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§2. L’admission de la qualité de voisin occasionnel

ADIAL

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la question du fondement de l’action dirigée contre les entreprises du bâtiment, architectes et autres constructeurs, intervenant sur le fonds voisin a donné lieu à des interrogations et prêté à controverses. Dans la conception classique de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage, le débiteur de l’obligation était principalement le propriétaire de l’ouvrage, bénéficiaire des travaux sources de dommage. Cette conception supposait que la responsabilité des constructeurs ne soit recherchée que pour faute prouvée ou en qualité de gardien des engins du chantier . Elle a été condamnée par un arrêt du 10 janvier 1968 qui a retenu la responsabilité de l’entrepreneur pour trouble anormal de voisinage après avoir indiqué qu’il n’avait commis aucune faute. Cette décision est restée isolée jusqu’à un arrêt du 30 Juin 1998 (A) par lequel la troisième chambre civile se ralliât à la position de la deuxième chambre civile. Cet arrêt a créé une sorte de notion de « voisin occasionnel » qui s’est élargie (B) mais qui depuis quelque temps a tendance à se restreindre (C).

A Le revirement de jurisprudence du 30 Juin 1998

Jusqu’en 1998, l’action en responsabilité contre les constructeurs relevait du droit commun de la responsabilité délictuelle supposant la démonstration d’une faute des constructeurs ayant causé au voisin un trouble. La jurisprudence était jusqu’alors fluctuante et manquait de netteté, certains arrêts appliquant la théorie du trouble de voisinage alors que d’autres, plus nombreux, invoquaient la responsabilité fondée sur la faute ou sur la garde des engins de chantier. Cette incertitude quant au fondement de l’action ne présentait pas d’inconvénients majeurs tant qu’il n’avait pas été admis que le régime juridique des troubles de voisinage pouvait s’appliquer. Elle devenait embarrassante après l’affirmation du principe par la Cour de cassation en 1968 . Le revirement de jurisprudence a eu lieu le 30 juin 1998 (1) et a été confirmé par de multiples arrêts postérieurs (2).

1. La décision

Dans un arrêt de principe du 30 juin 1998 , connu sous le nom d’arrêt Intrafor, du nom d’une société composant le groupement d’entreprises sous-traitantes intervenues sur le chantier de construction d’un lycée, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation a validé un arrêt de la Cour de Paris qui « ayant relevé que la société Intrafor avait injecté du béton dans le sol avec une intensité excessive…. » a pu, sans être tenue de caractériser la faute du constructeur, « en déduire que la société Intrafor était responsable du trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage subi par les consorts X ». La Cour de Cassation a ainsi admis que l’entreprise était responsable du trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage sans qu’il fût nécessaire de caractériser sa faute .

Cette solution répondait aux interrogations de l’époque et permettait de solutionner bien des questions. En effet, dans la vie quotidienne il peut arriver que le voisin victime d’une nuisance n’assigne que le ou les constructeurs, parce qu’il ne connaît pas le maître d’ouvrage. Dans ce cas, était-il pertinent de retenir la responsabilité sans faute dans les rapports entre les deux voisins, et d’exiger la preuve de la faute du constructeur ? La réponse donnée par la troisième chambre civile ne laisse place à aucune ambiguïté. La Cour d’appel « n’était pas tenue de caractériser la faute du constructeur », et elle a pu déduire de ses constatations que « l’entrepreneur était responsable du trouble excédant des inconvénients normaux du voisinage subit par les victimes ». C’est en effet en travaillant sur le fonds voisin que le constructeur a causé le trouble. Il est devenu en quelque sorte le « voisin occasionnel » de la victime, selon l’expression utilisée par P. MALINVAUD et P. JESTAZ dans leur ouvrage sur la responsabilité des constructeurs .

2. La confirmation de cet arrêt par la jurisprudence postérieure

Par un arrêt du 11 mai 2000, la troisième chambre civile a confirmé sa décision du 30 Juin 1998. En effet, cet arrêt montre que la responsabilité pour troubles de voisinage n’affecte pas seulement des propriétaires de biens en vertu du fondement réel, mais que son domaine s’étend à bien d’autres personnes entretenant une relation de voisinage avec les victimes, cette relation fût-elle temporaire voire éphémère . Cette jurisprudence est sans cesse affirmée, notamment par un arrêt du 13 avril 2005 .

La première chambre civile s’est ralliée, quant à elle, aux deux autres chambres dans un arrêt du 18 mars 2003 dans lequel il est affirmé encore une fois que « l’entrepreneur, auteur de travaux à l’origine des dommages, est responsable de plein droit des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage constatés dans le fonds voisin ».

Le principe de voisin occasionnel a donc été posé en 1998. Cependant, c’est un arrêt du 22 juin 2005 qui donne la justification théorique de cette extension du domaine de la responsabilité de plein droit fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage. Cet arrêt retient que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » . Au-delà de cette notion de « voisin occasionnel », proposée par MALINVAUD et JESTAZ, il faut davantage retenir une volonté d’unification des régimes juridiques des actions du voisin en vue de leur simplification, ce qui justifie cette qualité de « voisin occasionnel » qui ne convainc qu’à moitié, comme le souligne le Conseiller VILLIEN dans le rapport précité de la Cour de Cassation de 1999 .

B L’élargissement de la notion de voisin occasionnel

L’arrêt du 30 juin 1998 affirme la responsabilité sans faute des entrepreneurs mais elle modifie également la situation des sous-traitants. Ce constructeur jouit d’une situation très paradoxale. Tenu d’une obligation de résultat à l’égard de l’entrepreneur principal, il ne répond que de sa faute vis-à-vis du maître d’ouvrage. Or, désormais, les tiers peuvent l’attaquer beaucoup plus facilement. La simple démonstration d’un lien entre son activité et le dommage, sur le fondement de l’inconvénient anormal de voisinage, suffira à engager sa responsabilité à leur égard. Un arrêt du 21 mai 2008 vient également préciser que si les constructeurs sont responsables de plein droit en tant que voisins occasionnels, il faut relever la généralité de l’expression. En effet, ce ne sont pas certains constructeurs qui sont visés en particulier, ce sont tous ceux qui interviennent sur le chantier et qui endossent inéluctablement la qualité de voisin occasionnel .

C Vers une restriction de la notion de voisin occasionnel

Après l’affirmation et l’élargissement de la notion de voisin, des restrictions ont été introduites pour limiter cette responsabilité qui aurait pu devenir trop large. En effet, les voisins occasionnels sont nombreux et il a fallu délimiter la notion. Dans l’arrêt du 21 mai 2008 précité, la Cour de Cassation a ainsi décidé que « la présomption de responsabilité ne joue qu’à l’encontre de celui qui est l’auteur du trouble ». En l’espèce c’est le sous-traitant chargé des terrassements qui a provoqué les poussières dommageables pour les fleurs du voisin qui a été jugé responsable; et ce à l’exclusion de l’entrepreneur principal qui lui avait sous-traité cette mission. Cet arrêt étend la responsabilité pour troubles de voisinage au sous-traitant et dans un même moment limite cette responsabilité à l’auteur du trouble. Il faut comprendre par cet arrêt que parmi les constructeurs, seuls les auteurs matériels sont responsables des troubles du voisinage, alors que s’agissant du maître de l’ouvrage, celui-ci en répond en sa seule qualité de voisin.

De nombreux auteurs réclament un abandon pur et simple de la responsabilité de plein droit des constructeurs . Si cette responsabilité est injustifiable lorsque les troubles sont dus à la présence de l’ouvrage ou aux désordres qu’il cause dans des immeubles contigus car ils sont alors exclusivement imputables au maître de l’ouvrage qui a pris la décision de construire ou de faire procéder à des travaux, elle est également contestée lorsque les troubles proviennent du chantier de construction ( nuisances sonores, olfactives, poussières…) car ils sont inhérents aux travaux et ne peuvent pour la plupart être évités.

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