente jours
à la date de présentation à l’assureur de la demande de prestation”. S’agissant d’un texte impératif spécial, la
détermination de ce délai maximum de valorisation ne s’impose probablement pas en matière d’arbitrage.
189 Ph. PIERRE, Traité du contrat d’assurance terrestre, sous la direction de J. BIGOT, Litec, 2008, n° 2332
190 L’état antérieur du droit imposait la valorisation au lendemain de l’instruction.
191 Notamment Civ 2, 26 novembre 1953 D. 1956, 154 et Civ 3, 12 octobre 1971, bull civ 3, 408 et Civ 1, 19
novembre 1996 bull civ I, 404
192 Cass. 1ère civ., 9 mars 2004, pourvoi n° 01-10147 précisant que :«le contrat litigieux ne prévoyait
aucunement la permanence des supports éligibles»
193 Traité de droit des assurances, Tome 4 Les assurances de personnes, sous la direction de Jean BIGOT, LGDJ,
ed. 2007, N° 581
194 Cass. 1ère civ., .12 avril 2005, pourvoi n° 02-19690, justifiant ainsi l’annulation d’un avenant modificatif des
supports, l’assureur ayant dénaturé unilatéralement la spécificité du contrat ; voir également Cass. 2ème civ.
8 nov. 2007, pourvoi n° 06-19.765
195 Cass. 2ème civ., 22 février 2007, pourvoi n° 05-19754, RCA mai 2007, p 25
196 Civ. 2e, 7 mai 2009, pourvoi n° 08-17.325
197 TGI Bobigny, 13 novembre 2007
198 L114.1
199 Article 2224 du Code civil “Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du
jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.”
200 Civ. 2e, 7 mai 2009, pourvoi n° 08-17.325
201 Civ. 2e, 7 mai 2009, pourvoi n° 08-17.325, l’Argus de l’assurance, G.BRUGUIÈRE-FONTENILLE et J. SPERONI
29 mai 2009
202 Civ 2è, 1er juillet 2010

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