I.1. Le choix des études en langue étrangère
La mobilité internationale, l’apprentissage des langues étrangères et les échanges socio-culturels sont de plus en plus en plus fréquents dans notre société mondialisée et connectée où certains pays bénéficient d’une notoriété sociale, intellectuelle et économique plus attractive que d’autres. Le développement économique et social de nombreux pays émergents a accéléré ce phénomène de mobilité internationale de populations soucieuses de bénéficier d’une éducation de qualité et reconnue internationalement. Le système universitaire français attire, entre autres, beaucoup d’étudiants étrangers dont la part dans l’enseignement supérieur est passée de 7,1% en 1998 à 11,9% en 2008. Nous chercherons donc à comprendre les raisons qui incitent les étudiants à choisir la langue française et un pays francophone pour suivre leurs études, puis à connaître les conditions dans lesquelles la langue française est apprise pour pouvoir suivre leur formation en langue étrangère.
I.1.1. Le choix de la langue française et de la France : Histoire d’une politique linguistique et conditions d’accueil favorisées
Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (2010 : 1) nous apprend qu’en 2008, il n’y a jamais eu autant d’étudiants étrangers « inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur en France métropolitaine ou dans les départements d’Outre-mer (DOM) » avec près de 266 400 inscriptions, ce qui représente plus de 10% de la population estudiantine totale de cette année-là. Avant d’expliquer les problèmes rencontrés par cette population lors de leur séjour universitaire, nous sommes en droit de nous demander ce qui les attire et ce qui motive leur choix d’étudier en français en France ou dans un pays francophone.
Historiquement, la langue française a été largement diffusée sur les cinq continents par le biais de la colonisation, de l’évangélisation, ou d’accords politiques tels que « Les capitulations » signées entre Soleiman le Magnifique et François Ier en 1536, ou bien encore, comme au Québec, avec le commerce de la pêche à la morue ou des peaux de bêtes. Elle a également acquis un statut de langue « prestigieuse » lors du siècle des Lumières avec la diffusion des idées philosophiques et révolutionnaires. Les enfants qui recevaient une éducation en langue française étaient issus des classes bourgeoises, pouvaient voyager et se rendre en France pour découvrir de nouvelles façons de penser et d’écrire le monde. Cette idée se retrouve encore de nos jours avec les étrangers qui veulent apprendre le français car c’est la langue du luxe, du romantisme et de la littérature, comme pour les étudiants chinois, par exemple.
Mingyang (2010 : 31) explique les raisons qui guident les parents chinois à choisir la France pour leur enfant : « De tous les pays occidentaux, la France est celui qui bénéficie de la meilleure image et ce, depuis longtemps.[…] Depuis cette époque [1860], la France est « l’amie de la Chine » et concentre les rêves de nombreux parents.[ …] Ils rêvent d’un pays idéal pour leurs enfants, un pays « riche en culture et en sagesse » où leurs enfants pourront passer un séjour qu’ils se représentent idyllique. »
Fondée sur la subjectivité de cette histoire linguistique prestigieuse, la politique volontariste de la France a augmenté l’attrait des étudiants étrangers en développant les services de coopération du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes (MAEE) afin d’en faire l’opérateur de politique linguistique le plus important du monde. Le gouvernement favorise notamment l’accès aux études en France en offrant des bourses aux étudiants étrangers depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Déjà en 1946, Georges Bidault, alors ministre des affaires étrangères déclarait lors de la création de la Direction générale des relations culturelles et des oeuvres françaises à l’étranger :
« Actuellement, la culture est, dans le domaine de l’expansion française, la carte maîtresse de notre jeu. Je pense que, particulièrement dans le domaine des échanges d’hommes (notamment par la venue de boursiers étrangers en France), les décisions que nous prendrons auront une influence décisive dans l’avenir proche et lointain sur la place de la culture française dans le monde, et indirectement sur l’influence politique et commerciale de la France. » En 2008, le budget du MAEE pour les bourses attribués aux étudiants étrangers était d’environ 100 millions d’euros, dont 25% sont financées par l’administration centrale et 75% par les ambassades.
Le système universitaire français s’est également harmonisé au niveau européen pour favoriser les échanges d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs et pour faire converger les systèmes universitaires vers des niveaux de référence communs suite au succès du programme Erasmus lancé en 1987. Pour cela, le pays a adopté, avec 46 autres états, le processus de Bologne en 1998 qui a, d’une part, simplifié les cycles d’enseignement supérieur en les regroupant en trois diplômes (Licence, Master, Doctorat) et qui a, d’autre part, instauré un système commun de crédits pour décrire les programmes d’études. Ainsi, le suivi des études devient plus lisible, et il y a presque un tiers des étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement supérieur français en 2008 qui sont d’origine européenne. Il existe également de nombreux programmes internationaux relayés par Campus France, l’agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale.
Tout cela ne signifie pas que les établissements d’enseignement supérieur sont ouverts à tous car les capacités d’accueil sont limitées. Il faut donc procéder à des sélections de dossier dans lesquelles les capacités linguistiques sont prioritairement considérées étant donné que le niveau B2 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues(1) est un pré requis. Les futurs étudiants potentiels doivent également motiver leur inscription puis, une fois leur dossier accepté, passer par des formalités administratives pour obtenir leur droit d’entrée et de séjour sur le territoire français. Cela les plonge souvent dans un fort désarroi car ils doivent utiliser la langue spécifique à ces démarches à laquelle ils ne sont pas toujours bien préparés. C’est pourquoi nous allons aborder à présent la question des conditions d’apprentissage de la langue française par les étudiants se destinant à un cursus d’enseignement supérieur dans cette langue qui leur est étrangère.
I.1.2. Les conditions d’apprentissage de la langue française
D’après les résultats du questionnaire présenté en II.1.2.2, lorsque l’on demande aux anciens étudiants étrangers ayant terminé leur cursus d’enseignement supérieur s’ils avaient une familiarité avec la langue française avant de se décider à suivre leurs études en langue française, ils répondent par l’affirmative à plus de 60%. La plupart d’entre eux précise qu’ils ont appris cette langue dans leur pays natal au cours de leur scolarité dans des établissements du secondaire, ou bien dans des centres de langue comme les Alliances Françaises ou les Instituts Français. Une participante anglophone répond : « J’ai suivi les cours de français au collège et lycée, puis pendant les deux premières années à la fac avant de venir en France pour passer la troisième année. J’ai aussi de la famille en France, je leur ai rendu visite plusieurs fois pendant mes études de la langue française. »
Mais la notoriété culturelle et historique de la France est aussi prégnante lorsqu’un participant germanophone explique : « J’ai commencé d’apprendre le français à l’école. Il n’y a pas le lien principal, j’étais toujours fasciné par la France, la culture, la cuisine, les paysages et la langue. »
Il semble donc que le choix de la langue française se fasse surtout par rapport à la facilité d’accès à cette langue et à sa culture, qui est bien représentée dans le monde entier grâce à son réseau de coopération et d’action culturelle. De nombreuses écoles du primaire et du secondaire proposent localement des cours de français, de plus en plus validés par des certifications officielles comme le DELF scolaire. Mais si les étudiants n’ont pas pu apprendre le français dans leur plus jeune âge, ils ont la possibilité de s’inscrire dans une des presque mille alliances françaises ou dans un des cent cinquante instituts français présents sur les cinq continents. En 2010, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) donne une vue d’ensemble sur la situation du français en tant que « langue pour apprendre » : « Au total (près de 180 États et gouvernements observés), ce sont plus de 116 millions de personnes qui suivent un enseignement du ou en français dans le monde, auxquelles il convient d’ajouter les 500 000 personnes inscrites dans le milieu d’alliances françaises, les 40 000 apprenants des réseaux de la Mission Laïque Française (MLF) et les 20 000 élèves scolarisés dans la cinquantaine d’établissements et d’écoles affiliées de l’Alliance Israélite Universelle (AIU). » (2010 : 105) Ce même rapport précise également que : « Globalement, le français enseigné comme une langue étrangère (FLE) progresse donc légèrement. » (ibid) La promotion de la langue française obtient de bons résultats sur le nombre total d’apprenants, qui restent majoritairement dans leur pays d’origine. C’est pourquoi les résultats du questionnaire nous apprennent que 90% des participants n’ont pas passé leur bac en français, et que nous sommes bien dans une situation d’apprentissage de la langue française comme langue étrangère et non maternelle ou seconde.
Nous en arrivons à la nature des cours suivis qui, d’après les résultats du questionnaire, sont majoritairement dispensés dans le pays d’origine et en grande majorité, sans utilisation d’une plateforme d’enseignement à distance ou hybride pour apprendre le français, ce qui laisse penser qu’ils ont reçu des cours de FLE « classiques », dans la lignée de l’approche communicative, en présentiel en classe avec un enseignant et une méthode comme guide dans la progression des connaissances.
Étant donné que l’approche communicative est apparue vers le début des années 70, on peut imaginer que la plupart des enseignants de français ont adopté cette méthodologie pour dispenser leurs cours. C’est en suivant les propos de Beacco (2007 : 62) que l’on comprend l’intérêt de cette méthodologie : « Si l’approche communicative présente, à l’origine, un profil technique moins accusé que les méthodologies constituées qui l’ont précédée, son mode de diffusion dans le domaine du français langue étrangère a accentué cette caractéristique, en focalisant l’intérêt des utilisateurs sur certains de ses éléments constitutifs plutôt que sur la stratégie d’enseignement qu’elle dessine. » Cette approche a connu dès lors un grand succès et a été adoptée massivement dans les matériaux d’enseignement qui se réclament de l’approche communicative puisqu’elle « se trouve correspondre, en large partie, à une nouvelle forme de demande sociale en langues, correspondance qui peut en favoriser la diffusion et l’implantation » (Beacco 2007 : 63). L’intérêt principal de l’approche communicative est de répondre aux exigences des apprenants qui « attendent d’un enseignement qu’il leur permette d’acquérir un savoir-faire immédiatement ou rapidement réinvestissable » (Beacco 2007 : 63). Ainsi, les solutions apportées par l’approche communicative ont permis de raccourcir « la distance vécue entre apprendre et utiliser, rapprochant les formes scolaires de l’enseignement des modalités d’acquisition et d’utilisation naturelles des langues » (Beacco 2007 : 64).
Toujours d’après le même auteur (2007 : 37), « l’approche par compétences ou encore approche par objectifs, dérive de l’approche communicative ou, plutôt, elle en constitue l’interprétation la plus « forte » ou « haute », qui s’est désagrégée, pour le français et/ou en France dans une pratique « faible » ou « basse ». » Nous préciserons cette approche didactique par compétences en I.3.2, et l’utiliserons pour développer notre formation aux écrits universitaires par un dispositif multimédia dans la troisième partie puisqu’il semble que l’interprétation « basse » de l’approche communicative s’apparente en pratique davantage à une « approche globaliste ».
Cette dernière puise ses origines dans les stratégies de type « grammaire traduction » et se caractérise par une méthodologie non identifiée et à cohérence faible, ce qui n’empêche pas qu’elle soit « installée dans les pratiques effectives depuis la première moitié du XXe siècle. » (2007 : 47) L’étude des caractéristiques techniques de l’approche globaliste présentée par Beacco (2007 : 49-53) nous laisse déduire que beaucoup de manuels d’enseignement actuels adoptent cette approche en mettant en avant « sa cohérence de la conception de la langue comme une totalité et d’une stratégie de la polyvalence ». Or, il ne semble pas que l’approche globaliste soit bien adaptée à la définition de l’approche communicative pour l’apprentissage des langues étrangères et qu’elle amène à des résultats peu concluants, d’autant plus quand il s’agit de publics aux besoins spécifiques, ce qui est le cas de la majorité des apprenants qui ont tous une raison ou une motivation particulière, spécifique.
C’est donc l’approche didactique adoptée par les manuels d’enseignement et les enseignants qui semble être à la source des problèmes rencontrés par les étudiants étrangers lors de leur arrivée dans un cursus d’enseignement supérieur en français. D’après le questionnaire adressé aux anciens étudiants étrangers, ils estiment à une forte majorité que leurs problèmes principaux ont été d’ordres institutionnel et méthodologique pendant les six premiers mois de leurs études, bien plus que d’ordres culturel ou linguistique. Tout cela mène à une situation où « les résultats académiques des étudiants étrangers sont généralement moins bons que ceux des étudiants français. Les redoublements et les retards sont importants. L’obstacle de la langue joue un rôle non négligeable, ainsi que les conditions matérielles difficiles dans lesquelles vivent nombre d’entre eux. » (Coulon : 2003).
À ceci vient s’ajouter le niveau d’études qui montre que plus le niveau d’études est élevé, plus les étudiants étrangers réussissent d’après le rapport de l’enseignement supérieur et Recherche (2010 : 6) : « Arrivés en dernière année d’un cursus universitaire, les Français obtiennent plus fréquemment leur diplôme que les étrangers ; l’écart est plus réduit pour les masters que pour les licences. […] À regroupement disciplinaire, académie, âge à l’examen et sexe des étudiants donnés, les Français réussissent mieux que les étrangers bacheliers et ceux-ci mieux que les étrangers non bacheliers ».
Enfin, le profil des étudiants a lui-même changé car comme le précise Abry en ouverture du colloque sur la nouvelle donne pour les centres universitaires de FLE (2004 : 10) : « Alors que nous accueillions, jusqu’à il y a peu, des étudiants qui, dans leur grande majorité, venaient en France pour compléter ou enrichir une formation universitaire accomplie dans leur propre pays, nous recevons aussi aujourd’hui des étudiants dont le projet académique est de suivre, dans nos universités, à l’instar de nos étudiants nationaux, des cursus français diplômants ».
La nouvelle donne dans les besoins et les profils des étudiants étrangers est donc posée et il semble que les cours de français reçus préalablement ne soient pas suffisamment adaptés d’un point de vue didactique afin de leur permettre une réussite sereine dans leur cursus d’enseignement supérieur. Face à cette situation ambiguë, une nouvelle déclinaison du Français sur objectifs spécifiques(2), celle du Français sur objectif universitaire(3), a vu le jour il y a deux ans, et nous allons expliquer en quoi notre problématique s’inscrit dans cette démarche.
I.2. La définition du français sur objectif universitaire en réponse aux besoins spécifiques des étudiants étrangers
Même si l’acronyme du FOU est assez récent dans la littérature, l’approche didactique que cette méthodologie implique est connue depuis plusieurs décennies dans l’enseignement du français, mais également de l’anglais. Dans la lignée du FLE et du FOS, il présente certaines distinctions méthodologiques pour mieux répondre aux besoins du public d’étudiants étrangers intégrant un cursus d’études supérieures. C’est ce que nous décrirons par la suite en présentant des travaux de recherche et un exemple de formation.
I.2.1. Les prémices du FOU
C’est dans un premier rapport publié en 1989 par le CRAPEL que nous trouvons la question des études supérieures en langue française. Au cours de leur réflexion, l’expression « français technique et scientifique », « lourde de malentendus de toutes sortes » a été abandonnée au profit de celle de « français langue d’enseignement universitaire », (FLEU) afin de mieux comprendre ce qui « pose un problème aigu dans plusieurs pays francophones ». (1989 : 32) Nous sommes dans une situation de Français langue seconde car le rapport porte sur des opérations de formation de formateurs en Tunisie et à Madagascar. Dans les deux cas, alors qu’ils ont été scolarisés dans le secondaire en langue maternelle (l’arabe et le malgache), les étudiants suivent des cours en français dans leur pays d’origine lors de leurs études supérieures car « pour un ensemble de raisons historiques et techniques, le vecteur de l’enseignement supérieur reste, pour l’essentiel, le français ».
(1989 : 32) La situation est telle qu’à Madagascar « le taux d’échec est important et peut être imputé, au moins en partie, aux difficultés en français des étudiants ». En Tunisie, le diagnostic est très semblable à celui de l’action à Madagascar : « les difficultés mises en lumière sont plutôt liées à l’utilisation des connaissances en français qu’aux connaissances elles-mêmes ». (1989 : 35) Certes, nous sommes dans une situation de formation de formateurs, mais les modules sont définis de telle sorte que les formateurs orienteront leurs cours vers des travaux sur la communication orale, sur la lecture de documents et la rédaction scientifique, puis sur la compréhension orale et la prise de notes.
Nous retrouvons presque les mêmes objectifs généraux dans la « préparation aux études universitaires » élaborée par l’ambassade de France au Maroc en collaboration avec la faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de Marrakech en 1991 pour répondre aux difficultés des étudiants marocains lors de leur parcours universitaire. En effet, « le fait de ne pas avoir utilisé cette langue [le français] comme instrument d’accès à la connaissance et de construction des savoirs scientifiques représente pour ces étudiants une source de difficultés, dès lors qu’il s’agit de s’affirmer en tant qu’usager d’un français langue d’enseignement dans le supérieur. » Ces difficultés se traduisent de deux façons : « au niveau de la connaissance et de la réalisation de certains savoirfaire indispensables, en principe, dans l’enseignement supérieur (prise de notes, traitement d’une documentation, exposés, rédaction de documents normés…) » mais également en inférant « des imprécisions dans la perception et l’expression des modes d’exposition et des raisonnements dans des situations de type didactique ». (1991 : V). Nous sommes bien ici dans une situation de FOS où le public étudiant en sciences économiques et sociales va devoir s’adapter à un nouveau type de cours dans une langue, qui lui est parfois, seconde afin de pouvoir réussir ses études supérieures.
Toujours dans les années 90, les besoins spécifiques de ce public qui étudie en langue étrangère ont été détectés et analysés dans les travaux de Jordan concernant l’English for Academic Purposes(4).
Cette comparaison transnationale nous permet de montrer que la problématique n’est pas récente dans les pays anglophones et que le FOU rejoint parfaitement le cadre de l’EAP. Les compétences à acquérir par les apprenants sont des study skills(5) qui sont « a key component in EAP »(6). (1997 : 5) L’essence des study skills est ainsi définie : « abilities, techniques, and strategies which are used when reading, writing or listening for study purposes. »(7) (1997 : 6) Chaque study skill est associé à une situation d’apprentissage et à une activité. Par exemple, dans la situation d’un cours magistral, l’activité consiste à comprendre les discours. Pour cela il y a trois study skills requis : « listening and understanding ; note-taking ; asking questions for repetition, clarification and information »(8). Dans une autre situation, celle de la sphère privée et personnelle, où l’activité académique consiste à lire des ouvrages en référence avec le domaine d’études, les study skills sont plus nombreux car l’étudiant doit : « reading effeciently : comprehension and speed ; scanning and skimming, evaluating ; understanding and analysing data ; note-making, arranging notes in hierarchy of importance ; summarising and paraphrasing. »(9) (1997 : 7) Ces savoir-faire sont déclinés en plusieurs situations et dans de nombreuses activités qui sont identiques dans un contexte universitaire anglophone ou francophone.
La définition de l’EAP que l’on peut donner, d’après Dudley Evans et St John, (1998 : 34) « refers to any English teaching that relates to a study purpose. Students whose first language is not English may need help with both the language of academic disciplines ans the specific study skills required of them during their academic course. »(10) Il y a également une entrée définissant l’EAP sur Wikipédia qui explique que cette branche de l’enseignement de l’anglais langue étrangère « entails training students, usually in a higher education setting, to use language appropriately for study. It is a challenging and multi-faceted area within the wider field of English language learning and teaching (ELT), and is one of the most common forms of English for specific purposes (ESP) »(11).
Cette définition correspond bien à celle du FOU puisqu’elle est une sub-division du FOS et nous reprendrons l’idée du schéma de Jordan (1997 : 3) pour déterminer la place du FOU dans le domaine du FLE dans la sous-partie suivante.
I.2.2. Du français, langue généraliste, au français, langue spécialiste
La plupart des apprenants étrangers non francophones suivent des cours de « français » et la majorité des écoles et centres de langues proposent des cours de « français ». Mais que sous-tend cette appellation de cours de « français » ? Bien souvent, cela fait référence à des cours de FLE aux objectifs généraux, usuels et culturels qui visent une acquisition progressive de la langue étrangère en fonction de critères linguistiques et communicatifs pensés du plus simple au plus complexe. Il paraît en effet plus simple d’acheter un dessert dans une boulangerie, que de raconter ses dernières vacances ou que de faire une présentation argumentée. Ce type de progression, défini assez précisément compétences par compétences par le CECRL, s’adresse à un public qui étudie la langue étrangère sans raison particulière, car ils y sont obligés ou bien pour faire du tourisme, par exemple. Cependant, cela ne justifie ni la progression linguistique, car on peut se demander pourquoi on n’aurait besoin du subjonctif présent qu’à partir d’un niveau B1, ni la progression thématique car cela ne répond pas forcément aux besoins du public apprenant.
Face à des demandes de plus en plus explicites de la part des apprenants, à des temps de formation réduits et à la mobilité universitaire et professionnelle internationale, il a fallu proposer autre chose que des cours généralistes de FLE en offrant des cours plus spécialisés. Les expériences du français instrumental et du français fonctionnel dans les années 70-80 ont mené au français de spécialité dans une discipline dans les années 90, puis au français sur objectifs spécifiques au cas par cas depuis les années 2000. Ce sont Mangiante et Parpette en 2004, repris par Carras et Tolas (2007 : 18), qui expliquent que « la distinction entre Français de Spécialité et Français sur Objectifs Spécifiques tient essentiellement au fait que ces types de formations s’inscrivent dans une logique différente : demande dans le cas du FOS, offre dans le cas du Français de Spécialité. Le terme demande recouvre le cas où un besoin extérieur précis, pour un public dûment identifié, est à l’origine du programme de formation. Celui d’offre recouvre les cas où une institution propose une formation à des publics potentiels ». Mais que peut-on proposer didactiquement face à une demande de langue de spécialité, qui n’est ni un sous-système, ni une sous-langue, par un public aux besoins précis ?
Dans la situation où ce sont des étudiants étrangers en formation initiale qui suivent des cours de langue en vue d’intégrer un cursus d’enseignement supérieur en français, nous suivons Mangiante et Parpette qui décrivent qu’« une déclinaison de la démarche FOS semble la plus appropriée puisqu’elle se fonde sur une analyse des besoins avérées d’un public donné , en l’occurrence les étudiants étrangers, et qu’elle suppose des contraintes matérielles et temporelles justifiant d’établir des priorités pour faire face à une situation urgente. » (2011 : 41) Nous reviendrons en détail sur cette déclinaison du FOS, le FOU, en I.2.3 étant donné que nous fondons notre projet multimédia en apprentissage hybride sur ce type de publics et de besoins, donc sur cette approche didactique.
Dans la situation où ce sont des adultes professionnels étrangers déjà en activité dans leur pays ou qui arrivent dans un pays francophone, aucune déclinaison professionnelle du français de spécialité ne semble satisfaire Mourlhon-Dallies. (2008 : 44) D’après elle, ni la démarche du français de la communication professionnelle qui « vise l’exercice en français d’une quelconque activité grâce à une transversalité par la recherche d’un dénominateur commun aux différents secteurs professionnels », ni celle du français à visée professionnelle, qui est « un ancrage dans les domaines de spécialité, mais ces domaines sont en général très édulcorés », ne permettent de répondre aux compétences spécialisées en langue des publics professionnels avec parfois un faible niveau de qualification. Dans ce cas, Mourlhon-Dallies se demande si l’on doit parler de langues spécialisées ou de discours spécialisés pour permettre « l’usage d’une langue naturelle pour rendre compte techniquement de connaissances spécialisées. » (2008 : 31). À sa suite, nous constatons qu’il est préférable d’employer le terme de discours spécialisés car ils sont « contraints par une situation d’énonciation que l’on peut rapporter à un lieu social professionnel et qui supposent la transmission ou l’échange d’informations ou de connaissances théoriques ou pratiques […] entre des énonciateurs qui ont un statut socioprofessionnel ou une position sociale définis et dont le message a une visée pragmatique précise. » (2008 : 36).
Étant donné l’hétérogénéité des publics apprenants de français en tant que langue étrangère, nous suivons l’idée selon laquelle l’apprentissage doit être ciblé et adapté en fonction des besoins de chacun afin d’offrir une meilleure communication en langue étrangère dans une situation donnée.
Établi à partir des différents courants que nous venons d’expliquer, le schéma suivant synthétise les différentes branches de la famille de l’enseignement du français avec objectif en fonction des quatre compétences du CERCL.
Branche la plus récente de cette grande famille, nous nous intéresserons désormais au FOU et présenterons sa description introduite, d’une part, en 2010 au Colloque de Perpignan puis, d’autre part, par Mangiante et Parpette dans Le français sur objectif universitaire. Cette définition sera suivie d’un exemple de formation en FOU afin de mieux comprendre les enjeux développés pour ce type de public.
I.2.3. L’émergence et la structuration du français sur objectif universitaire
Bien que la problématique de la formation linguistique des étudiants étrangers ne soit pas récente, comme nous l’avons montré en 1.2.1, la littérature universitaire française a officialisé le concept de FOU il y a tout juste deux ans, en 2010, ce qui ne paraît pas surprenant au vu des chiffres présentés en I.1, qui justifient l’urgence de la situation pour mieux répondre aux besoins de ce public en plein essor. Étant donné que notre projet d’ingénierie de formation multimédia s’adresse à des publics adultes étrangers suivant leurs études supérieures en français, nous présenterons les moments-clés dans la définition du FOU puis nous en dégagerons les contenus à développer afin de proposer une solution adaptée à leur demande spécifique.
I.2.3.1. Le colloque sur le FOU à Perpignan
Le colloque Forum Héraclès et université de Perpignan Via Domitia intitulé « le français sur objectifs universitaires » s’est tenu du 10 au 12 juin 2010 au Centre Universitaire d’Études Françaises(12) de Perpignan. Nous pouvons préciser qu’il existe en France 38 centres universitaires pour étudiants étrangers, qui sont regroupés dans l’Association des Directeurs de Centres Universitaires d’Études Françaises pour Étrangers(13) depuis les années 70 « pour répondre à la demande d’étudiants et de formateurs étrangers de plus en plus nombreux à se tourner vers nos universités pour des formations diplômantes d’études françaises. » (Abry, 2004 : 9). Leur premier colloque s’est tenu en 2003 pour faire face à l’évolution, voire à la « révolution », des CUEF : « Face à l’accroissement des effectifs des étudiants étrangers, mais surtout aux nouveaux profils et aux nouvelles demandes des publics qu’ils accueillent, nos centres s’interrogent sur les nouveaux défis pédagogiques auxquels ils sont confrontés. » (ibid) Un de ces nouveaux défis est de proposer une ouverture des CUEF aux étudiants non-spécialistes et pour le grand public, ce qui a orienté la thématique du 5e colloque de l’ADCUEFE vers le FOU. Comme l’indique en effet le directeur du CUEF de Perpignan : « pour répondre à une demande croissante au niveau de la coopération universitaire (mobilité étudiante, enseignante), mais aussi sur le plan social (migration, intégration), et professionnel, conséquence directe de la mondialisation et de l’accélération des échanges qui engendrent le besoin d’apprendre les langues dans une visée professionnelle ; ces centres sont apparus de plus en plus comme complémentaires de l’activité de formation initiale dispensés par les départements d’études françaises et de langues étrangères. » (2010 : 15)
Mais que signifie l’émergence du terme FOU « dont ce colloque [celui de Perpignan] signe en quelque sorte l’acte de naissance officiel » ? Dans son intervention, Bouclet le désigne comme « facile à prononcer, facile à mémoriser, un brin provocateur, il s’inscrit dans une filiation directe avec le FOS » (2010 : 109). Il se demande néanmoins dans quelle mesure l’appellation FOU, déclinaison du FOS, est adaptée aux réalités des situations d’intégration au monde universitaire français puisque le FOU « aborde des contenus principalement transversaux. Or, le FOS, d’où le FOU tient son nom, ne vise pas l’acquisition de contenus transversaux, mais des contenus ciblés, spécifiques. » (ibid) C’est en faisant référence à l’EAP et aux travaux anglo-saxons présentés en I.2.1 que Bouclet émet l’idée qu’il « paraît tout à fait envisageable d’avoir une approche FOU spécifique, à l’instar du français de spécialité, voire du FOS. » (2010 : 117) Nous inscrivons la conclusion de Bouclet comme un point de repère didactique important dans notre démarche de conception multimédia en production écrite universitaire qui tiendra compte à la fois de la transversalité et de la spécificité du FOU.
I.2.3.2. Les travaux de Mangiante et Parpette
À la suite du colloque « fondateur » de l’appellation de FOU, les travaux didactiques exposés par Mangiante et Parpette en 2011 n’ont pas repris la pluralité des objectifs dans le titre de leur ouvrage, car, d’après eux, ce sont les contenus pluriels qui s’inscrivent dans la singularité de l’objectif, transversal, à savoir une bonne intégration des étrangers aux études universitaires en français. Nous présenterons les contenus déterminants par les auteurs pour atteindre cet objectif, puis la méthodologie à suivre pour concevoir une formation sur objectif universitaire afin de dégager certaines caractéristiques pour notre projet didactique multimédia en III.2.1.
Lors de la conception d’une formation, le didacticien détermine des objectifs, des compétences et des contenus. Contrairement aux formations FLE « généralistes », qui adaptent des contenus progressifs en fonction des niveaux et des quatre compétences prédéterminées par le CECRL de la division des politiques linguistiques du conseil de l’Europe, les formations en FOU définissent en priorité des contenus, qui ne sont pas forcément en adéquation avec les critères du CECRL. Le tableau des contenus de formations proposé par Mangiante et Parpette montre bien que c’est l’objectif universitaire qui est privilégié.
Ce tableau récapitulatif regroupe des objectifs linguistiques généraux et spécifiques en association avec des contenus directement liés avec la poursuite d’études dans un système universitaire étranger qui nécessite également la connaissance d’aspects culturels, institutionnels et méthodologiques. Afin de définir un programme de formation hybride, présenté en troisième partie, qui soit le mieux adapté aux contenus précédemment mentionnés, nous reprendrons et adapterons les propos de Mangiante et Parpette qui expliquent que « la démarche conduisant à l’élaboration de programmes de FOU se déroule suivant les mêmes étapes que la démarche FOS : » (2011 : 41-43)
· Identification de la demande : elle peut être explicite dans le cas d’un partenariat entre deux universités. Dans notre cas d’étude, nous offrons une formation sans qu’il y ait eu de demande explicite formulée préalablement.
· Analyse des besoins : « Les besoins essentiels sont la compréhension des cours, le respect des modalités de travail, la maîtrise de la méthodologie de production des écrits et des prestations orales, le savoir-faire dans la communication institutionnelle et dans les situations de la vie étudiante. » Dans notre projet de formation hybride, nous nous intéresserons aux besoins de maîtrise de la méthodologie de production des écrits. Les autres besoins seront travaillés en présentiel avec l’enseignant.
· Collecte des données : « Les données sont constituées à la fois par un recueil de discours et documents « existants » et par la constitution de discours « sollicités » avec des interviews d’acteurs de la vie universitaire. » Dans notre situation, cette étape correspond aux données obtenues auprès d’étudiants étrangers en cours de préparation à leurs futures études en français, auprès d’anciens étudiants étrangers ayant fini leur cursus universitaire en français et auprès d’enseignants de FLE et/ou de FOS.
· Analyse des données : C’est une étape « lourde et capitale » qui confronte le concepteur FOU « à des discours peu traités dans la tradition de l’enseignement des langues, et la découverte de leurs caractéristiques pragmatiques, discursives, lexicales, syntaxiques demande du temps. » Dans notre étude, nous ne fonderons pas sur l’analyse des discours universitaires pour la conception de la formation hybride en FOU, car ils sont bien décrits par les auteurs. Nous nous attacherons davantage à analyser les situations, les besoins, les problèmes et les commentaires des différents acteurs ayant participé aux enquêtes.
· Élaboration didactique : « L’élaboration des unités d’enseignement comporte différentes facettes : détermination de la stratégie ; choix des spécificités pragmatiques et linguistiques ; traitement technique des données audio et vidéo ; élaboration des activités en fonction des modalités d’apprentissage privilégiées ; détermination des dispositifs d’enseignementapprentissage ». Nous développerons l’élaboration didactique de notre projet multimédia selon ces critères en III.1.2.
I.2.3.3. Les implications du FOU sur les enseignants et les apprenants
Fondant notre analyse sur ce postulat, il semble nécessaire de nous intéresser à ce qu’impliquent en termes de dimension discursive la préparation, la compréhension et la production d’écrits universitaires pour un étudiant étranger qui s’inscrit à des cours de réparation dans cet objectif. Le rôle de l’enseignant de langue étrangère est primordial car il offre à l’apprenant de nouvelles occasions d’utiliser des formes discursives peu utilisées jusqu’à présent, comme le définit Widdowson (1981 : 27) : « Il est facile de voir que l’adoption d’une telle approche [une langue étrangère peut être associée aux domaines d’emploi représentés par les autres matières inscrites au programme] ferait disparaître dans une large mesure les difficultés liées à la présentation de la langue en emploi dans la classe.[…] Un cours de langue doit faire appel à des domaines d’emploi en liaison avec des thèmes pour que l’enseignement de la langue ne soit pas de la linguistique ou de la philologie. » Bien que ses propos datent de la fin des années 70, Widdowson était déjà précurseur du FOU en signifiant que l’approche communicative devrait procéder à une analyse des discours thématiques afin de faire intervenir des sujets adaptés, concrets et spécifiques aux situations des apprenants pour qu’ils ressentent le besoin et l’envie de communiquer en langue étrangère.
Widdowson souligne même que « certains élèves auront véritablement besoin de la langue qu’ils étudient pour poursuivre des études précisément dans le domaine d’investigation faisant appel à cette langue » (1981 : 28)
Cependant, de la part de l’apprenant, cela nécessite une faculté d’acculturation « dont les implications en termes de compétences linguistiques sont contraignantes », comme l’analyse Lebeaupin (2010 : 339) lors de son intervention au colloque de Perpignan. Il explique que les compétences transdisciplinaires attendues des étudiants « concernent l’élaboration d’une langue de travail capable de véhiculer un sens académique recevable » qui imposent de « fortes contraintes discursives au-delà de la seule connaissance d’un lexique de spécialité isolé. » Par conséquent, les « besoins culturels en contexte du public concerné », qui supposent une acculturation à l’oral et à l’écrit universitaire, (2010 : 340) requièrent de nouvelles priorités à prendre en compte lors de l’élaboration de la formation sur objectifs universitaires. En conclusion, Lebeaupin se permet d’insister sur le pluriel nécessaire des objectifs universitaires car « les moyens linguistiques sont déterminés par des objectifs méthodologiques, culturels, c’est-à-dire des comportements. » (2010 : 346)
I.2.3.4.Un exemple de formation en FOU
En réponse à la demande croissante de formation de la part des étudiants étrangers, les spécificités du FOU ont été définies avant de voir concrètement les différents CUEF de France proposer des programmes ou des Diplômes d’Université intitulés « sur objectif universitaire » comme l’a fait l’Institut d’Études Françaises pour Étrangers(14) de Montpellier. (cf. annexe 1 p.75) La formule propose deux semestres de formation avec 665 heures de cours à l’IEFE pour préparer l’entrée à l’université française. Ce volume horaire, plus important au premier semestre qu’au second, est réparti de la façon suivante :
· Langue française pour étudiants étrangers = 396,5 heures (60%)
· Auto-apprentissage, tutorat, suivi pédagogique = 100 heures (15%)
· Français sur objectifs disciplinaires = 90,5 heures (14%)
· Culture universitaire = 78 heures (11%)
La part du linguistique (grammaire, compréhension / production orales et écrites) est incontestablement la plus importante, ce qui réduit la spécificité de cette formation à une moindre mesure. La deuxième part la plus importante de cette formation, présentée comme « un accompagnement personnalisé dans l’élaboration du propre projet universitaire », se fait grâce à une plateforme numérique. Cette dernière propose des ressources en ligne, des exercices interactifs, des travaux collaboratifs, des devoirs en ligne et favorise les interactions en ligne mais son fonctionnement et son contenu ne sont pas détaillés. Enfin, les approches méthodologique et disciplinaire représentent 25% du temps de la formation. À la fin de l’année de formation, les étudiants seront titulaires d’un DU en FOU et d’un DELF B2, sous réserve de réussite à l’examen.
Cela nous amène à penser que lors de la réalisation de l’ingénierie de cette formation, la spécificité des besoins du FOU n’a pas vraiment été mise en valeur étant donné que la part du travail sur le linguistique reste prédominante. De plus, pour les étudiants, cela signifie un investissement en temps car ils consacrent toute une année pour se préparer à leurs futures études et un lourd nvestissement financier puisque cette formation coûte 4880 euros, prix auquel il faut ajouter les dépenses de la vie quotidienne, ce qui sélectionne déjà le nombre de postulants éventuels à une telle formation. Cette solution de formation en FOU en France présente donc plusieurs inconvénients auxquels nous allons essayer de remédier par le biais de la conception d’un dispositif multimédia scénarisé hybride.
La proposition d’un projet de préparation aux écrits universitaires en formation hybride multimédia sur une plateforme d’enseignement accessible dans le monde entier via internet permettra aux futurs étudiants de se former dans leur pays d’origine, en parallèle ou en complément d’une autre activité. Cette formation aura pour vocation de travailler uniquement les compétences spécifiques à ce public de manière transversale afin d’éviter que les supports et les activités de formation en ligne soient mal adaptés à la problématique de l’intégration universitaire pour offrir une solution efficace qui préparera aux différents cursus disciplinaires. Mais avant de présenter le dispositif multimédia, nous nous intéresserons au domaine des TIC pour mieux comprendre en quoi les nouvelles technologies peuvent apporter une solution aux spécificités du FOU.
I.3. L’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication(15) dans l’enseignement/apprentissage du FOU
Afin de trouver une solution qui améliore l’efficacité de l’enseignement / apprentissage des langues étrangères, les TIC ont servi depuis les débuts de l’informatique dans les années 60, puis ont évolué en fonction des avancées didactiques et technologiques. Malgré l’essor des solutions multimédia existantes, nous verrons que leur utilisation reste assez marginale dans l’enseignement aujourd’hui car de nombreuses contraintes viennent remettre en cause leur efficacité. Cependant nous montrerons en quoi l’utilisation d’un dispositif de formation hybride, qui est un ensemble d’éléments articulés ayant pour finalité la production de compétences individuelles avec une alternance entre un enseignement/tutorat en présentiel et à distance, conviendrait à l’approche par compétences et par tâches que nous souhaitons développer dans une formation en FOU.
I.3.1. L’évolution des TIC appliquées à la didactique des langues
C’est dans l’introduction du numéro 40 des Recherches et Applications du Français dans le monde publié en 2006 que Dejean-Thircuir et Mangenot donnent un cadrage historique aux outils des « échanges en ligne dans l’apprentissage et la formation » : « En français langue étrangère, les premiers échanges à distance faisant appel à la technologie ont été les conférences télématiques internationales par minitel, organisées par Francis Debyser dès les années 80 ; il s’agissait alors la plupart du temps d’écriture collective de fictions et la communication avait lieu en mode écrit synchrone. […] Depuis, internet s’est installé dans le paysage de la didactique des langues ; les pratiques faisant appel à la dimension de communication de ce réseau se sont multipliées et diversifiées. Ces usages s’appuient sur de nombreux outils, tantôt synchrones (clavardage, son synchrone, visioconférence), tantôt asynchrones (courriels, forums, blogs, etc.) » (2006 : 5) Du logiciel jusqu’à internet, ce sont surtout les possibilités de communication offertes par les différents outils informatiques qui intéressent le didacticien, même s’il semble qu’il y ait une forte corrélation entre l’évolution technologique et les outils de communication existants.
Guichon (2012 : 112) présente la corrélation entre les évolutions informatique et didactique.
D’après lui, « les potentialités informatiques, au fil des années, vont gagner :
· en souplesse dans l’individualisation des parcours et les rétroactions ;
· en richesse en ce qui concerne la combinaison des supports différents et la création d’une réelle interactivité entre eux et les apprenants ;
· en potentiel communicationnel en diversifiant les manières de collaborer et d’interagir en ligne. »
Dans son chapitre sur « l’approche par tâches et l’apprentissage d’une L2 médiatisée par les technologies », Guichon (2012 : 110) reprend les travaux de Warschauer et Meskill (2000), pour donner une perspective historique aux relations entre approches théoriques didactiques et leurs implications sur l’usage de l’informatique. D’après ces deux auteurs, les premières traces de la technologie dans l’enseignement des langues remontent aux années 60-70, époque béhaviouriste, où « l’ordinateur était principalement vu comme un tuteur mécanique et les activités médiatisées conçues et proposées aux apprenants s’apparentaient généralement à des exercices répétitifs visant au développement d’automatismes et généralement assortis de rétroactions de type « vrai » ou « faux ». » Ceci n’est qu’une vision générale mais bien que l’influence systématique et structurale des formes linguistiques soit « inefficace » sur l’acquisition d’une langue étrangère, il semble toujours actuellement que « la possibilité offerte par les TIC de fournir des exercices pour pratiquer des points de grammaire ou mémoriser du lexique est considérée par beaucoup des acteurs de la situation éducative comme l’essence même de l’apprentissage médiatisé. » (2012 : 111) Face aux temps de formation réduits et souvent intensifs, cette situation peut effectivement permettre de dégager du temps en présentiel pour travailler d’autres compétences même si le traitement des formes grammaticales et lexicales lors de la conception de l’activité peut être abordé de façon moins béhaviouriste.
C’est ce qu’a essayé de promouvoir l’approche cognitive de l’apprentissage, qui favorise le processus de construction et non d’acquisition des connaissances, à partir de la fin des années 70.
Les dispositifs d’apprentissage médiatisé alors conçus « continuent à proposer des activités visant à développer des compétences linguistiques à force de répétition, mais le format de l’exercice structural se fait plus rare et on offre à l’apprenant un degré plus élevé de contrôle sur son parcours d’apprentissage et d’interactivité avec le système, ainsi que des activités plus complexes qu’auparavant. » (ibid) Cette approche didactique nous semble en effet responsabiliser l’apprenant en lui offrant une progression adaptée à son rythme et à ses besoins, ce qui fera partie de notre projet multimédia exposé en troisième partie.
Cependant, il manque encore les notions d’actions et de tâches, préconisées dans l’approche par tâches des anglo-saxons Nunan (1989) et Ellis (2003) qui contextualisent l’utilisation de la langue étrangère dans des « situations de réception aussi socialement vraisembables que possibles. » (2007 : 186) Cet accent fait référence à l’approche sociocognitive de l’enseignement d’une langue étrangère qui met en situation l’apprenant afin qu’il participe à des activités sociales. Il semble que cette dernière approche corresponde parfaitement aux objectifs visés par notre formation aux écrits universitaires étant donné que les futurs étudiants étrangers vont devoir construire une nouvelle vie sociale en langue étrangère tout aussi bien au sein de leur établissement d’accueil, en ayant des contacts avec les enseignants et les étudiants, que dans leur vie quotidienne dans le pays d’accueil.
Nous avons vu qu’il y a eu une progression des approches didactiques dans l’enseignement de langues étrangères liée aux progrès technologiques, et même si nous parlons désormais de l’utilisation des TIC pour l’enseignement, cette terminologie a elle aussi évolué pendant les cinquante dernières années.
Demaizière (2007) présente cette évolution par analogie avec le concept d’aide que peut fournirla technologie. Dans les années 60 et 70, on parlait d’Enseignement Assisté par Ordinateur(16) grâce àun tutoriel, qui impliquait une évaluation de l’apprenant ou une présence enseignante. Elle considère « que l’on est, avec l’EAO « classique » dans l’approche par l’instruction selon le contrastehabituel des psychologues entre instruction, action et consultation, (auquel on peut souhaiter ajouter l’exploration). Je rappellerai immédiatement que tout enseignement n’est pas purement expositif ou déductif. On peut adopter une démarche inductive et une pédagogie interrogative, essayant par exemple de conduire, dans un tutoriel, une conceptualisation ou une observation raisonnée de la langue. » L’aide apportée par l’EAO était un « commentaire de réponses » qui fonctionnait soit comme un guidage vers une bonne réponse, soit comme une évaluation de l’apprenant, ce qui correspond à l’approche béhaviouriste de cette époque.
Pour mieux répondre à l’approche constructiviste de l’apprentissage, dès le milieu des années 70, l’EAO s’est transformé en Applications Pédagogiques de l’Informatique ou de l’Ordinateur (API ou APO) qui laissaient le choix de l’aide à l’initiative de l’apprenant. Cependant, « les simulations ou les navigations libres » ont vite présenté des risques et la technologie des API a introduit des « simulations guidées ».
Ce travail de guidage et d’aide s’est davantage accru avec l’intervention des tuteurs en Formation Ouverte et À Distance(17) dans les années 1990-2000. La définition qu’en donne le site Compétice(18) insiste bien sur l’hybridation de ce type de formation sans le contrôle permanent d’un formateur « entre des activités en présentiel et des activités à distance, basée sur une alternance de situations d’apprentissages complémentaires en terme de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de ressources. » Mais nous pouvons nous demander quelle est la place des TIC à l’instar de la FOAD ? Un nouveau terme répondant à une autre approche didactique ou une complémentarité de la FOAD ?
Les TIC sont la réponse technologique à la FOAD étant donné que le site Compétice(19) définit les TIC comme « l’ensemble des moyens techniques permettant à la fois la communication entre acteurs distants, la diffusion/collecte d’informations, et l’animation des séquences de formation multimédia. » Suite à cette définition et aux travaux de Guichon (2012 : 43), nous voyons que les TIC sont une réponse technologique à la formation à distance et/ou un outil complémentaire à utiliser en classe puisqu’ils ont « des caractéristiques sociales en examinant les utilisations qu’elles occasionnent. » Afin de nous aider à mieux développer notre projet de formation hybride en FOU, nous reprenons le tableau de Guichon de la typologie des TIC selon leur fonction pour mieux cibler les différentes fonctions et possibilités offertes par les TIC :
Dans le cadre de notre dispositif médiatisé, nous utiliserons les technologies de diffusion pour donner accès à la langue étrangère lors des phases de tutorat en présentiel, les technologies d’édition pour publier les documents de référence, et les technologies de communication médiatisée pour permettre la communication entre les apprenants et avec leur tuteur.
Les TIC apparaissent être une bonne solution pour répondre aux besoins de notre projet et rendre la formation plus efficace, mais leur utilisation est très rare car seulement deux participants sur trente-et-un au questionnaire destiné aux anciens étudiants étrangers ont déclaré avoir déjà utilisé une plateforme d’enseignement à distance pour apprendre le français. Après avoir présenté les aspects positifs apportés par la technologie dans l’apprentissage des langues étrangères, nous essayerons d’en aborder ces inconvénients du point de vue de l’enseignement et de la conception pour mieux comprendre son absence de la plupart des situations de formation.
I.3.2. Le débat autour de l’utilisation du multimédia
L’évolution didactique inéluctable qu’offrent les outils multimédia suscite toujours de nombreuses interrogations perplexes de la part des enseignants de langue étrangère, comme nous le verrons en II.2.2. Même si leur place est aujourd’hui quasiment incontournable, l’ingénierie multimédia en TIC met en oeuvre une relation tripartite entre concepteur, enseignant et apprenant. Nous verrons que l’utilisation des TIC est surtout profitable du point de vue de l’apprenant à contrario de la création de nouveaux défis et de nouveaux enjeux pour les enseignants et pour les concepteurs pédagogiques.
I.3.2.1. Les arguments favorables aux TIC
En 2000, Mangenot parle du « gain que l’intégration des TIC peut entraîner à plusieurs niveaux » pour améliorer l’apprentissage et les résultats des étudiants. Un premier aspect positif des TIC est une exposition individuelle plus grande de chaque élève à la langue étrangère. Quand il utilise un dispositif multimédia, il est généralement seul face à son ordinateur, lit, écoute, répète autant de fois qu’il le souhaite et avance à son propre rythme. D’après Hirschsprung (2005 : 24) « sur le plan psychologique, le fait de pouvoir travailler seul et à son propre rythme permet à l’apprenant de mieux gérer son temps d’apprentissage ainsi que ses éventuelles erreurs. Loin du regard du formateur et de ses co-apprenants, il lui est plus aisé de refaire un exercice autant de fois qu’il le souhaite et de consacrer à la compréhension d’un item le temps qui lui est nécessaire. Par ailleurs, ce mode d’apprentissage, plus individualisé, lui évite d’ennuyeuses répétitions. » Toujours sur cette question de gain de temps, il faut préciser que l’utilisation des outils multimédia s’avère être plus efficace pour travailler la compétence écrite quand elle est inscrite « dans le cadre d’une démarche pédagogique construite […] particulièrement si la dimension communicative d’internet est mise à profit et si […] la production n’est pas évaluée par un enseignant mais par le résultat qu’elle aura obtenu dans le cadre d’une mise en situation. » (2005 : 39). La plus grande exposition individuelle à la langue étrangère et la maîtrise de la situation de communication permettent de rendre l’apprenant plus actif par rapport à l’acte d’apprentissage. Il n’est plus installé en face d’un livre, d’un tableau et d’un professeur à recevoir le savoir, il doit agir avec le support multimédia, sélectionner, avancer, reculer, afin de se construire son propre parcours d’apprentissage pour continuer sa progression individuelle. Cela est souvent source d’une motivation supplémentaire, qui est un des facteurs principaux de l’apprentissage, « puisque le plaisir qu’il éprouve à apprendre est conditionné par l’intérêt et la variété des activités qui lui sont proposées, par la qualité des retours qu’il reçoit, ainsi que par les encouragements qui lui sont prodigués. » (2005 : 23) Nous tenons à faire remarquer que les notions de travail individuel, en autonomie de l’apprenant et d’autonomie de l’apprenant doivent bien être distinguées étant donné que l’apprenant autonome est autodidacte, qu’il apprend seul, or cela ne correspond pas à la définition d’une formation multimédia qui accompagne et guide l’apprentissage tout en en fournissant son chemin d’accès.
Le deuxième aspect positif de l’utilisation des TIC, introduit à nouveau par Hirschsprung, est qu’elle entraîne un travail d’appropriation langagière plus approfondi car l’approche est centrée sur l’action de l’apprenant, l’expérimentation et la résolution de problèmes d’après la théorie du « learning by doing ».(20) (2005 : 24) « Cette approche se propose de responsabiliser les apprenants en les rendant véritablement acteurs de leur formation. Il s’agit donc moins d’acquérir des savoirs que d’apprendre à développer des stratégies, de sorte que les apprenants bâtissent leurs propres méthodes de travail et puissent développer des compétences qui les conduisent à apprendre à apprendre ». Nous voyons qu’elle correspond bien à l’approche par tâches préconisée par l’approche communicative pour l’enseignement des langues, et que son application multimédia propose dans les phases de travail en autonomie des supports multimédia (cédéroms et internet) qui sont propices à un apprentissage centré sur l’action de l’utilisateur grâce à « la non-linéarité, l’interactivité, la multicanalité et la multiréférentialité », caractéristiques des outils multimédia. On peut en conclure, toujours d’après Hirschsprung, que l’utilisation des TIC correspond à « l’approche constructiviste de l’acte d’apprendre, dont le principe est de préparer les contenus et de laisser une grande liberté quant au mode d’apprentissage lui-même » (2005 : 25). À ce point, nous devons faire une petite parenthèse sur les travaux de Piaget qui a adapté sa théorie psychologique du constructivisme à une théorie de l’apprentissage dès 1923 en réaction au béhaviourisme. Cette approche psychologique suppose que les connaissances de l’apprenant se construisent, et ne copient pas la réalité, et que de ce fait l’enseignement doit promouvoir des mécanismes qui permettent la construction de la réalité chez les sujets à partir de représentations plus anciennes.
Ainsi, l’apprenant construit et restructure ses propres concepts. De ce fait, nous voyons que, d’un point de vue didactique, l’enseignement à l’aide des TIC est en accord avec les courants actuels et aide même à travailler davantage les aspects constructiviste et actionnel de l’apprentissage.
Mais c’est surtout la question des résultats de l’apprentissage qui intéresse l’enseignant et qui s’avère être le troisième point positif de l’utilisation des TIC pour l’enseignement des langues étrangères car elle favorise la mémorisation grâce à « la présence conjointe du texte, du son et de l’image ». (2005 : 24) De plus, « le recours à des supports multimédias, qui permettent une véritable intégration de l’oral et de l’écrit, représente une avancée considérable en termes d’aide à l’apprentissage pour des apprenants auxquels la situation de classe n’a pas apporté de réponse satisfaisante ». (2005 : 38) Une utilisation adaptée et efficace des TIC pourrait-elle donc également favoriser la représentation opératoire de la réalité de la langue étrangère par et pour tous ?
D’après l’analyse de Tardif (1992), la psychologie cognitive s’intéresse à l’analyse, la compréhension et la reproduction des processus de traitement de l’information, ce qui fournit un cadre de réflexion sur l’acte d’apprendre. Pour le favoriser, il faut cerner ses composantes (perception, concentration, interaction, apprentissage, compréhension, réutilisation, transfert) afin de déterminer les meilleures conditions d’acquisition, d’intégration et de réutilisation des connaissances de l’apprenant.
Il semble désormais intéressant de voir en quoi les potentialités des outils en TIC, dans le cadre d’un dispositif multimédia, peuvent mobiliser et exploiter les mécanismes de la pensée lors de l’apprentissage d’une langue étrangère. À la suite de Hirschsprung, (2005 : 45-46) nous développons cinq spécificités des outils multimédia qui favorisent la cognition :
· Le multimédia utilise les trois canaux de l’information : l’oral, l’écrit et l’image. L’intégration d’images fixes, et surtout animées, active le système de représentation symbolique de l’utilisateur, ce qui est plus propice à la reconstruction de la réalité que la parole.
· La complémentarité des médias et leurs diverses combinaisons se révèlent plus opérantes pour la compréhension et la mémorisation que le recours à un seul canal de la communication.
· L’interactivité sollicite l’action, des prises de décision, une participation réactive de l’apprenant.
· Le message est plus personnalisé pour mieux cibler chaque utilisateur, et l’appréhension des messages se fait au rythme de l’apprenant.
· Les stratégies d’apprentissage évoluent et engendrent le développement de compétences métacognitives, afin de transférer des acquis dans une nouvelle situation d’immersion, de simulation ou de mise en situation, par exemple. Cette spécificité permet de faire passer l’apprenant du rôle de spectateur à celui de collaborateur avant de devenir acteur de son propre apprentissage.
Les TIC étant bénéfiques pour l’apprenant sur différents aspects, leur utilisation semble incontournable voire nécessaire dans une approche socioconstructiviste de l’enseignement. À la suite notamment des travaux de Vygotsky dans les années 70 et de Cobb et de Wood dans les années 90, les stratégies d’enseignement socio-constructivistes sont devenues une référence dans celui des langues étrangères car elles construisent la connaissance de l’apprenant dans des contextes qui lui sont significatifs.
Mais leur mise en oeuvre reste dépendante, d’un côté, des concepteurs multimédia et, de l’autre, des enseignants qui choisissent ou non d’en faire usage. En effet, pour tirer une exploitation maximale des nouvelles technologies, il faut que le produit développe un maximum de spécificités, dans le cadre d’une pédagogie qui favorise l’action de l’apprenant, or cela n’est pas du ressort de l’apprenant qui n’est qu’un simple utilisateur.
I.3.2.2. Les arguments défavorables aux TIC
Tout d’abord, du point de vue du concepteur multimédia, je vais vous résumer mon expérience professionnelle de stagiaire pendant six mois afin d’aborder les aspects qui limitent le développement pour en arriver à un dispositif multimédia « idéal ». Ce sont surtout les rétroactions qui sont difficiles à développer dans une approche socioconstructiviste. En effet, il est aisé de proposer un parcours personnalisé grâce aux algorithmes informatiques, qui sont composés d’un certain nombre de règles qui mènent à la solution correcte dès lors que la procédure appropriée a été suivie pas à pas ce qui, en contrepartie, impose un système figé de résultats prédéterminés. Que faire dans ce cas des parcours libres, des productions écrites ou orales, des scénarios pédagogiques où l’apprenant agit pour arriver à un résultat qui est différent selon l’individu ? De plus, l’intégration de différents canaux de communication et leur combinaison dans le dispositif ne sont pas compliquées pour le concepteur multimédia, c’est surtout l’exploitation pédagogique des documents avec des prises de décision, des messages personnalisés ou des simulations qui devient plus difficile à mettre en place techniquement si le dispositif fonctionne de manière autonome. Sans la médiation humaine d’un tuteur, ou sans dispositif de communication synchrone associé, ce sont généralement les possibilités techniques, bien qu’elles aient évolué, qui contraignent le développement technique du dispositif multimédia et ne permettent pas à l’apprenant de passer du rôle de spectateur à celui d’acteur.
Ensuite, du point de vue de l’enseignant, l’utilisation raisonnée d’outils multimédia performants suppose tout d’abord qu’il accepte d’intégrer les TIC dans sa pratique pédagogique.
D’après Guichon (2012 : 63), certains enseignants « expriment leur crainte de ne pas maîtriser les outils », ou bien « une méfiance envers une évolution professionnelle qui nécessite a minima une prise en main des outils et un accompagnement technique au sein de l’établissement ». Il précise que « cette méfiance n’est pas à négliger car elle constitue un obstacle réel pour certains des enseignants, les plaçant ainsi dans une situation de rejet ou de fuite vis-à-vis des TIC pour éviter de perdre la face par rapport aux élèves, à leurs collègues ou à eux-mêmes ».
Pour ceux qui ont choisi d’intégrer les TIC dans leur pratique pédagogique, il faut néanmoins qu’ils en fassent une utilisation adéquate : ils doivent choisir des sites internet valides, aux sources fiables, et s’assurer que la concordance entre les différents médias soit de bonne qualité, car sinon « elle complique l’apprentissage au lieu de le faciliter ». (Hirschsprung, 2005 : 47) De plus, de nombreux enseignants remettent en cause la validité de l’évaluation fournie par les ressources multimédias car « elles utilisent essentiellement les évaluations diagnostique et formative, mais aussi l’auto-évaluation », positives pour modifier les stratégies d’apprentissage inadéquates, (2005 : 49) sans proposer d’évaluation sommative, ce qui ne permet pas de valider un parcours d’apprentissage ou de formation. Il faut également considérer que l’utilisation des TIC pour l’enseignement d’une langue étrangère suppose un changement dans le comportement et les habitudes de l’enseignant.
D’après Guichon, (2012 : 121) lors de la conception d’une macro-tâche par un enseignant, il doit « s’éloigner du confort normatif du manuel et des programmes syllabaires », ce qui entraîne « une perte de contrôle sur le déroulement de la séquence pédagogique ». De plus, « accorder davantage d’autonomie aux apprenants implique aussi d’accepter une certaine remise en question de type pédagogique ou organisationnel qui ébranle la posture traditionnelle de l’enseignant dans sa classe et crée des questionnements quant à la pertinence de cette réorganisation et à la qualité de son enseignement ». Si l’on suit Guichon, le rôle de l’enseignant est primordial dans le bon déroulement d’une séquence pédagogique avec support multimédia, à condition que celui-ci accepte ses nouvelles tâches d’accompagnateur et modifie son rôle de dispensateur unique du savoir.
Ainsi, pour arriver à tous les résultats positifs que peut entraîner l’utilisation d’un dispositif multimédia pour l’apprentissage d’une langue étrangère, ce dernier doit d’une part contenir des supports efficaces, les présenter de manière pertinente, ce qui relève du rôle du concepteur multimédia, et d’autre part pouvoir faciliter l’intervention externe d’un tuteur ou d’un enseignant afin de limiter les aspects négatifs des TIC. Par exemple, en ce qui concerne le travail de la compétence linguistique, Guichon conclut que « si on a longtemps pensé que les TIC pouvaient prendre en charge cette partie de l’apprentissage de la L2, il semble qu’on assiste désormais à une réévaluation du rôle de l’enseignant qui, grâce à son expertise, peut finement ajuster le travail des apprenants à leurs besoins et fournir des rétroactions autrement plus riches et appropriés qu’un programme informatique aussi sophistiqué soit-il ».
Nous connaissons désormais les différents acteurs et aspects de l’enseignement / apprentissage d’une langue étrangère avec les TIC, et avons défini la situation et les caractéristiques du FOU, c’est pourquoi nous proposons une solution didactique dans ce domaine spécifique avec une approche par compétences qui utilisera les TIC pour compléter et améliorer la formation des futurs étudiants étrangers en français.
I.3.3. Une réponse didactique en FOU grâce aux TIC
Dans le cadre de notre projet multimédia en FOU, nous exposerons d’abord l’approche par tâches qui semble correspondre le plus, pour la suite, à l’approche par compétences spécifiques que requiert notre profil de formation.
D’essence cognitiviste et interactionniste, l’approche par tâches pour l’acquisition d’une langue seconde provient des travaux anglo-saxons des années 80, notamment de Nunan et de Widdowson, sur le « task-based language teaching ». Elle n’est pas une théorie à proprement parler, mais plutôt un miroir de la perspective actionnelle qui se fonde sur la réalisation d’une tâche afin d’accroître la complexité et l’authenticité communicationnelles. Pour reprendre les propos de Guichon (2012 : 113), nous voyons que l’approche par tâches a trouvé tout sons sens au sein du pôle linguistique du conseil de l’Europe car « selon cette perspective, le CECRL (2000 :15), propose d’envisager : « l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. » » La tâche, qui s’inscrit dans un contexte et des circonstances donnés, est donc préconisée comme l’objectif à atteindre lors d’une formation en langue étrangère.
Dans notre formation en FOU, la notion de tâche semble être particulièrement bien adaptée car notre public s’inscrit dans un environnement prédéfini.
Mais que recouvre exactement le concept de « tâche » ? Guichon définit « la tâche comme une trame pédagogique et communicationnelle qui précise une situation d’énonciation, propose aux apprenants des éléments linguistiques et culturels à traiter et détermine un type de production langagière. » (2012 : 114) La notion de « trame pédagogique » nous paraît importante à relever car elle insiste bien sur le caractère continu et progressif de la production langagière que l’apprenant cherche à atteindre, c’est pour cela que les propositions de dispositif multimédia seront découpées en plusieurs étapes. Nous reprenons les idées de Guichon (2012 : 115) pour identifier les trois éléments qui définissent une tâche :
· La tâche est tournée vers un projet, elle présente un enjeu authentique, en lien avec des compétences professionnelles des apprenants, qui implique cognitivement et personnellement (dans notre cas, le projet consistera à présenter une argumentation orale et écrite).
· La tâche débouche sur une production finale que les apprenants sont en mesure de se représenter (dans notre cas, les productions finales seront la présentation d’un exposé oral, la participation à un débat et l’écriture d’une dissertation).
· La tâche est organisée en étapes intermédiaires, en micro-tâches, pour développer certaines compétences nécessaires pour la production (dans notre cas, l’acquisition des connecteurs logiques et des expressions pour donner son opinion et sa pensée constitueront, entre autres, les micro-tâches).
Ainsi, une approche par compétences nous semble la plus adaptée pour répondre aux besoins de l’approche par tâches avec ses divisions entre macro et micro-tâches. En effet, en reprenant à Beacco (2007 : 54) l’idée selon laquelle le principe directeur de l’approche par compétences « réside dans le choix de la spécificité, c’est-à-dire qu’on y pose que la langue est un ensemble différencié de compétences, solidaires mais relativement indépendantes les unes des autres et dont chaque élément est susceptible de relever d’un traitement méthodologique particulier », il s’agit ici d’identifier les compétences spécifiques à notre public et de les travailler de manière indépendante afin d’aboutir au projet défini par la tâche. Quelles sont donc les compétences à traiter pour préparer les étudiants étrangers à leurs futures études en français ?
Beacco oppose les quatre compétences « traditionnelles » à un modèle à quatre compétences/composantes. Dans le premier cas, la « dénomination traditionnelle ordinaire » des quatre compétences sous-entend : parler ; lire ; écrire ; écouter. Il est difficile de remettre en cause cette distinction mais on peut avancer avec Beacco (2007 : 79) que « les quatre savoir-faire traditionnels ne constituent pas un modèle de la communication verbale : ils font la distinction entre production et réception (parler et écrire / lire et écouter) mais sur la base du medium de la communication (écrit /oral) qui constitue une caractérisation relativement extérieure de celle-ci en tant que forme du discours ».
Aussi, un programme de formation en FOU s’intéresse particulièrement aux formes discursives spécifiques des interactions orales et écrites, ce qui nous amène à considérer le deuxième modèle de découpage des compétences de Beacco (2007 : 93) et à envisager une structuration adaptée à des groupes d’apprenants dont les besoins langagiers sont identifiables et analysables en terme de répertoire de genres de discours à acquérir en langue étrangère.
Cette deuxième approche par compétences semble bien mieux adaptée à une formation en FOU car elle travaille les différentes compétences à acquérir par les apprenants de manière isolée afin de réaliser une tâche : se familiariser aux genres des discours universitaires.
Nous venons de définir le contexte dans lequel s’inscrit notre projet de conception multimédia face à l’augmentation croissante du nombre d’étudiants étrangers qui s’inscrivent dans des filières d’enseignement supérieur en français. Après avoir expliqué les raisons qui les motivent à venir étudier dans un pays en langue étrangère, nous avons vu que les formations en FOU semblent les plus adaptés à leurs besoins en termes de contenus. Mais la situation dans laquelle ils apprennent généralement la langue française ne les préparent ni à leur vie quotidienne dans le pays d’accueil, ni aux travaux spécifiques auxquels ils seront confrontés pendant leurs études supérieures. Ainsi, nous avons envisagé d’y remédier grâce à une préparation aux écrits universitaires en français via un dispositif multimédia hybride qui se présentera comme un complément de formation.
Cependant, nous devons d’abord connaître les situations d’enseignement / apprentissage de la langue française aussi bien du point de vue des futurs étudiants que de celui des enseignants avant de définir le projet et les besoins du public. Grâce à une série d’entretiens exploratoires auprès d’enseignants de FLE et de futurs étudiants étrangers actuellement inscrits en cours de français, ainsi qu’à un questionnaire en ligne adressé aux anciens étudiants étrangers ayant terminé leur cursus en français, nous expliquerons tout d’abord ces choix afin d’en dégager un profil sociologique des participants. Ensuite, nous analyserons les résultats en les axant sur les problèmes rencontrés en situation d’enseignement/apprentissage du français, et sur la relation des participants aux TIC dans le but de dégager finalement la solution multimédia qui conviendrait autant aux enseignants qu’aux étudiants.
1 Désormais CECRL
2 Désormais FOS
3 Désormais FOU
4 Désormais EAP
5 Traduction : « des savoir-faire universitaires »
6 Traduction : « un élément clé dans l’anglais sur objectif universitaire »
7 Traduction : « des compétences, des techniques et des stratégies qui sont utilisées quand on lit, on écrit ou on écoute à des fins universitaires. »
8 Traduction : « écouter et comprendre, prendre des notes, poser des questions pour faire répéter, demander des clarifications ou des informations »
9 Traduction : « lire efficacement : compréhension et vitesse ; repérer et parcourir, évaluer ; comprendre et analyser les données ; prendre des notes et les organiser en fonction de leur ordre d’importance ; résumer et paraphraser »
10 Traduction : « L’anglais pour usages académiques désigne tout enseignement de l’anglais lié à des usages s’inscrivant dans le cadre des études. Les étudiants dont la langue maternelle n’est pas l’anglais peuvent avoir besoin d’aide avec la langue des disciplines académiques, et généralement avec les « compétences étudiantes » spécifiques qu’ils devront mettre en oeuvre au cours de leur parcours académique »
11 Traduction : Cet enseignement de l’anglais langue étrangère à des fins universitaires « vise à entraîner les étudiants, généralement dans un cadre d’enseignement supérieure, afin d’utiliser une langue appropriée pour les études. C’est une section ambitieuse et polyvalente à l’intérieur du champ plus large de l’anglais langue étrangère et c’est une des formes les plus courantes de l’anglais sur objectifs spécifiques. »
12 Désormais CUEF
13 Désormais ADCUEFE
14 Désormais IEFE
15 Désormais TIC
16 Désormais EAO
17 Désormais FOAD
18 Définition sur : http://eduscol.education.fr/bd/competice/superieur/competice/boite/glossaire_f.php
19 Définition sur : http://eduscol.education.fr/bd/competice/superieur/competice/boite/glossaire_t.php
20 D’après John Dewey (1859-1952), Apprendre en faisant ou apprendre dans l’action. Fin XIXe.
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