70. Le principe de l’équipollence de la faute lourde au dol, qui signifie une similitude d’effets entre ces deux notions, est parfaitement ancré dans notre droit en raison de ses origines très anciennes (1) et de sa persévérance tout au long de l’histoire du droit (2).
1 : Les origines du principe.
71. Comme on a pu le voir auparavant, la faute lourde (la culpa lata) est apparue au Bas Empire sous le règne de Justinien. C’est aussi à cette époque, à travers l’adage « culpa lata dolo aequiparatur » que la faute lourde a été assimilée au dol. Cela tient au fait que la création de la faute lourde résulte d’une extension, d’une aggravation de la responsabilité des personnes, qui jusque-là, ne répondaient que de leur dol , cette dernière notion étant définie, à cette époque, comme la mauvaise foi, plus particulièrement l’intention de nuire, le fait de faire exprès de ne pas pouvoir exécuter . Pour cette raison, à l’image de notre article 1150 du Code civil, celui qui commettait un dol ne pouvait s’exonérer en aucun cas de sa responsabilité. Cela était matérialisé par l’adage « malitiis non est indulgendum » .
72. Durant la période du Moyen Age, la doctrine canonique accorde une importance particulière à l’intention, ce qui lui permet de distinguer le dol et la faute, cette dernière recouvrant un aspect involontaire. Cependant, les Glossateurs conservent le rapport d’équivalence, entre la faute lourde et le dol, établi par le droit romain. Ainsi, durant l’ancien droit, personne ne conteste la persistance de ce principe, et un auteur comme Pothier précise que « une négligence crasse, une faute lourde…ne diffère guère de la malice » .
73. Le Code civil, quant à lui, ne fait aucune mention de l’équipollence entre la faute lourde et le dol. Toutefois, cela n’a pas empêché le principe de survivre et de persévérer.
2 : La persévérance du principe.
74. L’adage culpa lata dolo aequiparatur a été répété par la doctrine et appliqué par la jurisprudence, sans que le Code civil n’en ait jamais accueilli la formule. Un adage n’ayant en lui-même aucune valeur juridique, ce principe reflète l’une de ces règles coutumières qui, à côté de la loi écrite, jouent dans notre droit un rôle beaucoup plus important qu’on ne pourrait le croire .
75. Concernant tout d’abord la doctrine, l’assimilation a été reconnue par la plupart des auteurs . Monsieur le professeur René Rodière y voit même une protection de la notion même de faute .
76. Concernant ensuite la jurisprudence, elle a de son propre mouvement, fait produire à la faute lourde certains effets du dol. Elle a en particulier admis que les clauses limitatives de responsabilité sont inefficaces non seulement en présence d’une faute intentionnelle proprement dite, mais également d’une « faute lourde équipollente au dol », et cette solution, déjà ancienne, ne s’est jamais démentie. C’est ainsi que dans un arrêt du 29 juin 1948 la Chambre civile énonce que « la faute lourde, en raison même de sa gravité, est assimilable au dol et elle oblige son auteur à la réparation intégrale du préjudice subi, sans qu’il puisse s’en affranchir par une convention limitant sa responsabilité ». Déjà auparavant, dans le domaine du transport maritime, la Chambre civile déclarait que la faute lourde est « équivalente au dol » et la Chambre des requêtes estimait qu’ « elle doit, pour l’appréciation de ses conséquences, être assimilée au dol » . Si au départ, la jurisprudence limitait l’assimilation dans le domaine du transport, elle l’a ensuite étendue au dépositaire , au bailleur de meubles ou en encore au voiturier par terre . De même, les tribunaux ont affirmé que la règle posée par l’article 1150 du Code civil qui limite les dommages-intérêts contractuels à l’indemnisation du dommage prévisible cède en présence d’une faute lourde qui, comme le dol, justifie une réparation intégrale . Les termes ne laissent place à aucune équivoque quant à la volonté des juges de reprendre l’adage romain dont l’utilité ne laissait guère indifférente.
77. Face à cet engouement tant de la part de la doctrine que de la jurisprudence, le législateur a fini par consacrer cet adage dans le cadre de certaines conventions internationales
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