« On a tout dit sur l ’affaire Rushdie : son livre Les Versets sataniques, les réactions des foules musulmanes en Grande-Bretagne et dans le monde islamique, sa condamnation et les menaces en provenance de l ’Iran, les mesures prises par les gouvernements européens, les protestations des éditeurs et des intellectuels occidentaux : tout, on a tout dit. On a même donné des explications fort savantes pour suggérer que l ’attitude de KHOMEINY
lui était dictée par des calculs de politique intérieure ». Ce bref passage, tiré d ’Hommes et Migrations de mai 1989, fut rédigé par Jean-Marie Gaudeul. On retrouve sa position et le texte intégral dans le journal La Croix (1) . Il met en avant la confrontation du texte révélé avec le texte imaginaire. En effet, l ’islam se voit une fois encore opposé à des critiques virulentes mais ce n ’est pas à un Nicolas de Cuse que nous avons à faire, mais simplement à un romancier. Alors pourquoi ces Versets sataniques ont-ils eu un tel impact ? S’agissait-il d ’un coup publicitaire à l ’échelle internationale ? Quel génie ce Salman Rushdie ! S ’agissait-il d ’une erreur d ’interprétation de l’Ayatollah Khomeiny ? Explication peu crédible pour ce chef de la révolution. Mais laissons de côté l ’aspect théologique que sous-entend Jean-Marie Gaudeul dans cette affaire et attardons-nous sur ce qui a conduit à ce glissement, à ce passage d ’une crise d ’ordre religieux à une crise politique. Essayons de comprendre cet éclairage soudain sur la seconde communauté religieuse de France. Nous essayerons de voir comment l ’événement RUSHDIE a réveillé l ’islam en France.
I. Les Versets sataniques : l’affaire.
A. Les origines.
1°/ L’auteur :
Né à Bombay en 1947, Salman Rushdie est issu d ’une famille assez aisée, son père étant un homme d ’affaires important. Il est envoyé en Angleterre à l ’âge de quatorze ans où il connaît très vite l ’exclusion raciste. C ’est pourquoi il rejoint ses parents en 1964 au Pakistan. C’est là qu’il commence son aventure littéraire; après un premier article censuré auquel s ’ensuit une grave crise de conscience, il décide de repartir pour l ’Angleterre. À la suite d ’un premier roman non publié sur la vie d ’un saint musulman, puis d ’un deuxième, GRIMUS édité chez Golland mais presque invendu, Salman Rushdie se terre pendant cinq ans à l ’issue desquels il s ortira Enfants de minuit, son premier succès qui lui vaudra le Booker Prize en 1981. En 1983, il écrit La honte et c ’est aussi à cette même époque qu ’il rapporte Le sourire du Jaguar . Sa célébrité et sa renommée mondiale sont telles que le groupe Pinguin lui fait signer un contrat de 850 000 livres (soit 9 millions de francs) pour écrire deux romans. Salman Rushdie s ’attela à la tâche et cinq ans plus tard, en septembre 1988, il publia Satanic verses ( les Versets sataniques). À la mi-janvier 1989, 40000 exemplaires sont déjà vendus puis les seuls événements de la FETWA auraient fait vendre 50000 autres exemplaires. Le livre se vendra très rapidement à plus d’un million d ’exemplaires auxquels s ’ajoutera la diffusion clandestine. L’impact médiatique et la cris e diplomatique engendrés par le contenu du livre ont permis un coup publicitaire à l ’échelle planétaire. Salman Rushdie n ’a plus besoin de se montrer pour se faire connaître, il est déjà passé à la postérité.
2°/ Le livre :
On a peu écrit sur le contenu du livre et les raisons qui auraient pu occasionner une vive émotion de l ’opinion musulmane. Le livre va parler de l ’islam et de MUHAMMED son prophète, en particulier. L’auteur va mettre en scène deux personnages Gibreel Farishta et Saladin Chamcha. Les de ux acteurs tombent d ’un avion qui a explosé en plein ciel. Chamcha se transforme en démon sous l ’apparence d’un bouc et d ès qu ’il se livre à la haine, il redevient humain. Nous nous retrouvons à Londres à la fois dans le réel et dans l ’imaginaire. C’est un monde où le bien et le mal sont interchangeables, les démons et les anges ne se distinguent plus les uns des autres. Les passages pouvant concerner l ’islam sont peu nombreux. Gibreel (l ’archange Gabriel ?) fait un rêve dans lequel il nous décrit sa rencon tre avec Mahound(3) , un homme d ’affaires de la ville de Jâhiliyya (4) . Tout au long du livre se dégage un mélange des genres entre imaginaire, rêve et faits historiques attestés. Au demeurant, certains passages restent insultants, notamment le rêve de Gibreel évoquant un bordel où les prostituées portent les prénoms qui furent justement ceux des épouses historiques du prophète Muh ’ammad, afin de tripler leur chiffre d’affaire. C’est plus le caractère insultant, même mis en scène ou romancé, imaginé qui heurta la foi des musulmans. À cet égard, Hassan Iquioussen (5) , président de la J.M.F. au moment de l ’affaire, nous faisait savoir dans une interview du 19 mars 1998 :
« Ce que nous reprochons à Salman Rushdie, c ’est l ’insulte, les propos dégradants, les calomnies à l ’égard de l ’islam et de son prophète. La remise en question de la révélation n’est pas le fond du problème. C’est une chose connue sur laquelle des juristes et des scientifiques ont déjà et depuis bien longtemps débattu et éclairci. Salman Rushdie n’apporte rien de neuf au débat. »
Il n’en reste pas moins que l ’auteur veut donner un caractère humain au texte divin, et cela par le biais de plusieurs épisodes; rappelons celui où il nous dit que le scribe du prophète, c ’est à dire celui qui prend la Révélation sous la dictée du messie, perd la foi quand il se rend compte que MUH’AMMAD ne remarque pas les fautes glissées volontairement dans le texte du Coran par son secrétaire. On note aussi une scène qui évoque le prophète pr êt à tout pour r éussir. Il n’hésite pas à écrire un verset à la gloire des déesses du temps du polythéisme, al-Lât, al-`Uzzâ et Manât (6) . Par la suite, regrettant cette concession au polythéisme, il prétendra que ces versets lui ont été inspirés par Satan, d’où le texte actuel de la Sourate LIII et aussi le titre du livre.
Premièrement, ce que les musulmans en concluent, c ’est que Mohammed est accusé d’être un usurpateur.
Deuxièmement, que le Coran n ’est pas la parole divine mais une fabrication humaine.
Il nous semblera nécessaire d’expliciter ici ce passage; selon certains commentateurs du Coran (Tabarî 7 notamment), pendant la révélation de la Sourate LIII (au NAJIM / L ’étoile), le démon ( SHAYTAN / Satan) aurait réussi à prendre les traits de l ’ange de la Révélation : Gabriel (JIBRÎL) et à insérer entre les versets XX et XXI quelques mots faisant très explicitement l ’éloge des trois déesses païennes du panthéon anti-islamique.
Voici cette sourate(8) :
« – (19) Avez-vous considéré AL-LÂT ?
– (20) et AL-UZZÂ et MANÂT, cette troisième idole ? »
Régis Blachère, dans sa traduction du Coran (édition Maisonneuve et Larose), 1980, ajoute les fameux versets controversés (« abrogés »
selon la tradition musulmane) qu’il traduit comme suit :
« – (20 bis) Ce sont les sublimes déesses
– (20 ter) et leur intercession est certes souhaitée ».
Le terme « versets sataniques » désigne donc une vieille polémique entre théologiens musulmans, connue aussi sous le nom de « l’Abrogeant et l’Abrogé ».
Il faut bien comprendre l’enjeu :
– Pour certain s historiens, il s ’agit d ’une concession faite par le prophète au polythéisme de l ’époque afin de rallier à lui les tribus mecquoises : une sorte de « syncrétisme ».
– Pour certains théologiens, ces versets n’ont jamais existé.
– Pour d ’autres, ces versets d ’inspiration « satanique » ont vite été expurgés du texte sacré car l ’islam ne saurait accepter d ’autres intercessions que celle de l ’ange Gabriel et d ’autres divinités qu’ALLAH seul.
Le livre de Salman Rushdie n ’apporte rien de nouveau en effet au débat concernant la conception et l ’interprétation de la Révélation contrairement à ce que peut supposer Jean-Marie Gaudeul dans son article(9) « Mais que dit Rushdie ? » du 8 mars 1989.
Comme le soulignent Ahmed Deedat et Hassan Iquioussen, il n ’est pas question de la critique historique du Coran dont elle a toujours fait l’objet mais du caractère blasphématoire de l ’oeuvre, notamment le point sensible concernant la maison close. Les femmes du prophète sont souvent présentées comme « Mères des musulmans » et ce sont ces blasphèmes qui ont accentué les angoisses des musulmans. Ce n ’est pas là non plus une question religieuse mais une question de respectabilité et d ’honneur qui renvoie au système culturel arabo-musulman.
B. Le déroulement de l’affaire.
En Europe, plus précisément en France, outre l ’aspect théologique, l’affaire Rushdie a eu un impact essentiellement politique. Cette observation est faite par Jean-François Clément (10) . Nous reprendrons à cet effet les trois périodes que défend ce chercheur.
Tout d ’abord du 15 septembre 1988 au 14 février 1989, c ’est une vaste période qui s ’étend de la parution du livre en Angleterre à l’appel de l ’Ayatollah Khomeiny. Durant cette phase, on vit se multiplier des protestations en Inde, au Pakistan, en Angleterre (11) , au Qatar, en Somalie, etc.
La Croix, dans son article du 26 janvier 1989, peint une Angleterre divisée politiquement par cette « affaire » et qui réactive le clivage droite / gauche.
Les Versets sataniques vont aussi nourrir un vif anti-américanisme, notamment au Pakistan, o ù le 12 février 1989, une manifestation anti-Rushdie devant l ’ambassade américaine a causé la mort de cinq manifestants.
La deuxième période s’ouvre avec la promulgation de la Fetwâ, c ’est à dire le 14 février 1989. On est au paroxysme de l ’affaire Rushdie. L’Hodjatoleslam HASSAN SANEI propose sur les ondes radio à l’assassin de Rushdie, s ’il est iranien, 200 000 millions de rials, soit 19 millions de francs.
La Fetwâ : « Au nom de Dieu, Dont nous venons et auquel nous reviendrons. Je tiens à informer les courageux musulmans du monde entier que l ’auteur du livre Les versets sataniques qui a été écrit, édité et publié contre l ’islam, le prophète et le Coran, ainsi que les éditeurs qui en connaissent le sujet, sont condamnés à mort . Nous demandons aux musulmans courageux de les tuer immédiatement, où qu ’ils se trouvent afin que nul ne puisse désormais profaner la sainteté de l ’islam. Tout être tué dans cette voie sera considéré comme un martyr. Aussi quiconque se trouve en présence de l’auteur de ce livre mais n’a pas les moyens de le tuer lui-même, doit le livrer au peuple afin que celui-ci le punisse. Je vous salue, que la grâce et la clémence de Dieu soit avec vous. Rouhollah Mossavi el Khomeiny ».
Plusieurs hypothèses ont été émises concernant l ’enjeu de la fetwâ dont celle de Jean-François Clément (page 260) qui y voit un enjeu politique. Reprenant ici les idées de Fakheddine Hedjazi (député iranien) et Abolhassan Bani Sadr selon lesquelles l ’Ayatollah Khomeiny chercherait à con solider son régime et garder sa position en contrant les déclarations du dauphin désigné, l ’Ayatollah Montazeri qui dénonçait peu de temps avant à Qom « les graves erreurs » des dix premières années du nouveau régime.
D’après Jean-François Clément (page 26 1), la Fetwâ ne comporte aucune référence juridico-religieuse. Hassan Iquioussen nous le confirmait dans l’interview qu’il nous a accordée :
« La Fetwâ n’a aucune valeur juridique. Cela n’engage que sa propre personne. De plus, la Fetwâ n ’est qu ’une répons e à une question posée, elle n’est qu’un avis consultatif. »
Nous noterons que la volonté de Khomeiny tendait ici à se substituer à celle de Dieu. Un tel comportement dans l’islam devrait impliquer la condamnation à mort du juriste. C’est pourquoi d’autres fetwâs, dites « contraires », ont été publiées. Nous en retenons cinq.
* Celle du Président Abolhassan Bani Sadr : pour lui, le délit d’opinion n’existe pas dans le Coran, il n ’est donc pas question d ’un quelconque châtiment.
* L ’Ayatollah Mehdi Rouhani (Chef de la communauté Chiite en Europe) rappelait dans L’Humanité (12) que pour promulguer une Fetwâ, il faut convoquer un tribunal islamique. S’il est reconnu athée, il serait fou donc non condamnable, s ’il est sain d ’esprit, le dialogue est de mise selon le verset coranique.
« Discute avec eux de la meilleure manière » mais en aucun cas la peine de mort n’est justifiable dans le Coran.
* Le recteur de la mosquée de Paris, le chaykh ’ Abbâs fit entendre que Salman Rushdie n ’était pas un musulman. Son ac te n’est donc pas une apostasie et il est de ce fait non jugeable par les musulmans.
* Le Chaykh ’ Jâdd al hâqq `Ali Jâdd al-H ’aqq d’Al-Azhâr en Egypte prétend que le livre est condamnable, pas son auteur. Ce qu ’il faut, c’est réfuter le livre par la rédaction d’un autre livre.
* Les juristes d’Arabie Saoudite affirment que les hommes n’ont pas à se substituer à Dieu et que le droit islamique (la Sharia) ne doit pas entraver la souveraineté territoriale de la législation des différents pays européens ou au tres, c ’est à dire o ù la Sharia n ’est pas en application.
Aussitôt diffusée, la sentence a eu pour effet une véritable crise diplomatique. Le 18 février, la France décide de rappeler son chargé d’affaire à Téhéran.
Le 26 février, c’est la manifestation de Paris (13) .
Le 1er mars (14) , Véronique Sanson interrompt sa tournée.
Le 15 mars (15) , interview de Mohamed Aikoun sur les droits de l’homme et l’islam qui déclenche une vive polémique.
Le 29 mars (16) , le Recteur de la mosquée de Bruxelles est assassiné.
Le 27 avril (17) , l ’éditeur Bourgeois est assigné en justice par les associations musulmanes.
Cette deuxième période est riche en événements qui vont défrayer le chronique. C’est une succession de faits qui vont porter l ’islam à la une des journaux. La France ne fut réellement touchée par l ’affaire Rushdie qu ’après l ’annonce dans les médias de la fetwâ de Khomeiny.
La troisième et la dernière phase de l ’affaire débute ou coïncide singulièrement avec la mort de Khomeiny le 5 juin 1989. A la suite de son décès, l’événement « Rushdie » va aller en decrescendo comme pour nous dire que le scandale était lié à sa personne et répondait plus à une propagande anti-khomeiniste, voire anti-intégriste plutôt qu’à une prise de conscience collective en France comme en Europe du besoin de défendre les droits de l ’homme, la libre pensée et la liberté de publication.
C. Deux versus de médiatisation.
Les journaux actuels ont dépassé le simple stade de l ’information et l’affaire Rushdie nous en apporte encore la preuve. La quas i- totalité de la presse nationale française a dénoncé et condamné unanimement l’appel au meurtre de l ’Ayatollah. Mais cette unanimité n’était pas de mise quant à la manière de les dénoncer.
La Croix : Ce journal chrétien se distingue déjà par sa défense acharnée des immigrés maghrébins (18) , sa lutte contre l ’exclusion et le racisme. La presse d’une façon générale, et La Croix en particulier, fera de l ’affaire Rushdie un événement. Les 32 articles que nous avons s électionnés et que nous traiterons dans le deuxième chapitre de notre devoir, s ’étendent du 26 janvier au 20 juillet 1989. La Croix s’intéressera à l ’affaire le 15 février 1989, lorsque l ’Ayatollah Khomeiny réitéra son appel au meurtre. Noël Copin, le rédacteur en chef du journal, nous rappelait dans un éditorial (19) que :
« Le regard chrétien sur le monde n ’est pas un regard déformé par un prisme. Il doit être un regard lucide, qui permet et suscite une interrogation, une réflexion et conduit à une prise de position. Cette prise de position repose à la fois sur des valeurs et une connaissance des réalités. Comme les autres dans la recherche de l’information, le journal catholique se différencie dans l ’expression de ses convictions. »
C’est avec cette sensibilité, ce passé qui caractérisent et donnent toute son originalité au journal que La Croix a étudié et retransmit à ses lecteurs l ’affaire Rushdie. Nous pouvons d ’ores et déjà dire que La Croix opte pour le respect de la foi et des croyances tant ce journal est, d ’une part, pour un rapprochement is lamo-chrétien et, d’autre part, les catholiques, ayant été eux-mêmes (ou ils l ’ont ressenti de la sorte) victimes et lésés par l ’affaire Rushdie huit mois plus tôt.
L’Humanité : Quant à l ’organe central du P.C.F., il a consacré beaucoup moins d ’articles s ur le sujet. On dénote cependant un certain engagement militant. Il s ’agit pour le journal non seulement d’informer mais aussi de mobiliser l ’opinion publique, plus particulièrement celle des communistes derrière ses propres convictions. Sont dénoncés dans L’Humanité l’obscurantisme qui est lié au religieux, l’intégrisme mais également la fetwâ. Le journal nous interpelle aussi sur les groupes d ’extrême-droite; selon lui, le tapage médiatique autour de cette affaire est un coup publicitaire qui répond aux thèses racistes élaborées par ses dirigeants.
On aurait pu croire que cette propagande anti-lepeniste aurait situé L’Humanité du côté de La Croix , c’est à dire dans la prise de conscience de l ’insulte faite aux musulmans. Il n ’en est rien car d ’un autre c ôté, l ’extrême-gauche va renouer avec son anticléricalisme dévoilé lors de l ’affaire Dreyfus. Une telle attitude nous semble ambiguë; le journal se voit partagé entre la défense des Droits de l’Homme et du Citoyen, sa lutte contre le racisme et l ’exclusion, la défense des immigrés. En même temps, il prend la défense de Rushdie, ce qui montre son acharnement à préserver la liberté de conscience et de publication.
I Les conséquences. I. Ce qui caractérise l ’affaire Rushdie, hormis le poids de la presse, c’est la très forte division de l ’opinion publique partagée entre la défense de la liberté de conscience et le respect de la foi. Comme pour répondre à l ’affaire Dreyfus, on retrouve l ’intervention des intellectuels dans la vie politique, c ’est ce retour du d ébat dans le monde des intellectuels qui va animer de vives passions.
A. Les divisions au sein de la communauté musulmane.
L’attitude de la communauté musulmane en France n ’a pas été unanime. D ’une part, comme nous l ’avons constaté dans l ’avant-
propos, celle-ci est divisée en son sein par différents courants.
Nous relèverons donc une « majorité attentiste », une minorité hostile à la fetwâ et une minorité favorable à l’appel au meurtre.
1°/ La majorité attentiste .
Il s’agit là de l’attitude globale de la communauté musulmane durant toute l’affaire. Cette « majorité attentiste » est divisée entre une part de fierté de voir sa religion défendue et la honte d ’une telle médiatisation. Nous noterons encore le sentiment d ’être manipulé; chez certains, mûri t l ’idée d’un complot pour discréditer l ’islam. Afin de ne pas légitimer les thèses de l ’extrême-droite, la communauté musulmane ne va pas se manifester, ne va pas donner d ’avis qui pourrait mettre en danger l ’islam. Ce profil bas adopté est pour certains le seul moyen de ne pas mettre ou remettre en question le processus d ’intégration entamé. D ’ailleurs, cette idée va se révéler exacte puisque l’affaire va se suivre d ’interrogations sur l’immigration et l ’intégration da la communauté musulmane dans la société française. Le complot anti-musulman va aussi être défendu par L’Humanité (20) lors de l ’assassinat de l ’imam de Bruxelles. A notre question concernant l ’attitude des musulmans pendant l ’affaire, Hassan Iquioussen répondait que « les musulmans ont dans l’ensemble bien réagi; la manifestation du 26 février n ’est que le fruit d’un groupuscule de pseudo-musulmans, quand à la majorité, elle s’est tue. La meilleure manière de réagir, c ’est celle-ci et pousser les jeunes aux études pour offrir un autre visage à l’islam. » (21)
2°/ La minorité hostile à la fetwâ.
Elle regroupe quelques intellectuels, écrivains arabes ou africains qui ont appelé à une manifestation le 19 février 1989 au Trocadéro. On y trouve des arabes libres penseurs, généralement athées qui défendent la liberté d ’expression et de publication. Leurs actions se présentent aussi comme une marche anti-khomeiniste.
3°/ La minorité favorable .
Celle-ci est dirig ée par Gabteni, qui est aussi président de l ’association à l’origine de la manifestation du 26 février 1989 de Barbés à la République à Paris. Cette association, La Voix de l’Islam, répondait à la manifestation du 19 février 1989. On vit la mosquée de Paris et la fédération des associations musulmanes de France s ’opposer à la manifestation du 26 février. Selon les autorités publiques, ils furent quelques centaines, voire un petit millier à s ’écrier « A mort Rushdie » (22) , « Nous sommes tous des khomeinistes », « Allah Akbar » (23) . Le dirigeant de la Voix de l ’islam déclara : « Nous ne renoncerons jamais jusqu ’à ce que ce livre disparaisse de la mémoire des hommes, même si chaque musulman devait être passé par les armes. » L’opinion française fut choquée par ces images (24) et par cette violence verbale.
Ce n ’est pas la manifestation anti-khomeini ste qui a eu un grand succès mais plutôt celle qui lance un appel à la haine, celle du 26 février 1989. Les médias ont éclairé et diffusé l ’appel au meurtre de Khomeiny. Ils ont aussi fait de ce groupuscule du 26 février un danger public. C ’est pourquoi certains musulmans, face à cette propagation d ’images négatives véhiculées par les quotidiens, ont cherché à montrer que l ’islam, la religion islamique repose sur de nobles principes tels que la paix, la liberté, la justice, la tolérance. Hassan Iquioussen, alors président de la J.M.F., nous rappelait que cette affaire a permis aux musulmans de sortir de l ’ombre, « cela nous a permis de nous exprimer, il a fallu que nous répondions aux questions que se posaient les étudiants de Lille, c ’est pourquoi nous avons organisé des soirées-débats sur le thème de l ’islam et la tolérance, l ’islam et la république, etc. Ce fut une aubaine pour les musulmans, cela a réveillé les musulmans, ils ont pris conscience de leur islamité, de leur appartenance religieuse. Ce fut un e affaire constructive. »
B. Les divergences dans la société.
1°/ L’opinion publique :
On mesure l ’opinion publique à travers les titres des journaux qui sont, comme le souligne Bourdieu, « le reflet de l ’opinion publique ».
Concernant ce thème, nous possédons aussi une enquête du journal Le Monde 25 ainsi qu ’un article du 6 mars 1989 paru dans L’Humanité(26) .
Jean-François Clément nous apprend que la première réaction a presque partout été la panique concernant la fetwâ. Il faut comprendre que la liberté d ’expression dans les limites de la loi est posée comme élément fondamental de la culture commune en Europe occidentale et que toute opposition à cet acquis révolutionnaire et pré-révolutionnaire, est jugé et considéré comme intolérable, traduisant de fait un danger à l’encontre de la démocratie. De plus, en France, depuis la séparation de l ’Eglise et de l ’Etat, l’opinion publique a pris conscience de vivre dans une société la ïque et que l’atteinte faite aux religions n ’est pas considérée comme étant choquante.
Les réactions en France furent variées. La Croix va traduire une partie de l’opinion publique qui se partage entre le « respect d ’autrui et la liberté d’expression »(27) ; L’Humanité va prendre le relais d’un courant qui pense que l ’intégrisme est néfaste, voire dangereux pour la société et la démocratie.
2°/ Les Eglises.
L’Église catholique intervient aussi dans le débat, par le biais du cardinal de Courtray (28) , l ’archevêque de Lyon compare les Versets sataniques au film de Scorcese. Il exprime ainsi sa solidarité avec les musulmans qui vivent leur blessure dans la dignité et la prière.
Tandis que Monseigneur Gaillot (29) estime quant à lui que « Mahomet n’appartient pas plus aux musulmans que le Christ n ’appartient aux chrétiens », juif s et protestants se disent « attristés par le texte de Monseigneur de Courtray ». Le Vatican intervient également dans l’affaire à travers l ’observatore Romano (30) : « Le droit d ’exprimer sa propre opinion ne peut se faire au détriment de la dignité et de la conscience des autres. »
Le Vatican rejoint l ’idée du cardinal de Courtray mais celui-ci condamne de même l’appel au meurtre :
« Il ne devrait pas être difficile de comprendre que la sacralité de la conscience religieuse de chaque individu ne peut faire l ’abstraction de la sacralité de la vie des autres hommes. »
La position de l ’Église vaticane est claire, la sacralité, c ’est à dire la vie, le respect de la vie passe avant le respect de la foi, c ’est ce qui fait la sacralité de la conscience religieuse , c ’est parce que celle-ci respecte et donne à tout à chacun le droit de vivre, de pouvoir racheter ses fautes , c’est la Rédemption.
3°)Les intellectuels.
Nous retrouverons tout au long de notre mémoire Bruno Etienne (31) , Gilles Kepel (32) , Jacques Berque(33) , Mohamed Arkoun (34) , Bernard Lewis(35) et Maxime Rodinson (36) . Intéressons-nous à Maxime Rodinson, ce spécialiste de renom s ’est penché sur Les Versets Sataniques , sur la question juridique de fond que soulève l ’affaire. Maxime Rodinson se demande si l a peine de mort est applicable en cas d’insulte du prophète. La réponse, qui ressort de ses recherches, est affirmative . Cela rejoint la position de Hassan Iquioussen. En effet, la peine de mort est encore en application dans les pays où la sha’ria est en vigueur, mais rarissime sont dans l ’histoire, les condamnations de mort car les juges ont toujours eu une attitude conciliatrice.
Les autres spécialistes se sont penchés sur la question de savoir comment s’articulent le politique et le religieux dans les pays arabo-musulmans. A cet égard retenons l’article de Mohamed Arkoun paru dans Le Monde . Cet extrait est devenu une véritable poudrière et a alimenté le débat pendant plus de quinze jours. Tel Zola , il affiche sa plaidoirie : « J’accuse la raison des lumières d ’avoir substitué le dogme de sa souveraineté à celui de la raison théologique ».
On retrouve aussi l ’idée de comparaison de l ’affaire Rushdie avec l’affaire Dreyfus, reprise beaucoup plus tard par Nadine Gordrier (prix Nobel de Littérature e n 1991) dans un article du Nouvel Observateur(37) : « J’accuse pour les mêmes raisons les religieux fanatiques qui dominent le gouvernement de Téhéran et continuent depuis des années à maintenir une fatwa de mort sur la tête de S.Rushdie ». Cela rejoint aussi l ’idée de lutte, de combat entre l’obscurantisme religieux et la liberté d ’expression née des lumi ères, défendue dans le journal L’Humanité.
Si l ’on compare l ’affaire Dreyfus à l ’affaire Rushdie, on retrouve quelques points de similitudes . Chez les Dr eyfusards, les écrivains, les scientifiques et les intellectuels défendaient les Droits de l’Homme, la conscience humaine et le respect de la justice .
Politiquement, on retrouve des hommes de gauche. Dans l ’affaire Rushdie, nous avons deux concepts qui se confrontent : c ’est celle de la liberté d ’expression et de publication face au respect de la foi.
Les intellectuels furent vivement sollicités lors de l ’affaire. Le centre de cette crise a été justement l ’intellectualisation du débat autour du respect du religieux, de la liberté d’expression et de la peine de mort. L’événement Rushdie a révélé qu ’en France, une véritable intelligentsia s’intéresse aux problèmes de son temps.
L’église catholique, au travers de grands prélats va afficher cette même volonté.
C) LES HOMMES POLITIQUES DANS L’AFFAIRE
1) LE GOUVERNEMENT.
L’objectif premier du pouvoir a été de dédramatiser l ’affaire, il existe une volonté de l ’état de différencier les quelques intégristes des trois millions de musulmans. En effet, Roland Dumas fait savoir qu ’il est prêt à aller en Iran malgré la Fatwa. Il apparaît également une autre tendance, celle qui prône la fermeté ; ainsi le Président François Mitterrand, le 22 février, fit connaître sa position : « Tout dogmatisme qui, par la violence, attente à la liberté de l ’esprit… ». Laurent Fabius, lui, traite Khomeiny d’assassin. Michel Rocard met en garde : « Tout nouvel appel à la violence et au meurtre, sous quelque forme que ce soit, donnera lieu à la mise en oeuvre immédiate de poursuites judiciaires. »
La Croix (38) , du 23 février, fait allusion aussi à la condamnation du dogmatisme et de la violence, la qualifiant de « mal absolu ». Le journal retranscrit la phrase complète du président de la République. Tout dogmatisme, qui par la violence attente à la liberté de l ’esprit et au droit d ’expression, représente à mes yeux le mal absolu ; le progrès moral et spirituel de L’Humanité est lié au recul de tous « les fanatismes. » Le passage n ’est ici justifié d ’aucune volonté d’argumenter un engagement puisque juste avant, nous avons la position du Cardinal de Courtray qui exprime sa solidarité avec les musulmans blessés dans leur foi mais cité surtout dans un souci d’informer. L’Humanité, pour un journal d ’opinion, se caractérise par l’absence d ’engagement politique. Cela se dégage très clairement par l ’absence presque totale de prise de position d ’hommes politiques, d ’interviews de membres du Bureau politique.
Vraisemblablement, l’organe de presse du P.C.F ne veut pas faire de l’affaire un enjeu politique ou politico-médiatique , puisque même la fréquence de l’affaire, par rapport à La Croix, est faible.
L’OPPOSITION. 2. L’opposition s’est montrée modérée. Jacques Chirac a fait savoir qu ’il n’avait aucune estime pour Rushdie qui, comme pour « le fumiste de Scorcese », fait partie de ces hommes « qui utilisent le blasphème pour se faire de l’argent. » Prise de position qui laisse supposer que Jacques Chirac cherchait à gagner les français blessés par l ’affaire Scorcese et les français musulmans affectés par Les Versets Sataniques. La Croix (39), donne à plusieurs reprises les réactions de la classe politique. Le journal salue Michel Rocard et Jacques Chirac qui ont marqué des distances par rapport à S. Rushdie, en évoquant tous deux le respect des convictions religieuses, dans le commentaire signé François Ernenwein du 2 novembre 1989, p.3. Le journal reprend le relais des voix politiques qui s’élèvent pour le respect de la foi.
L’EXTREME-DROITE. 3. Elle n’utilisa pratiquement pas l ’affaire Rushdie. On aurait pu supposer qu’elle aurait stigmatisé tous les musulmans comme terroristes et faire campagne en faveur des expulsions. Elle s’est simplement contentée de regarder, d ’écouter. Sa non-intervention et son non positionnement politique dans l ’affaire ne pouvait en aucun cas lui être défavorable, puisque toute cette médiatisation a servi à légitimer les thèses du Front National. La Croix (40) , estime que J.M Lepen profite de l ’affaire pour justifier sa thèse en montrant « le risque de l ’immigration musulmane » et réclame « la mise au ban politique de l’Iran. »
Cette déclaration est une manière pour La Croix de montrer son opposition au F.N puisque le quotidien catholique est très engagé au sujet de l’immigration maghrébine (41) et de sa défense.
L’Humanité prend position ici, en opposition au F.N, en dénonçant le 1er mars 1989, l ’enjeu politique de l ’affaire. Le quotidien est outré et indigné par le débat opposant un des responsables de la manifestation à un des responsables du F.N en Ile de France . Le 2 mars, André Lajoinie intervient encore une fois contre le F.N : « Nous ne confondons pas ces extrémistes avec les musulmans, non , nous ne sommes pas disposés à faire le jeu de Lepen. » On dénote de la part du journal une faible mobilisation à l’égard de l’affaire Rushdie et une vive résistance à l’extrême-droite. L’Humanité rejoint l’idée du gouvernement qui ne veut pas confondre les intégristes avec le reste des musulmans et en même temps, aux positions de La Croix qui pressent que cette affaire politique sert aux idées du F.N.
CONCLUSION
Les Versets Sataniques qui n ’auraient pu que diviser les critiques littéraires , va vite se transformer en crise diplomatique, suivant les mécanismes que nous avons décrit. Le livre va aussi diviser l a société française sur les thèmes de l’intégrisme religieux, la liberté d’expression et d ’opinion. Il nous a permis aussi de nous apercevoir que face aux agressions que le religieux subit l ’engagement de la presse varie en fonction de la nature du journal . C’est pourquoi , L’Humanité condamne l’obscurantisme religieux et La Croix opte pour un plus grand respect de la dignité des croyants. Ces premiers points de divergences entre ces deux journaux ne vont cesser de s’accroître avec les différentes affaires que nous étudierons .Le regard et la manière dont nos quotidiens ont traité l’affaire Rushdie , nous permettent d ’avoir un regard croisé sur la façon dont l ’opinion publique a pu être informé et désormais dont celle-ci se représente l’islam.
1 La Croix du 08.03.89 ; « Mais que dit Rushdie »
3 Il faut savoir que le prophète Mahomet apparaît comme une idole nommée Mahon ou Mahom dans les chansons de geste médiéval de la langue française. De plus le prophète était commerçant.
4 C’est l’ancien nom de la ville de Médine.
5 Président de La Jeunesse Musulmane de France au moment de l’affaire. Il prêche à l’Université de Valenciennes ou nous avons pu le rencontrer pour l’interviewer.
6 Ceux sont des déesses païennes du Panthéon anté-islamique.
7 Tabarî :Historien arabe de 839 à 923. L’histoire des rois et des peuples, relate, année par année, l’histoire du monde musulman pendant les trois premiers siècles de l’hégire. 8Cran, Ed.Maisonneuve et Larose, 1980 ;p.561
9 La Croix du 08.03.89
10 L’islam en France, Ed ; Hachette, 1989.P.255 à 279.
11 La Croix du 26.01.89 ; « La poussée des intégristes britanniques »
12 L’Humanité du 5.06.89
13 La Croix du 28.02.89 ; « Khomeiny fait feu de tout bois »
L’Humanité du 27.02.89 ; « Manifestation intégriste à Paris ». En page 12 , L’Humanité déclare que l’état est complice de cette manifestation et qu’il « encourage la haine »
14 La chanteuse Véronique avait du interrompre sa tournée suite aux menaces qu’elle avait reçues car elle introduisit le nom de Dieu : Allah , dans l’une de ses chansons.
15 Mohammed Arkoun : il est depuis 1963 professeur d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne. Il enseigne également aux Etats-Unis d’ou il a suivi l’affaire Rushdie .Après un interview dans Le Monde du 15 mars 1989, dans lequel il affirme : « la conception occidentale des droits de l’homme renforce le malentendu avec islam » a ouvert le débat sur la confrontation entre Islam et Occident.
16 La Croix du 31.0389 ; « Bruxelles :l’imam assassiné »
L’Humanité du 31.03.89 ; « Un crime politique »
17 La Croix du 28.04.89
18 Mustapha El Ghazi, nous éclaire sur la position du journal à l’égard des immigrés dans les années 70. Pour plus de renseignement il suffit de consulter sa thèse pour le Doctorat en histoire contemporaine, sous la Direction de Yves-Marie Hilaire, Soutenue en Février 1990 à Lille III. A la page 32 , nous trouverons l’engagement de la presse chrétienne. L’intitulé de la thèse est : Islam et immigration dans la presse nationale francaise(1973-1983)
19 L’Humanité du 4.02.89
20 L’Humanité du 31.03.89 ; « Un crime politique »
21 Interview par nos soins. Il répondait à la question : « Selon vous , comment les musulmans que vous connaissez ont-ils réagis ? »
22 L’Humanité du 27.02.89
23 « Allah Akbar » : Dieu est grand
24 Les images qui ont choqués l’opinion publique sont celles d’un barbu brandissant une affiche sur laquelle , nous pouvions lire « A mort Rushdie ».
25 Le Monde du 15.03.89
26 L’Humanité du 06.03.89 ; « une majorité de français pour la publication des Versets Sataniques »
27 La Croix du 25.02.89
28 La Croix du 23.02.89
29 Ibidem
30 La Croix du 7.03.89
31 La France et islam, Hachette , 1989
32 Les politiques de Dieu, Ed. Seuil, 1993
33 Le Monde du 15.03.89
34 L’Express du 14.02.89
35 L’événement du jeudi du 23.02.89
36 L’Humanité du 22.02.89
37 Article de Nadine Gordimer, Prix de Nobel de Littérature en 1991. Cet article est paru dans le Nouvel Observateur du 8 au 14 janvier 1998
38 La Croix du 23.02.89, auquel il faut y ajouter l’article du 01.03.89
39 La Croix du 21.02.89, 28.02.89, 01.03.89,02.03.89
40 La Croix du 28.02.89 ; Op. Cit.
41 Cf. La thèse de Mustapha El Ghazi ; p ;32
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