Ces trois études de cas ont montré dans quelles mesures, les différents acteurs mènent une collaboration plus ou moins approfondie. Il est à noter que si elles ont pour point commun d’organiser un festival en territoire de montagne, elles disposent par contre chacune d’une économie touristique différente. En effet, le Grand-Bornand est une station touristique réputée qui dispose de nombreuses infrastructures hôtelières et de restauration. Alors que la Montagne Ardéchoise reste un territoire touristique aux espaces naturels plus sauvages et préservés. Ceci est en partie dû au fait que ce territoire appartient à une zone rurale isolée des grandes voies de communication et qu’il ait une faible densité de population42. Par ailleurs, la taille de ces festivals et leur seuil de fréquentation sont également des données à prendre en compte, pour évaluer ou estimer leur retombées économiques et touristiques sur le territoire. Les Rencontres Musicales en Montagne Ardéchoise accueillent 1 000 personnes, le festival de Chaillol en reçoit 3 500, et le festival Au Bonheur des Mômes brasse 80 000 festivaliers.
2.1 L’offre de séjour festivalier
Parmi les trois festivals étudiés, deux font l’objet d’une véritable offre touristique : le festival de Chaillol et le festival Au Bonheur des Mômes qui ont monté un partenariat avec des agences de voyages pour la mise en place d’un séjour festivalier.
Dans le cas du festival de Chaillol, le séjour festivalier amène une micro clientèle. L’évènement reçoit davantage d’habitants locaux, le festival cherchant à donner un ancrage local solide à son environnement. Le festival Au Bonheur des Mômes génère des retombées touristiques importantes ; l’impact y est très visible pour l’hôtellerie et la restauration. Le séjour festivalier proposé aux familles suscite beaucoup de demandes auprès des agences de locations. Pour ce qui est du festival des Rencontres Musicales en Montagne Ardéchoise, la possibilité de créer un séjour, nécessite une réflexion sur son contenu. En tenant compte que le festival attire une forte propension de résidents secondaires, les formules d’hébergements en demi-pension ne suffiront sans doute pas à constituer une offre attractive.
Ainsi ces festivals sont chacun à leurs manières, un motif de destination touristique et servent de base « à la planification de vacances sur le site ou dans la région et ce d’autant plus que l’essentiel de la programmation festivalière prend place au printemps et en été, traditionnelles périodes de vacances ou courts séjours des Français »(43)
2.2 La coopération comme moyen et la coopération comme fin
La coopération comme moyen permet d’ « accéder à certaines ressources détenues par l’autre partie »(44) et se présente davantage comme une stratégie par exemple à travers la mutualisation de biens matériels. Tandis que la coopération comme fin, vise à concevoir un projet à travers une recherche de complémentarité, induisant une finalité commune. La coopération comme moyens et la coopération comme fin ne s’excluent pas l’une de l’autre, toutes deux pouvant se compléter.
Dans le cas des Rencontres Musicales en Montagne Ardéchoise, la mise à disposition d’un salarié de l’office de tourisme, qui intervient en amont de l’accueil du stagiaire, dans la préparation des dossiers de demandes de subvention, gère un manque ponctuel de moyens humains au sein du fonctionnement de Musique et Culture en Montagne.
Tout autant que le stagiaire durant les six mois de sa présence au sein de l’association. Ce mode de gestion du personnel se révèle être une coopération fondée davantage sur une nécessité économique basée sur la mutualisation des compétences et des moyens.
Le travail collaboratif apparaît moins être fondé sur une coopération comme fin. Sans la mise à disposition du bureau de l’office de tourisme et d’une prise en charge des frais de structures en faveur de l’association, celle-ci aurait du mal à conduire son activité. Mais au-delà du partage de ressources, il existe toutefois une recherche de complémentarité.
L’analyse qui a été faîte sur la relation de coopération entre Musique et Culture en Montagne et l’office de tourisme Cévenne et Montagne Ardéchoises a révélé que les relations professionnelles et le soutien mutuel de chaque secteur vis-à-vis de l’autre, contribue au développement local par le biais de l’animation au sens large. Ensemble, ils contribuent à promouvoir la culture dans une région rurale éloignée des centres urbains. L’office de tourisme agit alors comme un relais d’information culturelle auprès des habitants. Il est amené aussi à soutenir des acteurs du spectacle, en assurant la communication de leurs représentations ainsi que l’accueil des artistes. Cet accueil consiste notamment à installer dans les villages des espaces de représentation scéniques, par exemple dans une salle polyvalente ou en plein air. Le département de l’Ardèche compte peu d’équipements en dur de création et de diffusion culturelle (une dizaine), en raison notamment du faible nombre de grandes villes. En ce sens les offices de tourisme, jouent un rôle dans l’organisation de montage de projets culturels. La particularité de certains offices, notamment ceux qui sont situés en Montagne Ardéchoise est de développer un rapport plus étroit avec l’habitant. En effet, l’office de tourisme Cévenne et Montagne Ardéchoise organise des évènements qui concernent les habitants locaux, impliquant leur participation bénévole. Plus qu’un simple relais d’information touristique auprès des visiteurs, l’office de tourisme joue un rôle important d’animation locale ; il arrive certains jours, que ce soit plus les habitants locaux et non des touristes qui se rendent au bureau d’accueil. Du point de vue des politiques culturelles menées à l’échelle départementale, le spectacle vivant est plus souvent abordé par les offices de tourisme sous l’angle de l’évènementiel et peu sous l’angle artistique du projet de territoire :
« Les compétences culturelles ne relèvent pas de leurs missions officielles, les objectifs culturels ne sont pas ancrés dans les mentalités des offices de tourisme. Avec le patrimoine, c’est différent car c’est plus facile à aborder (45) »
En effet, le Conseil Général de l’Ardèche entend encourager des projets artistiques à l’année qui s’inscrivent dans une relation avec les habitants du territoire. Ceux-ci se distinguent des nombreuses manifestations culturelles d’été qui visent en premier lieu les touristes et moins la population locale. A ce titre, le festival de Chaillol inscrit mieux son projet artistique dans une relation au territoire et à sa population, en comparaison avec l’association Musique et Culture en Montagne. La gestion par des professionnels à l’année du festival de Chaillol contrairement au festival des Rencontres Musicales dont le fonctionnement associatif est à mi-chemin entre le bénévolat et le professionnalisme, est un élément qui favorise forcément la mise en place d’actions culturelles annuelles. Le festival de Chaillol a une implication culturelle à l’année, sur le territoire, et privilégie l’action hors saison estivale. Il s’engage avec les acteurs locaux et touristiques, dans une coopération qui vise davantage la recherche de complémentarité à travers la construction de référentiels communs. La coopération s’articule autour d’une identité, à travers l’intégration locale réussie du festival où différents acteurs se sont approprié l’évènement.
L’édition récente d’un livre Chaillol Portraits d’un Festival(46), rassemble des témoignages sur ces quinze années d’action culturelle en territoire de montagne.
Bénévoles, professionnels du tourisme, élus, habitants locaux font part de leur expérience personnelle du festival et de leurs façons différentes de percevoir la relation de l’évènement avec leur territoire et la manière dont ils se l’approprient. La rédaction de cet ouvrage se situe également dans une démarche coopérative car elle participe à la construction et à la reconnaissance de l’identité du festival de Chaillol. Le directeur artistique souhaiterait par ailleurs disposer de plus de moyens pour recruter un coordinateur de réseau dont la mission consisterait notamment à mieux relier entre elles, l’ensemble des actions conduites entre les gens du cru, les acteurs touristiques et les organisateurs du festival. Ce qui est le cas pour l’office de tourisme du Grand-Bornand qui co-organise le festival Au Bonheur des Mômes avec le Théâtre de la Toupine où il y a la présence au sein de l’équipe du festival, d’un coordinateur de projet. Celui-ci assure en partie les relations entre le pôle tourisme et le pôle artistique. Les supports de communication du festival mettent en évidence, comme on peut le voir ci-dessous, qu’il s’agit bien d’une co-organisation festivalière, à travers la façon dont sont disposés le logo de l’office de tourisme et celui du théâtre de la Toupine. Cette association visuelle montre que les deux structures conçoivent ensemble l’évènement, qui dispose lui aussi de son propre logo.
Couverture du dossier de presse
Header du site internet du festival
Le festival Au Bonheur des Mômes est le cas où la forme de coopération entre tourisme et culture est la plus forte, maintenant toutes deux leurs identités respectives. Ceci montre un partenariat réussi entre le projet artistique et le projet territorial, ou les deux domaines travaillent ensemble à la réalisation d’objectifs partagés. L’investissement conjoint de ressources et le partage de responsabilités (temps salarié, compétences information) aboutit à un partenariat où la coopération est recherchée comme fin :
« […] elle se construit dans la réalisation d’un produit commun et s’achève en même temps que son objet. Elle n’est pas simple échange mais processus de production de valeur. S’il existe des éléments stratégiques, son objectif premier n’est pas de faire face à l’incertitude ou de protéger son territoire, mais de réaliser une mission, un projet au travers duquel le groupe se construit en tant qu’équipe développe des référentiels communs »(47)
2.3 Les outils de formalisation des engagements
Dans les trois cas vus précédemment, l’engagement entre les professionnels du spectacle et les professionnels du tourisme est basé sur une relation de confiance :
« La confiance ex ante caractérise les relations préexistantes à la coopération, elle résulte de la réputation dont jouissent les acteurs ou de leurs relations préalables »(48)
Instaurer un climat de confiance entre les acteurs nécessite de définir des formes d’intentionnalité et une mise en accord des objectifs à atteindre dans la coopération.
Aussi, s’interroger sur les outils de formalisation des engagements aide à construire cet accord. Ces outils attestant de l’engagement des parties prenantes peuvent se décliner sous plusieurs formes, à travers une convention de partenariat, un rapport interne définissant la structuration de l’organisation, ou encore un contrat d’engagement salarié.
Le conventionnement reste cependant l’outil le plus adéquat pour définir les rôles respectifs et les obligations de chaque partie prenante.
Dans le cas de Musique et Culture en Montagne, on a vu que l’association a rédigé des conventions de mises à disposition du lieu et du salarié. L’office de tourisme de Chaillol a également mis en place une convention de mise à disposition d’un de ses locaux au profit de l’association. Par ailleurs, l’engagement des acteurs touristiques est visible dans les statuts de l’association, étant donné que certains d’entre eux font partie des membres du conseil d’administration. Dans le cadre du festival Au Bonheur des Mômes, il n’y a pas d’association qui a été créée pour l’organisation spécifique de l’évènement.
C’est l’office de tourisme qui porte ce festival et en recherche les financements. La mise en cohérence des objectifs de la coopération s’établit sur le terrain, à travers les réunions d’équipe. Les salariés de l’office restent rattachés à leur employeur, il en est de même pour les salariés du théâtre de la Toupine d’Evian. Une convention d’objectifs et de moyens définit toutefois les modalités d’organisation du festival. Elle mentionne les missions des deux organismes dans le cadre de la réalisation du partenariat.
42< http://www.insee.fr/fr/insee_regions/rhonealpes/themes/syntheses/lettre_analyses/02174/SL_Ardeche_Meridionale.pdf>
43 Mercier Sophie, Bouchard Diane, Tourisme Culturel et Festivals, opportunités et limites d’un tel partenariat,mémoire HEC 2004, p.12 <http://thesesophiediane.free.fr/IMG/pdf/Memoire-2.pdf>
44 Dameron-Fonquernie Stéphanie, IX conférence internationale de management stratégique « Perspective en Management stratégique » -Processus de coopération dans l’organisation : construction d’une grille de lecture appliquée au cas d’une équipe de projet, 2000, p.2
<http://basepub.dauphine.fr/bitstream/handle/123456789/3077/dameron.pdf?… >
45 Entretien mené avec Sylvie SACHDEVA, Chargée de mission Spectacle Vivant et Coordination “Culture e(s)t Lien social” Direction de la Culture au Conseil général de l’Ardèche
46 Dian, Michael, dir. Chaillol Portraits d’un Festival, Edition Aedam Musicae, 2012
47 Dameron-Fonquernie Stéphanie, IX conférence internationale de management stratégique « Perspective en Management stratégique » -Processus de coopération dans l’organisation : construction d’une grille de lecture appliquée au cas d’une équipe de projet, 2000, p.3
48 Dameron-Fonquernie Stéphanie, IX conférence internationale de management stratégique « Perspective en Management stratégique » -Processus de coopération dans l’organisation : construction d’une grille de lecture appliquée au cas d’une équipe de projet, 2000, p. 5
<http://basepub.dauphine.fr/bitstream/handle/123456789/3077/dameron.pdf?… >