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III- « Stigmate », « disqualification », « enclavement »… La Découverte : un quartier largement « qualifié »… Relégation réelle ou réalité fantasmée ?

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1-Conséquences du discours développé par les médias locaux sur le quartier sur « les malouins » vivant hors ZUS : une ségrégation par la rumeur…

a- Un jugement sur le quartier à priori peu nuancé : la Découverte et la métaphore du « petit Chicago » …

L’idée qui prévaut ou qui semble s’imposer implicitement, quand on interroge les habitants des quartiers de classes moyennes, voire plutôt aisés de Saint-Malo et qui pourrait sans doute être généralisée à d’autres villes possédant des quartiers de « grands ensembles » est que, si finalement les cadres et les classes moyennes qui habitaient les « grands ensembles » dans les années soixante et soixante-dix les ont quittés, c’est qu’ils en ont été chassés par ceux qui y sont restés. Ce n’est pas une vue de l’esprit de dire que c’est ce discours là qui a nuit à l’image des ensembles d’habitations collectives et que c’est ce même discours qui continue à prévaloir aujourd’hui, même dans les « milieux cultivés et éclairés » des quartiers bourgeois et même dans certains milieux relativement modestes qui s’estiment mieux « lotis » simplement parce qu’il n’habitent pas le quartier de la ville à éviter à tout prix.

Nous sommes, avec ce type de propos tenus sur un type d’espace particulier, en présence d’une prophétie auto-réalisatrice. Autrement dit, à force de préjugés, de jugements à l’emporte pièce, tout un discours négatif s’est sédimenté autour de la question des « grands ensembles ». Les habitants de ces quartiers fruits des politiques urbaines d’après-guerre, doivent par conséquent gérer un « stigmate » : leur adresse. « Effet de territoire », « effet d’adresse » autant d’expressions qui désignent une réalité : celle de la « relégation » des populations des quartiers de « grands ensembles »…

Il est intéressant de noter comment certains journalistes ayant une audience régionale participent à la formation d’un discours globalisant, homogénéisant, simplificateur et parfois erroné sur le quartier. Ainsi, sur le site http://aline.mortamet.free.fr/reportages.html nous pouvons lire, en guise de synopsis d’un reportage sur le quartier de la Découverte, produit par France 3: « A Saint-Malo, le quartier HLM de la Découverte s’est créé au début des années soixante-dix, à une époque où il fallait vite loger une population de plus en plus nombreuse. Au début, ce quartier avait la réputation d’être un « petit Chicago », tant les problèmes de violence étaient importants.»

C’est bien sûr la deuxième partie de cet extrait qui paraît surtout étonnante.On nous parle de difficultés importantes à une époque où les logements sont neufs, où la population qui a investi ces lieux est majoritairement salariée -les fameux thèmes de l’ « assistanat », du « chômage de confort » n’ayant pas encore émergés dans la sphère politico-médiatique- et qui plus est, relativement peu confrontée à des phénomènes de délinquance, d’alcoolisme ou de violence généralisée.

Si le quartier a pu être le théâtre de tels phénomènes, ils n’apparaissent d’une part pas avant le milieu des années quatre-vingt et sont ,somme toute à relativiser, comme nous avons pu le voir. Aucun éléments ne semblent clairement montrer que le quartier de la Découverte serait le lieu d’actes de délinquance, de violence « criminelle » plus que d’autres secteurs de Saint-Malo.

L’expression « petit Chicago » fait écho à la métaphore du « ghetto », utilisée pour désigner les « grands ensembles » d’habitations: « Le mot est doté d’un pouvoir mobilisateur et il construit un véritable objet : la cité-ghetto […] artefact qui permet de faire comprendre une réalité complexe » celle du malaise de notre civilisation, où « les quartiers périphériques », comme le sida (?) sont un défi à l’ordre établi. Ils sont une figuration du chaos qui traverse la modernité » (Vieillard-Baron, 1994 in Ségrégation et habitat social, Madoré, 2004).

Si le terme de ghetto est « vaguement sociologique et accessoirement géographique » « abusif, généralisant » et forcément « réducteur » (Madoré, 2004), l’expression de « petit Chicago » appliquée au quartier de la Découverte est un non-sens absolu. Cette dernière métaphore fait bien entendu référence à un pan de l’histoire de la ville de Chicago lié au crime organisé, aux gangs et la corruption de certains fonctionnaires. Quoiqu’il en soit, de tels écrits, pourraient prêter à sourire s’il n’avait pas vocation à informer les populations…Le reportage auquel fait référence ces écrits s’inscrivant, par ailleurs, dans cette veine du discours misérabiliste et simplificateur. Le reportage se focalise sur des individus, semblant passer leurs journées, accoudés sur le rebord d’une fenêtre de leur appartement et fait fi du dynamisme que l’on pourrait sans doute trouver chez bon nombre d’habitants du quartier.

En outre, nous terminerons cette « explication de texte », cette tentative de « décodage », concernant la présentation de ce reportage sur le quartier de la Découverte en notant que ce dernier est réduit à un « quartier HLM » et ignore donc d’une part la diversité des formes de logements et d’autre part la présence d’un certain nombre d’équipements.

Reste à savoir si tels images qui frappent l’imagination sont le fait de certains médias ou sont à l’inverse le fait des populations extérieures aux “quartiers sensibles” et dont le discours aurait été récupéré par les journalistes.

Les reportages des journaux consacrés aux « grands ensembles » en général, auraient-ils une fonction carthatique ? Provoquer l’ « horreur » (relative) et la pitié chez le téléspectateur ou le lecteur pour exorciser ses peurs et, le conforter dans sa situation qui lui semble plus enviable que celle qu’on lui décrit.
Il est frappant de constater, à la lumière des quelques entretiens réalisés avec des habitants d’autres quartiers de Saint-Malo dans le cadre de cette recherche, combien les habitants du quartier de la Découverte sont décrits avec une sémantique péjorative. Un fait constaté est que, la plupart du temps, les individus résidant sur ce territoire sont décrits à partir de mots appartenant pour une large part, au champ lexical de la violence et de ce que nous pourrions aussi nommer au champ lexical de la « délinquance ». Le mot « violence », lui-même, est systématiquement utilisé par les interrogés. La sémantique utilisée tourne invariablement autour des mots «agressions », « dangereux » ; il nous a même été possible d’entendre le mot « coupe-gorge ». Mais les termes « alcool », « drogues », « cannabis », « trafics » (sous entendus illicites), « vols », « bruits insupportables » sont tout aussi présents dans le discours sur la Découverte, des <> vivant dans différents quartiers de Saint-Malo.

Cet homme se présentant comme un cadre travaillant dans une entreprise privée de l’agglomération malouine déclare : « La Découverte ? C’est un quartier pour les désoeuvrés, comme les autres du même genre construits dans les années quatre-vingt (sic). Il me semble que ce qui s’y passe est comparable à ce qui arrive dans les cités HLM à Paris. Je peux vous en parler j’y ai vécu… En tout état de cause, je n’y mettrai jamais les pieds. Tout cela c’est de la faute à Mitterrand ! » ( ??? )

Nous avons observé que finalement, les jugements sur le quartier sont globalement du même ordre, indépendamment du niveau de qualification ou de l’emploi occupé. Les préjugés paraissent n’épargner aucune classe ou catégorie sociale…

Un autre individu interrogé parle de « personnes aux connaissances intellectuelles limitées » et dissocie clairement ce jugement avec une éventuelle situation d’échec scolaire qui serait subie par « certains » individus dans le quartier, relatif à une situation sociale voire familiale peu propice à la réussite scolaire, avec laquelle on serait tenter de faire un rapprochement. Autrement dit, pour la personne interrogée, il s’agissait de faire comprendre à l’enquêteur que la « marginalité » de nombreux individus sur la quartier de la Découverte, serait dû à l’innée et non pas à une situation liée à des acquis (contexte social et familial défavorable pour l’ « ascension sociale »). Si ce genre de propos est marginal dans les quelques paroles recueillies dans le cadre de cette étude, il fait pourtant écho à l’idée selon laquelle la population résidant à la Découverte est de toute façon « particulière », « différente ».
Dans un registre moins stigmatisant, on peut entendre parler de « populations démunis ».

Enfin, nous pourrions établir une corrélation, a priori, entre la nature des propos tenus et la distance du lieu d’habitation des individus avec le quartier de la Découverte. En somme, plus le lieu de résidence des personnes interrogées est éloigné géographiquement du quartier de la Découverte, plus les propos tenus à l’égard de ce dernier et de ses habitants sont négatifs et semblent s’éloigner de la réalité.

b- Des stratégies d’évitement mises en place par les résidents des autres quartiers…

Par l’éclairage fourni par des entretiens réalisés, pour cette recherche, avec des individus vivant hors du périmètre de la ZUS, nous voyons clairement que le choix du quartier de la Découverte comme territoire de vie est systématiquement écarté. Il y a une unanimité quand il s’agit de citer le quartier de Saint-Malo dans lequel « on » n’aimerait pas habiter. Le nom du quartier est automatiquement mentionné par les interrogés comme « le quartier où il ne fait pas bon vivre ». Certes, il est bon de rappeler que le panel d’individus sollicités pour cette enquête est assez restreint, et il ne s’agit pas d’aboutir à des conclusions trop rapides et simplificatrices ; néanmoins, les quelques propos recueillis nous permettent d’entrevoir la manière ont celui-ci est perçu : habiter à la Découverte est synonyme d’ « échec social », vivre dans ce quartier c’est être resté bloqué dans « l’ascenseur social » au niveau des étages inférieurs.

Au mieux, le quartier de la Découverte s’inscrit-il aujourd’hui encore, au début du parcours résidentiel de quelques rares ménages mais la plupart du temps reste le territoire des « assignés à résidence », un « purgatoire », un entre-deux mondes d’attente d’une improbable sortie pour rejoindre la société des habitants de la « céleste cité » malouine…

Ajoutons cependant que, les quartiers de Bellevue ou de Marville, limitrophes au quartier de la Découverte se situent en bonne place dans le classement des « non choix » des quartiers à privilégier pour le choix de son lieu d’habitation. Mais, s’ils sont parfois cités par les enquêtés, c’est toujours après le quartier de la Découverte, ce dernier étant invariablement rejeté par un véritable « cri du coeur ».

Au-delà du rejet du quartier comme territoire d’élection pour le logement, la Découverte n’est réellement fréquenté par les individus extérieurs au quartier que pour son centre commercial, son centre culturel et d’animation (le centre Allende et la salle de spectacle « l’omnibus ») et pour les services administratifs du centre Bougainville. Les équipements culturels excentrés, par ailleurs, par rapport au quartier sont les seuls à drainer une population exogène venant des autres quartiers de Saint-Malo et même au-delà en ce qui concerne la salle de spectacle (CUCS, DAUF, 2006). Sans doute ces équipements sont-ils d’ailleurs fréquentés par une grande part d’individus n’habitant pas à la Découverte. On peut se demander ainsi s’ils ont encore une vocation d’équipements destinés au quartier. Le centre commercial semble attirer une population plus diversifiée a fortiori en période estivale où il connaît un large afflux de touristes. Mais, si effectivement le centre draine un public au-delà du périmètre de la Découverte, ce public provient essentiellement de quartiers se situant à proximité de la Découverte : Bellevue, Marville…Autrement dit, le centre commercial de la Découverte, contrairement au centre commercial de la Madeleine et du centre Leclerc tous deux situés à la sortie de la commune, n’a pas vocation semble-t-il à attirer une population résidant dans les centres urbains « historiques » : Intra-muros, Saint-Servan, Paramé…selon les enquêtes INSEE précédemment dans cet exposé.

La rue des Antilles qui traverse le quartier est le seul axe de circulation interne au quartier réellement utilisé par les résidents des autres quartiers de Saint-Malo (DAUF, 2007). Cet axe, qui traverse le quartier du Nord au Sud, a donc une fonction de jonction entre les quartiers Nord et les quartiers Sud, mais est évidemment loin d’être le seul à jouer ce rôle dans la commune. En outre, cet voie permet une traversée de la Découverte sans que les individus qui l’empruntent n’aient à leur vue les secteurs du quartier les plus « délabrés ». Cette idée nous inciterait à effectivement évaluer de manière plus précise par qui précisément cet axe de circulation serait utilisé…

Certaines personnes interrogées travaillent en partie ou exclusivement sur le secteur de la Découverte. Il est intéressant de noter que celles-ci occupent dans la plupart des cas des postes dans le domaine des carrières sociales et paramédicales : assistante sociale, éducateur spécialisé, aide médico-psychologique, infirmière à domicile. Ces individus possèdent donc, à priori, une bonne connaissance du quartier et de ses habitants. Or, les propos tenus sur le quartier reste assez semblables à ceux tenus par les individus n’ayant aucun liens quelqu’ils soient avec le quartier ou ses habitants. On ne fréquente pas le quartier en dehors du temps de travail pour « éviter de rencontrer ses patients » au centre commercial par exemple, ce qui peut se comprendre et, ce comportement serait sans doute le même si le lieu de travail se situait dans un autre secteur de la ville. Mais, ce qui est notable est que la perception du quartier reste la même. A titre d’exemple les expressions telles que « quartier triste et ennuyant », « cas sociaux », « alcoolisme très répandue » sont récurrentes pour qualifier ce secteur de la ville et les gens qui y vivent.

Il est dit également par les interrogés que la Découverte « n’est pas un quartier fréquentable la nuit »et sur le ton de « l’humour » qu’ « on ne va pas se fournir en drogues là-bas »…

Ce qui ressort de cette enquête est finalement une « représentation très anxiogène du logement social » par les quelques résidents interrogés vivant en dehors du périmètre du quartier de la Découverte. Le logement social de type HLM, à Saint-Malo comme ailleurs visiblement (Madoré, 2004) paraît associé « à la figure du pauvre, du délinquant »…

L’étude de la ségrégation socio-spatiale passe par une évaluation de la mobilité des individus occupant l’espace qui fait l’objet de la dite étude. Le terme de mobilité pouvant être entendu en tant que « mobilité résidentielle », nous précisons qu’ayant abordé le thème du « parcours résidentiel », nous entendrons ici le mot mobilité, dans le sens de la capacité de chacun à se mouvoir dans l’espace, à investir son quartier ou sa ville pour les déplacements, les activités du « quotidien ». Ce thème de la mobilité, de l’inégale accès aux services et aux équipements selon le lieu d’habitat peut se justifier d’être présent dans une étude sur la ségrégation car il renvoie aux problématiques liées à l’enclavement de certains espaces, trop souvent abordées comme nous l’avons dit sous l’angle des « coupures urbaines », de l’obstacle physique que peuvent constituer certaines infrastructures pour les « habitants » résidant sur un espace donné. Une recherche sur l’étude d’éventuels mécanismes ségrégatifs à l’oeuvre sur un territoire peut donc difficilement se dispenser d’aborder ce sujet de la mobilité.

Mais la mobilité est le fait d’enjeux encore plus capitaux et dépasse aussi le simple fait de se mouvoir dans la ville. Parler de mobilité, c’est aussi et surtout essayer de mettre en lumière l’existence ou non d’une « mise à l’écart » de certaines populations, d’essayer de montrer s’il existe des espaces (publics) appropriés et totalement investis par certains groupes d’individus dont seraient exclus les franges les plus pauvres de la population d’une ville…Ici encore, plus que de répondre catégoriquement à une question qui nécessite, de toute évidence, des investigations très approfondies et devant l’ampleur de la tâche, nous soulèverons simplement les questions qui inciteraient à prolonger une recherche dans ce sens…

2-Les pratiques du quartier et de la ville par « les habitants » : entre soi contraint généralisé ou réalité multiforme ?

a-Pertinence des critères retenus pour évaluer ces pratiques. Quels « habitants » pour quelles pratiques ?

Pour évaluer la mobilité de la population d’un quartier nous sommes forcés et contraints dans un premier temps d’utiliser des regroupements statistiques basés sur des critères démographiques, de statuts économiques et sociaux –dans le cas des sources dont nous disposons dans le cas présent – aboutissant à la formation de catégories pré-définies administrativement et que l’on voudrait croire homogènes. Aussi, aborderons-nous le sujet de la mobilité, faute de mieux, à travers le prisme de catégories telles que les « les jeunes » , « les retraités » etc. Cependant, à certains moments les enquêtes statistiques pour l’étude de la mobilité et des facteurs explicatifs liés à cette « problématique » ne font même pas cette distinction, pourtant déjà homogénéisante, entre ces différentes « catégories » d’ « habitants ».

C’est justement ce dernier terme qui est employé, renvoyant l’étude des « pratiques du quartier et de la ville » à une série de constats peu signifiants et négligeant la diversité des « pratiques » indépendamment du contexte social ou du capital culturel des individus, sans doute à prendre en compte dans la mesure ou ce dernier est significatif dans la capacité de chacun à investir l’espace. En d’autres termes, un individu sans qualification à la situation économique précaire-dont les ressources seraient issues de minima sociaux- peut par exemple faire d’une bibliothèque municipale un lieu qu’il fréquente régulièrement ou aimer aller à l’opéra. Aussi, le « stéréotype » récurrent à la lecture de certaines études, émanant de catégorisations statistiques, qui voudraient que les « populations assistées » n’aient pas « accès à la culture » se révélerait en partie inexacte.

Mais, peut-on dire que parce qu’un seul individu fait exception à « la règle » à laquelle il est « soumis », le constat « populations démunis » égale « populations peu portées à accéder aux équipements culturels » est remis en cause ? Assurément non. Mais, le fait qu’il existe même très marginalement des comportements en porte-à-faux avec « ce qui est convenu » de dire, à « ce qui appartient au sens commun des études chiffrés » portant sur des « masses » de populations doit-il être exclu ? On se doit de répondre également par la négative. Cependant, seule une étude portant sur de grandes échelles pourrait parvenir à faire ressortir ces « exceptions à la règle », ces particularismes…Nous essaierons donc, parallèlement à la présentation de résultats d’études diagnostics de proposer à la lecture les quelques propos recueillis lors de notre recherche qui permettent –certes modestement- d’aller au-delà d’une approche globale statistique du thème de la mobilité.

A propos des critères retenus pour « évaluer » la mobilité on évoquera successivement « l’estime de soi » puis les « activités et le lien social ».
Le premier critère se révèle pertinent pour une telle étude, dans le sens où il révèle les comportements des individus selon leur « état d’esprit » qui semble –dans le cadre de notre étude en tout cas- « influencé » par « une » image de leur lieu de vie souvent peu flatteuse qui leur est renvoyée.

En d’autres termes, -et sans établir une thèse dont les fondements seraient de toute manière peu solides- la « réputation » faite au quartier aurait « un impact » sur l’estime que l’on porte à soi et ferait émerger « des » comportements qui se traduiraient par des hésitations, voire un refus à « investir » un quartier déconsidéré et une gêne, une « honte » à fréquenter des lieux à l’échelle de la commune. L’utilisation du conditionnel pour justifier l’utilisation de ce critère est de rigueur dans le sens où cette « variable « estime de soi » est assurément à modérer dans les conséquences qu’elle peut engendrer dans la capacité à « être mobile ». Combien d’individus font fi de cette « image négative » de leur quartier ? Cette « image du quartier » n’est, par ailleurs, assurément pas le seul facteur influençant « l’image de soi »…

Le deuxième critère retenu semble lui moins « subjectif » , dans ses fondements, pour une évaluation de la mobilité. Il semble tout à fait possible, de prime abord, de corréler la nature et l’ampleur des activités sociales pratiquées avec la capacité de chacun à investir son quartier ou sa ville. Dans un premier temps d’analyse, on serait alors tenter de dire que plus le lien social est fort plus les activités sociales qui créent ce lien sont importantes et que par suite la mobilité s’en trouve d’autant plus renforcée et inversement…En outre, cette dernière analyse doit donc prendre en considération l’existence de certains paramètres comme le niveau d’équipements du quartier par rapport à celui d’autres quartiers de la commune ; « l’inégale accès aux équipements » renforçant « la hiérarchie socio-spatiale » (Madoré, 2004)…

Mais ne pas appartenir à une association, par exemple, est-elle révélatrice d’un réel isolement ? « Le droit à la misanthropie » serait-il simplement réservé aux plus riches ? Vouloir rester chez soi pour se consacrer à des activités qui ne nécessitent pas la création d’un lien social relève-t-il de la « pathologie » ? Par ailleurs, peut-on imaginer que « les populations les plus pauvres » aient simplement une tendance à trouver des façons de « s’occuper » en dehors des opportunités offertes par les réseaux associatifs …

b- Réputation faite au quartier et image de soi : quelle(s) incidence(s) pour « investir » le quartier et la ville ?

L’enquête menée en 2001 par l’Agence de sociologie pour l’action – OPAC Emeraude Habitation intitulée « La situation de vie des habitants du quartier de la Découverte. Pré diagnostic exploratoire dans le cadre du projet de requalification du quartier de la Découverte » fait état d’entretiens difficiles à réaliser dans ce cadre, du fait des nombreuses enquêtes faites sur le quartier entraînant « une lassitude » des « habitants » à répondre aux questions qui leur sont posées. Ces enquêtes étant jugées comme « n’aboutissant à rien » de très significatif pour « changer la vie des habitants du quartier ».

Les enquêteurs ont considéré que cet état de fait « témoigne d’une grande lassitude, d’un sentiment d’impuissance fort » et s’explique aussi par « le repli sur le présent et la difficulté ou le refus à envisager des projets d’avenir quelqu’ils soient ». L’ enquête conclut à « un manque d’énergie collective et d’investissement » pour le quartier.« Les habitants » répugnent à « s’investir durablement » pour « un quartier qui pâtit d’une mauvaise réputation […] que les habitants reprennent à leur compte. L’image négative qui leur est renvoyée les blesse et plutôt que de s’en défendre ou de la contrer , les habitants l’adaptent et s’en rendent responsables »(Le Goaziou, 2001).

Précisons cependant que l’étude, d’où ces propos sont tirés, s’est effectué sur un laps de temps très court : 3 jours…Sans faire de procès d’intention aux responsables de l’étude, on peut se demander néanmoins si dans de telles conditions, les conclusions qui en ressortent émanent uniquement du discours des habitants ou bien si elles n’ont pas été « enrichies » par des extrapolations à partir de stéréotypes préexistants… Un responsable de l’OPAC interrogé cette fois pour les besoins de la présente recherche va dans le même sens de ce qui a été dit précédemment : « l’image du quartier est négative[…] les habitants ont l’impression d’être délaissés[…] cette image de quartier ‘pourri’ se ressent dans les écoles. Les enfants reviennent avec la certitude que leur quartier est ‘pourri’ et qu’ils ne valent finalement pas mieux .» Entre autres comportements qui illustrent cette « honte » d’habiter le quartier : le fait que des enfants qui rentrent en bus de l’ école descendent aux arrêts avant que celui-ci ne pénètre dans le quartier…

Globalement, on constate « une grande insatisfaction à tous les niveaux ». Par conséquent, il n’existerait pas « de socle véritable sur lequel s’appuyer pour mener des actions en vue d’améliorer la vie dans le quartier »(Le Goaziou, 2001). « Les habitants les plus actifs, les plus ‘vitaux’, les ‘forces vives du quartier’ sur qui il faudrait s‘appuyer pour engendrer une dynamique de changement sont ceux ‘qui veulent partir’ » (Ibid., 2001).

Si effectivement, à l’écoute des paroles entendues lors de nos entretiens avec quelques habitants du quartier, certains individus semblent pâtir de cette image dévalorisante du quartier au point d’avoir de réelles conséquences sur leurs « comportements », à l’instar de cet homme habitant un logement social et se présentant comme un « invalide à 100% » : « l’image du quartier est négative […] en dehors du quartier je n’ai que de mauvaises relations […] les gens savent d’où je viens. On se fout de moi… Avant je sortais…plus maintenant », au regard d’autres entretiens, nous avons pu constater ici et là des « états d’esprit » qui ne semblent pas conditionnés par cette « image du quartier ». Ainsi cette retraitée habitante d’un immeuble situé face au centre Bougainville affirme : « j’ai déjà entendu des tas de remarques au sujet du quartier. Mais les gens disent n’importe quoi. Ils ne connaissent pas le quartier. Il y a la même chose ailleurs […] Je ne me sens pas du tout isolée ici […] Il y a déjà beaucoup d’équipements ici…L’annexe de la mairie en bas à proximité d’ici : c’est super ! »

L’exemple de cette femme, également retraitée, qui habite dans un HLM depuis 34 ans dans le « secteur » de l’Ile Crozet -décrit dans les rapports diagnostics comme le « coin » du quartier qui « cumule le plus de handicaps » tant « au niveau social que fonctionnel »- fait taire certains a priori. Elle tient des propos laissant présumer que sa faible « mobilité », de prime abord, ne serait, en aucun cas, liée à une mauvaise image du quartier à laquelle elle s’identifierait. Aussi déclare-t-elle : « Je n’ai jamais entendu de remarques particulières sur le quartier. Je ne sais pas comment les ‘autres’ jugent le quartier. Je ne sors pas du quartier car je n’ai pas besoin de le faire. Ici, il y a le centre commercial, les médecins : ça suffit. »

Les entretiens réalisés avec des habitants de la zone pavillonnaire semblent appuyer l’idée selon laquelle « cet espace ne souffre pas vraiment d’un déficit d’image » de l’avis des différents acteurs intervenant sur le quartier. Suivant cette idée, nous serions amenés à penser que « l’image du quartier » ne serait pas constitutive de « l’image de soi » pour ces personnes interrogées et que celle-ci n’influencerait donc pas les « pratiques du quartier ou de la ville » des résidents de cet espace.

Cependant, ce constat serait paraître paradoxal au vu des fait exposés plus loin (Cf Partie III-3). En effet, les habitants du pavillonnaire interrogés semblent également parfois souffrir de ce « problème d’ image du quartier » au même titre que les individus du « parc social » ; les références au quartier de la Découverte –au vu des entretiens effectués avec des habitants d’autres quartiers de la commune- se situant sur le mode d’un discours réduisant la Découverte à « un parc HLM indésirable ». Aussi, entend-on de la part des personnes rencontrées dans le « secteur » pavillonnaire que « c’est très bien ici », « qu’on ne tient pas rigueur des critiques sur le quartier » et qu’ « on a tout à portée de la main, alors on sort très peu du quartier ».

Finalement, on conjugue les deux modes : on reconnaît que le pavillonnaire à une « bonne image » à l’intérieur du quartier : c’est comme cela que les acteurs agissant sur le quartier le définissent, mais aussi on s’approprie les remarques désobligeantes sur le quartier venant des « gens de l’extérieur ». Cependant, ce discours négatif sur le quartier est, a priori, plus vigoureusement et fréquemment rejeté par le « monde pavillonnaire ». Ainsi, ce discours peut être considéré comme participant peu à la construction de « l’image de soi » ; cette dernière ne devant que peu influencer la mobilité des résidents des maisons individuelles…Toutefois, en rédigeant ces lignes, nous prenons conscience de la faiblesse d’une telle analyse…

Tenter d’évaluer dans quelle mesure « l’estime de soi » influence les « pratiques » des espaces se révèle de toute manière difficile. Cerner la part de l’influence de « l’image du quartier » sur l’image que les habitants ont d’eux-mêmes est une entreprise périlleuse qui tient plus de la psychologie sociale, voire de la psychanalyse –individuelle par essence- et qui sort du domaine de compétences du seul géographe (même social).

De plus, si l’ « image de soi » a une influence sur la mobilité, d’autres paramètres que ceux liés aux « effets de réputation » entrent en jeu, à coup sûr, pour « construire » une représentation de soi…

Enfin, si « l’estime de soi » est un critère qui « a du sens » pour évaluer les « pratiques de la ville ou du quartier », celui-ci ne peut pas être exclusif. Aborder la question du « lien et des activités sociales » en prenant en considération la densité des équipements sur le quartier par rapport à d’autres espaces de la commune, permet d’aller plus loin dans l’analyse des phénomènes de mobilité ou de non-mobilité. Mais est-ce suffisant ? Un quartier « bien équipé » est-il forcément « bien investi » par exemple ? Et qu’est-ce qu’un quartier « bien équipé » ? Tous les individus ont-ils nécessairement les mêmes besoins ? Une école, un supermarché et un cabinet médical peuvent suffire à certains individus, alors que d’autres ne se satisferont des équipements présents sur un espace que si ceux-ci leur apportent « l’accès à la culture » ou des activités sportives par exemple…

c- Des activités sociales déterminantes pour « pratiquer » la ville ?

La sociabilité de voisinage à la Découverte

L’enquête menée en 2001 par l’Agence de sociologie pour l’action – OPAC Emeraude Habitation, précédemment citée, pose le constat d’ « un lien social existant » à la Découverte : « les tissus relationnels des habitants d’une part et les relations entre habitants d’autre part semblent quasi-inexistants. »

Le voisin est perçu comme « une source de nuisance potentielle » et, « les habitants » considèrent qu’avoir « de bonnes relations avec les gens » c’est « de ne pas avoir de problèmes avec eux ». Les relations entre « les gens » semblent « teintées d’affects ». Celles-ci sont appréhendées sur le mode du jugement moral. Ainsi les habitants ou voisins pourront être selon le cas « gentils » ou « méchants », on dira qu’ « ils nous embêtent » ou « nous laissent tranquilles », qu’ils « nous en veulent » ou « nous aiment bien »…Cette même enquête montre que les « ‘habitants’ établissent des distinctions entre eux ou entre différents ‘secteurs’ du quartier ». A partir des propos recueillis par les chargés de l’enquête, « une sorte de typologie des différents types d’habitants » a été établie une fois l’enquête achevée. Cette « typologie » a pu être matérialisée ainsi :

– les « cas sociaux »
– les « gens biens »
– «ceux qui boivent » (les alcooliques)
– les « gens moraux »

Cette « catégorisation » des « types » d’habitants présents sur le quartier entraînerait « une concurrence les uns par rapport aux autres » et pas de « coopération » entre les différents résidents du quartier.

Les entretiens individuels effectués pour ce travail de recherche ont permis de recueillir quelques avis qui corrèlent, en partie, les faits cités ci-dessus tout en les nuançant. Aussi cette femme, retraité et résidante du quartier depuis 1979 déclare : « le voisin du dessous est un ‘malade’, il est gênant avec ses chiens » avant d’ajouter : « mais j’ai de très bons voisins de palier autrement : on s’entend très bien […] il m’arrive d’aller faire mes courses au centre là à côté avec une de mes voisines »

Les enquêteurs de l’étude PCV, vie de quartier, extension à Saint-Malo : La Découverte, Bellevue, la Madeleine. Sécurité, insécurité, lien social, vie associative, rapports aux services de l’ INSEE de 2002 (Daniel, 2002) ont interrogé un panel d’environ 1000 ménages répartis dans trois quartiers de Saint-Malo (la Découverte, Bellevue, La Madeleine) entre autres sur le thème de la « solitude et de l’ennui ». La question suivante leur a été posée : « hier avez-vous eu l’impression d’être seul ? ». 9 % des habitants de Saint-Malo ont répondu par l’affirmative contre 14,5 % des habitants interrogés vivant sur l’ensemble des quartiers étudiés. « En cumulant solitude et ennui, c’est au total 15 % des habitants des trois quartiers qui ont ressenti l’un ou l’autre de ces sentiments ».

Un autre paramètre a été pris en compte sur ce thème de « la solitude et de l’ennui » : l’appartenance ou pas à un groupe d’amis. Ainsi, « parmi les habitants (de 15 ans et plus) de ces trois quartiers, 29 % font partie d’un groupe d’amis ou d’une bande de copains ; c’est le double si l’on considère les moins de 26 ans, et 15 % en se limitant aux 60 ans et plus ». Ces constats établissant que « les élèves ou étudiants font plus souvent partie d’un groupe d’amis » ou sur « la pauvreté des relations familiales » sont peu significatives quant à la réalité existante dans un quartier ou dans un autre.

Les équipements du quartier et leur fréquentation et la participation associative

Etre membre d‘une association participe à la construction de liens sociaux (Daniel, 2002). A l’échelle des trois quartiers, l’enquête INSEE constate que « la participation [associative] est plus importante pour ceux qui habitent le parc privé : 35 % contre 19 % dans le parc HLM. » L’ampleur de la « participation associative » à la Découverte est illustrée par ce chiffre de 17 %. Elle est plus importante dans le quartier de Bellevue limitrophe à celui de la Découverte. Ainsi, ce sont 35 % des « habitants » de ce quartier qui fréquentent une association (Ibid., 2002). L’enquête précise cependant que « pour trois quarts des adhérents l’ association est située en dehors du quartier…

Par ailleurs, chez certaines « catégories » d’individus la pratique associative est plus répandue : « les personnes âgées », «les personnes seules ou faisant partie d’un couple sans enfants ». A partir de l ‘indicateur CSP, on constate que les cadres et les professions intermédiaires « sont plus fréquemment engagés dans une association » que les ouvriers (Ibid., 2002). Mais ce constat à l’échelle de la Découverte n’a que peu de sens finalement au regard de la surreprésentation de la « CSP ouvrier » dans la population du quartier…

Sur l’ensemble des quartiers des quartiers de la Découverte, Bellevue et la Madeleine, on constate une « faible fréquentation » des centres socio-culturels, des maisons de quartier, des maisons des jeunes ou des clubs du troisième âge (Daniel, 2002). 6 % fréquentent un équipement sportif et 3 % une bibliothèque ou une médiathèque. En outre, 5 % des personnes interrogés « pensent n’avoir aucun de ces équipements dans leur quartier » (Ibid., 2002). Enfin, on nous dit que « ces résultats peuvent surprendre, car dans ces quartiers malouins, les équipements sont plus présents qu’en moyenne au niveau national ou dans les autres ZUS de France »(Ibid., 2002).

Mais, tenter de cerner les « pratiques du quartier » des « habitants » passe par le besoin de faire l’état des lieux en matière de réseaux associatif, d’équipements présents. Mais aussi connaître la densité en « équipements » dans les autres quartiers serait nécessaire pour une approche comparative des niveaux d’ équipements. Cependant, cet état des lieux des équipements présents dans d’autres secteurs de la ville n’est pas réalisé. Aussi, mettrons-nous simplement en avant les éléments sans doute significatifs participant à la vie sociale du quartier :

-la présence d’un collège et de deux groupes scolaires constitués chacun d’une école maternelle et d’une école
-une ligne de bus passant par le rue de l’Arabie, c’est à dire dans la zone pavillonnaire et une autre au niveau de la rue de l’Arkansas
-le centre Bougainville regroupant une antenne administrative et le centre social de la ville
-un centre commercial rénové depuis 2002, autour duquel se sont implantées d’autres enseignes de type magasins « discount »
– l’association Le Goëland composée d’une équipe d’éducateurs proposant en autre des activités pour « les jeunes »
– un club de football : l’Association sportive de la Découverte (ASD) qui disposent d’un terrain de football à proximité d’un terrain de jeu destiné à la Pétanque…

– un centre de loisirs pour « les jeunes »
– des associations caritatives : Secours populaire…
– des associations d’insertion par l’économique
– des associations de locataires : l’Amicale Emeraude Habitation…
– un comité de quartier

Les pouvoirs publics par le biais d’études réalisées sur le quartier affirment que le quartier de la Découverte dispose d’une offre en « services » conséquente.

Sur la question des « manques du quartier » les habitants de la Découverte interrogés répondent « rien du tout » à 40,6 % , « des activités pour les jeunes » à 32,8 % ». Il ne sont que 3,1 % à déplorer l’absence de transports en commun et 0,4 % à désirer voir s’implanter une nouvelle école ou un nouveau collège ou un lycée : « Les acteurs et les habitants [reconnaissant] la qualité des structures scolaires » (Daniel, 2002)

Ces chiffres peuvent paraître paradoxaux. D’après les acteurs institutionnels l’offre d’activités à la Découverte, en particulier pour les jeunes est pléthorique or c’est un sujet d’insatisfaction pour les habitants. Face à cette contradiction, des éléments de réponses nous sont fournis dans le projet de convention cadre du CUCS : « Les jeunes ne connaissent pas vraiment l’offre dans ce domaine. [Il existe] un décalage entre une offre structurée et encadrée et une partie des jeunes des quartiers prioritaires exprimant méfiance ou désintérêt vis à vis d’une offre de loisirs jugée trop rigide. L’idéal reste ailleurs : lieux improvisés , activités en libre service, équipements souples en termes d’accessibilité, refus de l’autorité propre aux activités socio-culturelles ».

De plus, la mauvaise desserte en transports en commun est un constat affirmé par les rédacteurs des diagnostics sur le quartier mais n’est visiblement pas un sujet de préoccupation ou un problème pour les habitants. Du point de vue des « habitants » : « les transports collectifs sont perçus comme positifs » mais sont insuffisants pour faire diminuer le sentiment d’isolement selon les chargés de l’étude d’où sort ce constat (Le Goaziou, 2001). Deux lignes de bus desservent le quartier, pourtant une personne interrogée nous a dit : « Je ne me sens pas isolé grâce au bus ».

Si les « habitants » sont satisfaits de la desserte en transports en commun plusieurs cas de figure s’imposent a priori : soit ils sortent peu du quartier pour des raisons sans doute fortes diverses (le quartier est suffisamment doté en équipements : les habitants ne ressentent donc pas le besoin de sortir en dehors de celui-ci ; soit ils répugnent à sortir de leur quartier pour les raisons évoquées plus haut pouvons-nous penser (cf. : partie III-2-b)) ; soit ils utilisent d’autres modes de transports…dernière hypothèse à mettre en perspective avec ce chiffre de 40 % de ménages ne possédant pas véhicules (INSEE, 2002).

Ou bien, acceptons tout simplement le fait que la desserte en transports en commun est tout simplement suffisante pour répondre aux « besoins » des habitants…Mais ce dernier constat est-il acceptable pour les rédacteurs des projets urbains ? Pourquoi dire que l’offre en transports en commun est insuffisante si les « habitants » du quartier s’en satisfont ? N’essaie-t-on pas ici de « créer »un besoin ?

Certains diagnostics donnent l’impression de vouloir faire comprendre aux gens des problèmes dont ils n’auraient pas conscience finalement, cachant une sorte de paternaliste que l’on se croit en droit d’imposer à des populations dont on pense qu’elles sont dans l’incapacité de raisonner par elles-mêmes et d’être suffisamment lucides pour analyser la situation dans laquelle elles se trouvent…

d- Quelles mobilités pour quels « habitants » ?

Une étude fine de la mobilité des « habitants » d’un « quartier » passe par l’observation précise de la manière dont ceux-ci se déplacent, des endroits qu’ils affectionnent ou au contraire des endroits qu’ils considèrent comme « repoussants ». Les interactions entre les individus, le regard porté sur « l’autre » semblent être des éléments à prendre en compte pour évaluer les « pratiques » de la ville ou du quartier.

S’ils existent effectivement des inégalités entre individus de différents quartiers pour l’accès à des ressources diverses ( équipements sportifs ou culturels, bassin d’emplois…) déterminées par le lieu d’habitat alors on pourra se demander aussi dans quelle mesure les « effets de quartier », les « effets d’adresse » conditionnent l’inégale accès aux services et aux équipements…

Les « barrières symboliques » comme le « sentiment d’être rejeté », « l’impression d’être indésirable » dans d’autres quartiers mais aussi les « barrières physiques » : « coupures urbaines », transports en commun inadaptés en terme d’horaires, de lieu de desserte, à l’intérieur du quartier et de destination ignorant les lieux extérieurs au quartier affectionnés par les « habitants » et ceux dont la fréquentation à un caractère utilitaire pour eux (lieu de travail, services administratifs ou médicaux), ou la faible motorisation (difficulté « d’ accès » au permis de conduire) sont des paramètres à prendre en considération si l’on veut réellement aborder les problématiques liées à l’éventuel l’isolement d’un espace et ses occupants. Le diagnostic « enclavement d’un quartier » ne peut être satisfaisant si les pratiques de la ville, le sujet de la mobilité des « habitants » n’ont pas été précisément étudiés…

Appréhender les faits sociaux « sans induction ». S’intéresser de l’intérieur à la manière dont les groupes sociaux investissent la ville, sans utiliser le plus « traditionnel » regard extérieur pour décrire et évaluer les comportements des individus-acteurs est une piste envisageable pour mener une recherche fine sur la mobilité. Autrement, éviter de « lire » systématiquement la vie sociale en fonction de concepts établis par les disciplines des différentes sciences humaines et sociales.

Raisonner sur un petit groupe d’individus en utilisant les « lois du grand nombre » aboutit sûrement à des conclusions hasardeuses, au final. Aussi, dans le cadre d’une lecture ethnométodologique de certaines actions banales quotidiennes : les ethnométhodes, ici la mobilité, le groupe considéré pour l’étude, devrait être entre autre « observable », c’est à dire à l’échelle du chercheur…

Observer in situ comment se font les contacts et évitements avec les autres. La « production » de l’individu se faisant au contact d’autrui, les conduites s’élaborant en fonction de l’autre, l’ individu devrait être approché à l’échelle « micro » ; l’échelle à laquelle il est un acteur, parle seul et fait qu’il soit là…

Nous proposons ici à la lecture quelques « discours » d’habitants à propos de leurs « conduites ». Nous avons retenu de ces paroles que, finalement, nous pouvons trouver des comportements en termes de mobilité allant au-delà de la systématisation consistant à affecter à une « catégorie » de population, définie statistiquement, une manière unique d’investir l’ espace.

Nous avons vu, de plus, que les espaces investis, fréquentés, ne sont pas forcément des espaces proches du lieu de vie même pour les « plus démunis », et que par ailleurs le paramètre «déficit d’offre de transports en commun » n’est pas systématiquement à invoquer comme cause de la faible ou de l’absence de mobilité. Le « je ne veux pas sortir de ‘chez moi’ » entendu lors d’un entretien est par exemple justifié par le fait que : « on est bien dans le quartier, on a tout ce qu’il faut ici : l’école pour les enfants, les magasins, ‘le docteur’, la pharmacie…et puis il y a les jeux pour les gamins en bas de l’immeuble. »
Cette femme, agent de service à la retraite et résidente du parc social –nous avons qualifié cet individu à partir d’attributs liés à son statut social- assure qu’elle ne sent « pas du tout isolée », qu’elle effectue de « nombreux déplacements dans la ville et en dehors. » « Je vais à Intra [-Muros], à Saint-Servan quand j’ai des courses à faire mais aussi à Cancale, à Lanhélin car mes enfants vivent là-bas […] Je n’ai pas besoin de voiture ni de prendre le bus car mes enfants viennent me chercher dès que j’ai besoin de me déplacer.» Elle ajoute qu’ elle fréquente le centre commercial « quotidiennement » et que « la maison médicale est à deux pas » de chez elle, ce qui constitue « un grand avantage ».

Nous retrouvons cette même attitude dans les zones pavillonnaires du quartier comme dans le parc social et qui consiste à dire que le quartier présente de « beaux avantages » en termes d’offres de services, que « tout est à portée de mains » et que cela incite peu à sortir du quartier par conséquent.

Si nous tenons compte de l’ensemble des entretiens réalisés pour cette recherche qui a consisté, finalement, en une série d’approches par l ‘individu et qui n’a pas vocation à être généralisé et encore moins à faire l’objet de différents « traitement mathématiques » qui n’auraient aucun sens vu la faiblesse numérique de l’échantillon sur lequel nous avons travaillé -ce qui nous ramènerait, de plus, à globaliser les comportements en termes de mobilité- , nous avons pu constaté, qu’ à une exception près, les individus approchés ne se reconnaissent pas dans ce qui semble être une prénotion : « l’isolement des habitants du quartier de la Découverte », l’ « entre-soi contraint des habitants de la ZUS» de manière générale mis en avant par les acteurs intervenants sur le quartier.

Par suite comment interpréter ces derniers constats ? Certes, d’un point de vue statistique les objections ont nombreuses face aux résultats de notre enquête. A titre d’exemple, une étude statistique n’est considérée comme « valable » que si elle porte sur un « panel » d’individus d’au moins 1000 individus avec une égale répartition des différentes catégories sociales à l’intérieur de la population étudiée. Mais justement, pour notre étude il ne s’agissait pas de cela.

Nous voulions simplement recueillir les propos de quelques habitants pour « se faire une idée » de la réalité vécue par ces personnes indépendamment des classifications qui produisent des « masses homogènes » et qui nient par essence les particularités individuelles. Alors bien sûr, les « approches globales » sont un support, un outil de décision politique sur lesquelles s’appuyer pour mettre en oeuvre les actions jugées nécessaires sur certains espaces à des niveaux d’échelle prédéfinis. Mais pourtant peut-on se dispenser d’étudier les trajectoires individuelles, celles qui rompent avec le « sens commun » pour agir efficacement sur les territoires ? Car nous pouvons difficilement douter qu’il n’existe pas une réalité multiforme à l’échelle d’un quartier comme celui de la Découverte…

Enfin, au-delà de la « capacité » à se mouvoir dans l’espace urbain pour les « déplacements du quotidien », les « habitants » du quartier de la Découverte ont-ils accès aux mêmes lieux que les populations dites « aisées » de l’agglomération malouine ? En effet, en quoi peuvent-être réellement significatifs, à eux seuls, les « taux » de fréquentation du supermarché ou des associations du quartier de la Découverte?

La question à se poser serait plutôt : Y-a-t-il des « territoires de non-droits » pour les habitants de la Découverte -pour reprendre à contre-sens une expression largement diffusée par la sphère politico-médiatique- qui seraient réservés à une « élite malouine » ?

Autrement dit, certaines franges de la population malouine sont-elles exclues de certains espaces appropriés par la « haute-société » locale ? Existent-ils à Saint-Malo des mécanismes générant « l’appropriation privée de certaines parties de l’espace public » au profit de cercles très fermés ? Pour cette entreprise, l’approche par l’individu ne semblerait pas s’imposer naturellement puisque ici les enjeux de la « mobilité » se réfèrent à une lutte des classes sociales pour s’approprier des territoires. Autrement dit, d’un point de vue méthodologique, seule la dialectique marxiste paraît d’être à même de mettre en évidence l’existence d’un tel phénomène…

Car c’est à ce niveau que semble se jouer les causes d’existence de phénomènes de ségrégation-agrégation : la mise en évidence d’un hiatus entre des populations « démunis » et une part de privilégiés qui seraient susceptibles de contrôler certains lieux. L’existence d’une « main-mise » sur des espaces « naturelles » récréatifs, d’établissements scolaires, voire de clubs sportifs dont l’admission du « public » est soumise au droit de regard des parents d’élèves les plus fortunés ou à celui des adhérents les plus solvables dans le deuxième cas, ou encore de comités de défense des beaux quartiers allant dans le sens d’une volonté d’éviter certaines « présences inopportunes » dans des lieux « réservés » : autant d’éléments à considérer permettant d’évaluer la réelle mobilité dans l’espace urbain des individus issus de classes sociales « faibles » économiquement et de montrer ou non l’existence de phénomènes ségrégatifs affirmés…

3-La Découverte-Espérance : un quartier qui laisse entrevoir des situations internes différenciées…

a- Une dualité qui se dessine entre le « monde pavillonnaire » et l’ « univers » du « grand ensemble »…

Un fait indéniable est qu’une grande majorité des habitants de la zone pavillonnaire sont des résidents de longue date dans le quartier de la Découverte. Les personnes interrogées dans ce secteur du quartier de la Découverte appartiennent à une classe d’âge allant de 65 à 85 ans. Cette enquête ne prétendant pas à l’exhaustivité, nous ne généraliserons pas les faits présentés. Cependant, les enquêtes INSEE déjà cités dans cette étude montrent que l’âge moyen des individus dans le pavillonnaire est plus élevé que dans la zone des collectifs d’habitation et que ces individus des maisons individuelles sont installés dans le quartier, le plus souvent, depuis plus longtemps que les habitants du parc HLM.

Beaucoup d’habitants sont retraités (45% de la population de la zone pavillonnaire) et peuvent être considérés comme les premiers habitants de ce secteur de la ville, les « aborigènes » du secteur est de la ville en quelque sorte. Ces ménages constituent véritablement la mémoire du quartier et sont les témoins de l’évolution de celui-ci depuis une quarantaine d’années, pour certains d’entre eux. Un grand nombre parmi eux affirme avoir choisi ce quartier pour l’opportunité qui leur était donnée de devenir propriétaire de leur logement mais aussi pour faciliter la scolarisation de leurs enfants à l’époque où ils s’installent sur cet espace. « Nous aurions aimé vivre dans le quartier de Paramé. Mais nous avons fait le choix de la Découverte car on nous avait promis la construction d’une école dans le quartier avant le quartier de Paramé, ce qui s’est effectivement passé ». Nous voyons ici que la Découverte est finalement, au début des années soixante, un quartier attractif car il bénéficie d’une politique volontariste pour l’installation d’équipements et de services publics.

D’ailleurs, les équipements et services du quartier : centre commercial, maison médicale, services paramédicaux (pharmacie, cabinet de kinésithérapie) sont quasiment toujours cités comme étant les « points forts » du quartier.

Cependant, la « belle époque » du quartier de la Découverte semble appartenir à un passé définitivement révolu. Cette retraitée vivant rue de l’Arabie, évoque, avec nostalgie, la période où les logements collectifs étaient encore peu présents dans le paysage urbain local :

« nous vivions en paix, avec des voisins charmants, les gamins jouaient ensemble à des jeux d’enfants, pas comme maintenant avec toutes ces saloperies ( ?) qui traînent », « nous n’étions pas au courant qu’autant d’immeubles allaient être construits dans le quartier. Au début, il ne devait y avoir que des petites maisons. Depuis l’implantation des immeubles, tout a beaucoup changé ici ».

Quand ces personnes abordent le sujet du projet de rénovation du quartier, elles déclarent que « la ville a de l’argent à perdre » que « l’argent va toujours aux mêmes personnes », qu’au mieux « ce serait peut-être un bien » mais qu’ils ne se sont pas « informés » : « les articles dans les journaux sont confus », « on n’entend que des ragots », « nous comprenons mal [ce projet] » avant d’ajouter que de toute façon cela ne les concernent pas…

Les résidents du secteur pavillonnaire refusent le plus souvent d’être considérés comme des habitants du quartier de la Découverte. «La Découverte , c’est le long de la voie express [l’avenue du Gal de Gaulle] », « la Découverte, ce sont les squares », « moi, je n’habite pas à la Découverte mais à proximité du champ de course ». Ici « on est tranquille, le quartier chaud c’est le long de l’avenue du général de Gaulle ». Le « monde » pavillonnaire n’est pas assimilable à l’ « univers » constitué de « ces immeubles à l’architecture désastreuse » à « toutes ces horreurs construites à la va-vite».

Plusieurs personnes interrogées avouent ne pas dire à qui le leur demande qu’elles habitent le quartier de la Découverte. Elles usent alors de paraphrases dans lesquelles elles décrivent la localisation de leur lieu d’habitation à proximité d’équipements ou d’espaces « neutres » ne souffrant pas d’un déficit d’image. Ainsi, les paroles de ce retraité illustrent cette situation : « Quand je travaillais je disais à mes collègues que j’habitais près de l’hippodrome ». D’autres personnes résidantes dans le parc privé pavillonnaire n’hésitent pas à dire qu’ils vivent « à deux pas du lycée Maupertuis », pourtant situé face à l’hôpital de Saint-Malo et relativement éloigné du quartier de la Découverte à proprement parler.

Cet autre habitant tient à se désolidariser du « monde » du « grand ensemble » de la Découverte et affirme: « je vis dans une maison qui m’appartient, situé dans une rue qui croise la rue de Triquerville, menant à la route Rennes-Saint-Malo » et conclut « donc je n’habite pas à la Découverte ». Cet individu veut donc se démarquer du territoire du « grand ensemble » d’une part, en précisant clairement, son statut de propriétaire, et contredit implicitement l’idée largement répandue dans le reste de la ville selon laquelle la Découverte est uniquement un « quartier HLM » réservé à des populations peu ou pas solvables, donc essaie inconsciemment de donner une autre image du quartier, et d’autre part, en vient presque à faire sécession avec le « reste » du quartier, par la représentation mentale de son lieu de vie, en s’excluant de l’espace dans lequel son lieu de résidence s’inscrit, par la description d’une improbable localisation de son logement, sur un territoire sans nom, qui de toute façon laisse entendre à qui sait comprendre, qu’il s’agit de la Découverte et que de ce fait cet individu nie, son « identité » d’habitant de ce quartier.

Nous voyons bien que d’une manière générale, les ménages des secteurs pavillonnaires, usent de circonlocutions pour masquer leur gêne d’habiter un quartier aussi souvent dénigré. Autrement dit, les habitants la zone pavillonnaire, propriétaires de leur logement pour une très large part, ne paraissent pas partager pas ce sentiment d’appartenance au quartier de la Découverte avec les locataires des immeubles collectifs.

Pourtant, chaque allusion, chaque jugement négatif relatif au quartier où ils vivent effectivement les interpellent. Si beaucoup de résidents des maisons individuelles du quartier « refusent » d’habiter le quartier de la Découverte, ils sont souvent prompts à défendre celui-ci dans sa globalité : « il n’y a jamais eu d’histoires dans le quartier », « la Découverte est un quartier populaire, mais il n’y a pas de problèmes majeurs ici ». Les « gens » du secteur pavillonnaire usent alors de comparaisons avec d’autres secteurs de la ville : « Bellevue, c’est bien pire qu’ici sûrement », « l’Intra-Muros est peu fréquentable, on y va jamais ».

Assurément, le pire est ailleurs : « ici, il n’y a rien de comparable à ce qui peut se passer dans certains coins de Rennes ».

Nous signalerons de plus, que les enfants de ces couples retraités ayant quitté le domicile parental aujourd’hui, sont souvent des actifs présentant un niveau scolaire « élevé », souvent diplômés de l’enseignement supérieur et qui résident désormais dans des secteurs de la ville présentant une population plus « aisée » qu’à la Découverte ou ont quitté la ville. Citons cette femme qui déclare : « Mes filles ont réussit, l’une est magistrat, l’autre est conseillère principale d’éducation » et cette autre qui parle de sa fille en terme élogieux : « ma fille a toujours été douée en classe, elle était infirmière puis elle a obtenu un CAPES en lettres et est maintenant professeur ». Elle continue en disant que sa fille a sûrement profité d’ « un meilleur environnement pour sa réussite que si elle avait vécu en HLM…

b- Une micro-segmentation sociale à considérer pour une étude plus fine des réalités sociales à la Découverte…La rue, l’îlot, l’immeuble, la cage d’escalier : des espaces hétérogènes socialement…

A la vue des conclusions des différents rapports diagnostics relatifs au quartier, laissant l’impression que celui-ci est finalement un espace socialement homogène, nous sommes tentés d’interroger les faits qui nous sont présentés. En effet, « la tendance naturelle du raisonnement statistique serait de considérer comme étant la plus pertinente l’échelle qui fait apparaître les oppositions les plus tranchées » (Grafmeyer, 1991). Par suite, les entretiens réalisés avec quelques habitants du quartier de la Découverte –certes insuffisants en nombre- nous incitent à essayer d’observer la réalité sociale à d’autres niveaux d’échelles.

Si le quartier de la Découverte-Espérance apparaît dévalorisé socialement, existe-il des espaces se dissociant de ce « marquage social dominant » ? Les études, à partir de l’échelle des « quartiers INSEE » ayant pour but de dégager des caractéristiques types de certains espaces semblent masquer une « mosaïque sociale » plus fine : « le changement d’échelle sur un même objet géographique est productif d’un autre regard, source d‘enrichissement » (Madoré, 2004). Mettre en évidence des micro-segmentations sociales à l’intérieur du « quartier », qui plus est dans la ville, « renvoie donc à une question déterminante pour la lecture et, a fortiori, la compréhension de la division sociale de la ville » (Madoré, 2004).

Cependant, quelles sources se révèleraient suffisamment discriminantes pour mettre en évidence les faits évoqués ? Les recherches sur le centre historique de Nantes de Danielle Rappetti ont pris en compte, à l’échelle de la rue, le profil fiscal moyen des ménages, « donc de leur niveau d’aisance ou de pauvreté ».

Les études de Yves Grafmeyer et Jean-Yves Authier montrent dans le cas des secteurs centraux de Lyon « l’hétérogénéité du profil social des segments de rue ». Yves Grafmeyer a pu, par exemple, mettre en relief « une opposition entre les immeubles donnant sur la rue et ceux ouvrant sur une cour intérieure, les premiers semblants plus valorisés que les seconds ». A contrario, J-Y Authier a pu souligner le fait que dans un autre quartier de Lyon, nous étions face à un phénomène d’homogénéisation sociale : les cadres ayant plutôt pour voisin des « professions intermédiaires » alors que les ouvriers coexistent avec des employés.

Une question surgit alors : celle de « la représentation de ces micro-segmentations sociales par la population ». Autrement dit, quel est le rôle de la variable localisation dans le choix d’un logement ? Bien sûr, les études portant sur l’effectivité ou non de micro-segmentations sur le quartier de la Découverte étant inexistantes, ces questions ne peuvent obtenir de réponses qu’a posteriori ; c’est à dire à partir du moment où des recherches portant sur d’éventuelles segmentations sociales dans le quartier seraient effectuées…

De plus –même si cette stratégie pourrait se révéler au final peu concluante sur l’éventualité de l’existence d’une autre réalité sur le quartier- l’obligation se fait sentir de faire l’effort de ne plus considérer les individus vivant sur le quartier comme « des habitants » mais comme des acteurs qui s’exprime en leur nom et qui se « définissent » eux-mêmes et non plus comme des individus qu’on a à l’avance « étiqueté » comme des « habitants du quartier », « des chômeurs, » des « assistés » etc.

Le recensement INSEE montre qu’il existe bien des cadres et des professions intermédiaires à la Découverte (cf. Partie II-2-f), même si ceux-ci ne constituent qu’une frange très réduite de la population du quartier. A partir de ce constat, est-il possible de dégager des particularismes en termes de « comportements » : sociabilité, mobilité etc. chez ces « populations » ? L’idée d’une « tendance à l’homogénéisation sociale » à la Découverte peut-elle être nuancée par l’étude de ces micro-segmentations au sein de la population du quartier ?

Enfin, si nous tenons compte de l’ensemble des individus qui constituent la PSC ouvrière ou les chômeurs dans leur ensemble est-il pertinent, d’une part, de les « définir » seulement de cette façon et ,d’autre part, de mettre en lumière des éléments susceptibles de les différencier pour ne pas tomber dans le travers de la « généralisation », de l’approche réductrice qui consiste, finalement, à affecter, à chaque individu d’une « catégorie » de population prédéfinie, un mode de vie identique ?

In fine, c’est la manière d’appréhender l’éventualité de la réalité de phénomènes ségrégatifs à l’oeuvre sur un espace qui est en jeu. Y a-t-il d’autres alternatives que l’approche par la classe ou la catégorie sociale pour mener une étude sur la ségrégation ? En outre, cette dernière notion est-elle la seule qui mérite d’être mobilisé pour éclairer les faits sociaux existant sur un territoire ?

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