Le choix des juges en faveur d’une simple compensation financière est guidé par plusieurs considérations. Les décisions rendues dans ce sens trouvent, d’abord, une justification purement juridique qui découle du principe de la séparation des pouvoirs. En effet, le juge judiciaire ne possède pas l’imperium c’est-à-dire qu’il ne possède pas le pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration. Par conséquent, il ne peut ordonner des mesures de nature à mettre en cause les prescriptions édictées par l’autorité administrative. La règle ainsi établie réduit la marge de manœuvre du juge, s’agissant des modalités de réparation en nature qu’il est en droit d’imposer aux activités couvertes par une autorisation administrative. Ainsi, en matière de troubles de voisinage, il faut noter que devant les « installations classées », le juge judiciaire est dans l’impossibilité d’en ordonner la fermeture. Il s’agit de ces installations visées par la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 soumises à autorisation administrative, c’est-à-dire « les usines, ateliers, dépôts, chantiers, (…) d’une manière générale des installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage ». Cette impossibilité découle du principe de la séparation des pouvoirs, exprimé par un arrêt du Tribunal des conflits du 23 mai 1927. La réparation en nature est ainsi fréquemment remplacée par une simple compensation monétaire lorsqu’il faut se heurter à l’administration.
Le comportement du magistrat ne s’explique pas seulement par des raisons de droit. La pratique judiciaire, est également conditionnée par des facteurs d’ordre socio-économiques. Dans bien des cas, le dommage présente un champ d’action extrêmement large et touche plus ou moins directement de multiples intérêts. « Il met en présence du juge de la réparation des forces antagonistes » . Ce sera par exemple la recherche d’une qualité de vie contre les impératifs de production et de compétitivité. Le juge de la réparation est alors amené à intégrer dans ses décisions un certain nombre de considérations économiques et sociales. En effet, les nuisances sonores les plus importantes proviennent d’activités industrielles, artisanales ou commerciales, qui concernent les mécanismes économiques et les intérêts sociaux du pays. L’intérêt général, celui de la collectivité dans son ensemble, entre en conflit avec les intérêts privés des voisins gênés dans leurs conditions d’existence. La plupart du temps, les juges opteront quasi sans hésiter pour une réparation par équivalence monétaire pour la malheureuse victime, qui se retrouve face à un acteur économique important. La réparation pécuniaire apparaît comme la solution la mieux appropriée pour concilier équitablement les différents intérêts en présence. C’est donc la considération de « l’utilité sociale » qui se trouve au cœur du raisonnement tenu par le juge de la réparation. Le sacrifice des intérêts privés, ceux des voisins, se justifie de par le caractère socialement ou économiquement utile de l’activité productrice de troubles de voisinage. C’est une sorte de compromis qui consiste à répartir la charge du dommage sur son auteur et sur sa victime.