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§ 1 : Les obligations des actionnaires dans le processus de constitutionde la société.

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A. L’obligation de libération des apports.

Selon M. Sinay, les dispositions relatives à la souscription et à la libération du capital
social font référence à « l’élément social constitutif de l’essence même des sociétés de
capitaux »(25). Dans le cadre de la constitution de la société, la deuxième directive 77/91/CEE
du Conseil(26), qui pose essentiellement des règles relatives au capital social de la société
anonyme, fait obligation aux actionnaires fondateurs de procéder à la libération des apports,
définie comme « l’exécution de la souscription par la réalisation de l’apport promis, soit en
numéraire, soit en nature (…) (27)». La régularité de la libération des apports et, ce faisant, la
constitution d’un capital social réel permettant, selon une conception classique aujourd’hui
remise en cause(28), une protection effective des créanciers et des actionnaires, constituent
d’ailleurs les objectifs principaux de la directive(29).

En application de l’article 6, al. 1 de la directive, les législations nationales doivent
exiger que le capital social minimum des sociétés anonymes s’élève 25 000 euros(30). Il résulte
de la formulation des articles 9 et 10 que le capital social peut être constitué tant d’apports en
numéraire que d’apports en nature(31). Un apport en numéraire est une somme d’argent que
l’actionnaire s’est engagé à payer et les apports en nature consistent en tout bien attribué à la
société, autre qu’une somme d’argent, susceptible d’une évaluation pécuniaire et pouvant être
exploité commercialement(32). Dans tous les cas, le capital souscrit ne peut être constitué que
par des éléments d’actif susceptibles d’évaluation économique, ce qui exclut les apports
consistant en une prestation de service (art. 7) ou les apports en industrie, car ceux-ci n’ont
aucune valeur à l’égard des créanciers.

Concernant l’obligation de libérer les apports en numéraire, l’article 9 § 1 de la
directive fixe à 25 % le montant minimum de la valeur nominale des actions devant être libéré
lors de la constitution de la société ou de l’obtention de l’autorisation de commencer les
activités. La directive ne contenant aucune indication quant au montant restant, le délai dans
lequel celui-ci doit être libéré peut être déterminé librement par les États membres(33) : si le
droit français prévoit un délai de cinq ans (art. L. 225-3 C. Com.), le droit allemand n’en
prévoit aucun (§ 63 al. 1 AktG). En Allemagne, le directoire décide en effet souverainement
du moment où il demande la libération du montant restant des apports en numéraire(34).

Le régime européen des apports en nature est en revanche encadré de façon plus
précise, afin de prévenir de possibles abus(35) et de protéger ainsi non seulement les tiers, mais
aussi les autres actionnaires : en application de l’al. 2 de l’article 9, les actions émises en
contrepartie d’apports en nature doivent être entièrement libérées dans un délai de cinq ans à
compter de la constitution ou de l’obtention de l’autorisation de débuter l’activité. Comme le
souligne M. Lecourt, cette disposition ne présente guère d’intérêt dans la mesure où l’apport en
nature est, pour des raisons pratiques compréhensibles, le plus souvent libéré en une seule fois
(36). En application de l’article 10 de la directive, les apports en nature doivent faire l’objet d’un
rapport spécial établi par un ou plusieurs experts indépendants de la société, désignés ou
agrées par une autorité administrative ou judiciaire, et qui a pour objet de vérifier la valeur
effective de l’apport en nature et l’adéquation de cette valeur avec le nombre d’actions qui doit
être remis à l’apporteur. À cet effet, ce rapport doit décrire le ou les apports en nature ainsi que
leurs modes d’évaluation et indiquer si les valeurs auxquelles conduisent ces évaluations
correspondent au moins au nombre et à la valeur nominale (ou au pair comptable) des actions
à émettre en contrepartie. Ce rapport doit ensuite être publié selon les modalités prévues par
l’article 3 de la directive 68/151/CEE(37), afin que les autres actionnaires fondateurs ainsi que
les éventuels tiers intéressés puissent en prendre connaissance.

La directive sanctionne efficacement les obligations décrites ci-dessus en prévoyant
que « l’inobservation des dispositions relatives à la libération minimale du capital social »
peut constituer une cause de nullité de la société (art. 11 § 2 point d). Cette sanction s’explique
par le fait que la libération minimale du capital social est destinée à mettre à disposition de la
société un minimum de fonds lui permettant de débuter son activité(38).

De façon générale, la transposition de ces dispositions européennes en droits français
et allemand n’appelle pas de remarques particulières. Il convient cependant de se pencher sur
une difficulté particulière qui est apparue en droit allemand : il s’agit de la question de la
« verdeckte Sacheinlage », expression que l’on peut traduire par « apport en numéraire
fictif »(39). Il s’agit de la situation dans laquelle des apports en nature sont « déguisés » en des
apports en numéraire : l’actionnaire fondateur procède dans un premier temps à un apport en
numéraire, puis cède presque immédiatement un bien à la société, qui, en échange, en paie le
prix grâce aux fonds apportés par l’apport en numéraire précédemment effectué(40). Le bien
peut également être vendu dans un premier temps à la société, puis l’apport en numéraire
effectué au moyen du produit de la vente(41). Cette pratique permet de contourner les exigences
afférentes aux apports en nature(42). Dans cette hypothèse, la jurisprudence allemande prévoyait
depuis la fin des années 1920(43) une sanction stricte : l’actionnaire devait libérer une nouvelle
fois l’apport en numéraire auquel il s’est engagé envers la société(44). La question de savoir si
cette jurisprudence était contraire à la directive a fait l’objet de nombreux débats doctrinaux.
Tel aurait été le cas si l’article 11 de la directive devait être considéré comme une norme
procédant à une uniformisation complète. Certains auteurs considéraient que l’article 11 est
une disposition d’harmonisation totale dans la mesure où les normes d’harmonisation
minimales sont expressément désignées comme telles par la directive(45). L’opinion dominante
en doctrine avançait au contraire que l’article 11 constituait une norme d’harmonisation
minimale et justifiait sa position en s’appuyant sur le deuxième considérant de la directive,
selon lequel celle-ci tend à assurer une « équivalence minimale dans la protection tant des
actionnaires que des créanciers »(46). La Cour Fédérale de Justice allemande a expressément
abondé en ce sens dans une décision IBH/Lemmerz(47). Cette problématique ne devrait
cependant plus se poser avec autant d’acuité à l’avenir, dans la mesure où été insérée dans la
loi allemande relative aux sociétés par actions une disposition prévoyant que tout apport en
numéraire qui doit être considéré comme un apport en nature en raison d’une opération
ultérieure est valide. Il ne libère certes pas l’actionnaire de son obligation de libération de
l’apport en numéraire auquel il s’était originairement obligé, mais la valeur du bien doit en
être déduite. L’apporteur supporte la charge de la preuve de la valeur du bien (§ 27, al. 3
AktG).

B. La souscription ou l’acquisition de ses propres actions par la
société.

Dans le cadre de nos réflexions sur le régime européen de l’acquisition de la qualité
d’actionnaire, il nous a semblé légitime de nous demander si la société pouvait souscrire ou
acquérir ses propres actions et, en cas de réponse positive, à quelles conditions. Il faut
d’emblée préciser que, selon une conception « classique », aujourd’hui sérieusement remise en
cause(48), du rôle dévolu au capital social, une telle pratique est susceptible de porter atteinte au
principe d’intangibilité du capital social et de réduire ainsi l’assiette des droits des créanciers
sociaux(49).

L’al. 1e de l’article 18 de la deuxième directive apporte une réponse claire en prévoyant
que « les actions d’une société ne peuvent être souscrites par celle-ci ». Cette règle
impérative(50) est renforcée par l’al. 2, selon lequel une personne ayant souscrit des actions en
son nom propre mais pour le compte de la société doit être considérée comme les ayant
souscrit pour son propre compte. Cette interdiction de souscription de ses propres actions par
la société a été formellement transposée en droit allemand au § 56, al. 1 AktG, mais elle
existait antérieurement en droit allemand en vertu d’un principe général du droit des
sociétés(51). La conséquence de la violation du § 56, al. 1 AktG est la nullité de la souscription
en vertu du § 134 BGB(52). En France, l’article L. 225-206-I C. Com. vient transposer cette
interdiction de souscription de ses propres actions par la société.

L’acquisition par la société d’actions appartenant originairement à l’un de ses
actionnaires est, en principe, également prohibée par la directive(53). Les articles 19 et 20
prévoient des exceptions à cette interdiction, exceptions que les États membres ne sont pas
dans l’obligation de transposer(54). En revanche, dans l’hypothèse où ils souhaitent les insérer
dans leur législation, ils doivent se conformer aux conditions restrictives posées par les
articles 19 et 20, tels que modifiés par la directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006. Ces
conditions impératives sont au nombre de trois : premièrement, l’achat ne peut être effectué
par l’organe d’administration ou de direction que selon les modalités fixées par l’autorisation
accordée par l’assemblée générale. Ensuite, le montant des actions détenues en propre ne doit
pas excéder le montant des réserves distribuables. Enfin, les actions rachetées doivent avoir
été entièrement libérées, condition figurant déjà, en droit français, à l’article L. 225-210, al. 1
C. Com.. Une limite globale est fixée pour le rachat par la société de ses propres actions : en
effet, l’opération de rachat ne doit pas avoir pour conséquence que l’actif net devienne
inférieur au montant du capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne
permettent pas de distribuer. Étant donné que le montant des réserves légales est fixé par les
États membres, cette limite ne fait pas l’objet d’une harmonisation identique dans tous les pays
de l’UE(55).

En France, la loi n°98-546 du 2 juillet 1998 a supprimé le principe d’interdiction de
l’achat dérivé de ses propres actions par une société. Les conditions de cette possibilité sont
posées par les articles L. 225-207 à L. 225-217 C. Com.. L’acquisition de ses propres actions
par la société est effectuée par le conseil d’administration ou le directoire sur autorisation de
l’assemblée générale dont la durée ne peut excéder dix-huit mois. L’assemblée générale
définit les finalités et les modalités de l’opération, ainsi que son plafond. En application de
l’article L. 225-210 C. Com., la société ne peut posséder, directement ou par l’intermédiaire
d’une personne agissant en son propre nom mais pour le compte de la société, plus de 10 %
du total de ses propres actions, ni plus de 10 % d’une catégorie déterminée. Les autres
conditions posées par l’article L. 225-210 C. Com. sont celles contenues aux articles 19 et 20
de la directive. L’article L. 225-24 C.Com. prévoit que les actions possédées en violation des
dispositions susmentionnées doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur
souscription ou de leur acquisition. À l’expiration de ce délai, elles doivent être annulées.

En droit allemand, le § 71 AktG prévoit une liste limitative de huit cas dans lesquels
l’acquisition de ses propres actions par la société est admise. Il s’agit principalement des cas
dans lesquels cette acquisition est nécessaire afin d’éviter qu’un dommage grave menaçant la
société ne se réalise, de distribution d’actions aux salariés, ou de réduction de capital social
décidée par l’assemblée générale. Il convient également de souligner que l’acquisition de ses
propres actions par la société est possible – sans qu’une justification de fond ne soit nécessaire
– lorsque l’assemblée générale a donné délégation au directoire de procéder à cette acquisition
(§ 71, al. 1 Nr. 8 AktG). Comme en droit français, seuls 10 % des actions peuvent être
acquises par la société. De plus, il ne peut être procédé à cette acquisition qu’à la condition
qu’elle ne porte pas atteinte à l’intégrité du capital social et des réserves obligatoires. De plus,
dans certains cas, cette acquisition n’est possible que dans la mesure où les actions ont été
intégralement libérées (§ 71, al. 2 AktG).

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