Comme nous avons pu le voir, le travail des associations trouve toute sa pertinence dans les actuels manques de la législation en vigueur qu’elles tentent de couvrir et dénoncer dans l’espoir de futurs changements. Nous souhaitons à présent, exposer d’ultimes constats particuliers nous permettant d’en arriver à d’autres plus globaux. Ces derniers se réfèrent à la situation du Mexique concernant la défense des droits de l’Homme. Cela nous permettra de terminer cette recherche exploratoire par des recommandations concernant le CDH Fray Matias.
A/ Tapachula, ville-terrain surinvestie
Être une ville située si proche de la frontière Sud n’est pas anodin. Nonobstant que depuis environ dix ans, cette zone est devenue un centre d’intérêt pour les chercheurs et étudiants impliqués et/ou intéressés par la thématique de la migration. Aussi la concentration d’organismes travaillant dans ce domaine au sein de cette ville en fait un lieu adéquat pour s’exprimer autour de cette thématique. Ceci s’avère parfois gênant pour la population locale
1/ L’image du blanc
Parler d’échange, de progression, d’apports mutuels est parfois difficile, car les stéréotypes riches et pauvres, colonisateurs et colonisés, développés et sous-développés persistent à l’intérieur même d’organismes de défense des droits de l’Homme. Le poids de l’histoire est important. Bien que ce ne soit évidemment pas à généraliser, cela peut engendrer malaises et incompréhensions entre individus. À Tapachula la personne étrangère de couleur blanche est appelée à chaque coin de rue « gringo » terme péjoratif pour qualifier les Étasuniens. Ceci est dû au faible niveau touristique de la ville et de la proximité avec les États-Unis.
À cela s’ajoute le nombre important d’individus des États-Unis, d’Australie, d’Europe, mais aussi d’Amérique Centrale qui viennent étudier la frontière Sud chaque année, que ce soit dans le cadre d’un cursus universitaire, d’un volontariat, pour un laboratoire de recherche voir pour la télévision. Voilà une autre raison qui indispose certains Mexicains qui ont l’impression que la frontière Sud devient davantage un laboratoire de recherche qu’une zone à transformer et à protéger.
Ce sont quelques explications contribuant à dire qu’être considéré seulement pour ses compétences n’est pas une chose aisée. La situation d’observateur participant est d’autant plus difficile et doit se faire avec tact. Ceci est une constatation faite au sein du CDH Fray Matias. Bien que ne pouvant faire de généralité, ce discours revient fréquemment au sein d’organismes situés à l’étranger. Le poids du passé associé aux origines géographiques est souvent une gêne. Il faut l’avoir en tête pour que ça ne devienne pas problématique et être en mesure de s’adapter à des situations conflictuelles.
2/ De nombreux acteurs pour une évolution moindre
Il existe de nombreux organismes de défense des droits de l’Homme, publics ou privés, mais, bien qu’il y ait eu de grands progrès au Chiapas, les lois ne sont toujours pas à la hauteur de leurs attentes. De plus, les changements politiques à venir en décembre prochain pourraient modifier les avancées particulièrement au niveau fédéral.
Il faut observer le travail effectué sur une longue période en terme juridique pour voir les avancées. Bien que répondant peu aux attentes des associations locales, aussi bien au niveau de la loi de la migration que celle des réfugiés, ce sont des progrès spectaculaires pour le pays qui reconnaît là, les problématiques liées aux migrations sur son territoire. Les changements ne sont pas simples à obtenir, de ce fait, être dans des réseaux nationaux rend plus légitime les recommandations émanent de la société civile. Il n’empêche que, tout ce qui est long dans le temps est générateur de frustration. Défendre et suivre des cas et ne pas voir les aboutissements peut engendrer des déceptions, voir des abandons en fonction du travail effectué. Malgré tout, les répercutions au niveau de l’opinion publique via les médias, permettent de percevoir une évolution.
C’est pourquoi il semble essentiel que les organismes engagés dans la lutte pour le respect des droits continuent d’agir et de dénoncer les abus persistants pour faire réagir les politiques et l’opinion publique. Ce rôle de « lobbying » ou dénonciation n’est pas forcément simple du fait des urgences constantes à gérer au quotidien.
Véronica, avocate au CDH Fray Matias reconnaît que dans son travail « les changements sont faibles, pas comme on le voudrait réellement […] un des facteurs est le manque de connaissance sur ce thème de la part des autorités publiques ». Ce manque que nous avons déjà souligné auparavant est un des points qui semble le plus urgent à résoudre pour de meilleures applications des lois existantes. Pour Gema de la ACNUR « maintenant il y a des changements, on est en train de planter des graines et peut-être que dans quelques années on verra les changements ».
Une des problématiques actuelles est la complexité des démarches à effectuer pour par exemple accéder à une régularisation. Il faut actuellement passer par divers organismes aussi bien publics que privés. Par exemple, une personne demandant le titre de réfugié doit parfois faire appel à son ambassade ou consulat, à la COMAR, à la ACNUR, au secrétariat spécialisé dans les délits commis contre les immigrés jusqu’au CDH Fray Matias qui en cas de recours, peut amener l’affaire devant d’autres tribunaux. Connaitre ses droits est un fait, avoir l’énergie et le mental pour suivre des démarches longues en est une autre. Cela est d’autant plus vrai lorsque les ressources financières sont faibles.
B/ Une faible coordination
Coordonner une équipe n’est pas une chose simple, de même que créer des partenariats au niveau local, le tout en jouant sur les relations publiques. Aussi bien en interne qu’en externe l’image d’un organisme est importante, c’est ce dont il est question ici.
1/ Sur le plan interne ….
Tout d’abord, une coordination ne peut être assumée que lorsque les critères de charge de travail correspondant à la mission du ou de la coordinateur/trice correspondent aux attentes de tous les employés. Au sein du CDH Fray Matias, un des reproches qui revient souvent est, l’incapacité de l’actuelle directrice a coordonné l’équipe et les projets. Cela du fait d’un manque de temps vraisemblable ainsi que la non-maitrise de certains outils méthodologiques.
Le manque de temps a été évoqué à maintes reprises. En effet, une seule personne coordonne une équipe de huit salariés (neuf en août 2012) et deux volontaires en ayant sept projets en cours et de nouveau en phase d’élaboration qui de surcroît doit régulièrement se rendre à l’extérieur de la ville pour participer à différents événements dont la plupart ont lieu au District fédéral. Il y a également des problèmes administratifs, bien qu’il y ait deux personnes qui travaillent actuellement dans ce domaine. Un manque de qualification est perceptible. Aussi, la gestion de l’équipe prend du temps, mais elle est nécessaire au bon fonctionnement de la structure.
En conséquence, faire un suivi de projet demanderait pour ce type d’organisation, une personne à temps complet, spécialement formé en renfort de la coordination.
2/….comme externe
Le CDH Fray Matias par sa présence dans différents réseaux nationaux, à toute sa place dans le débat public. Ce centre est reconnu pour son travail de terrain et sa vision depuis la frontière Sud. À l’inverse au niveau local, il est souvent l’objet de critiques sévères du fait de son manque de collaboration, de sa revendication comme référence dans le domaine de la défense des droits de l’Homme à la frontière Sud ainsi que pour son manque de professionnalisme lors de certaines actions. Nous n’irons pas plus en détail dans ces remarques puisque cela pourrait porter préjudice à l’organisme en question et cela n’est pas notre intention. Aussi, est-il vraiment pertinent de considérer ce type de remarques qui peuvent être à l’origine de jalousie ou peuvent faire l’objet d’une analyse ? Bien qu’il peut être préjudiciable de s’attarder trop longtemps là dessus pour un organisme, il convient de le considérer pour en débattre en interne ce qui pourrait permettre d’amorcer une nouvelle image localement, en mettant en place des solutions décidées en commun.
C/ Des recommandations dans l’attente d’un changement
Concernant la région du Soconusco et plus largement le pays du Mexique, des éléments ont retenu particulièrement notre attention. Nous souhaitons les exposer à nouveau ici même de manière synthétique, pour en venir aux recommandations concernant le CDH Fray Matías. Ces derniers visent à faciliter la défense des droits de l’Homme à la frontière Sud du Chiapas dans le contexte juridique actuel.
Nous précisons que cette liste n’est pas exhaustive. Ainsi, dans ce pays il serait nécessaire de :
– Diffuser plus largement dans les médias, des informations sur les migrations au sein de la population. À savoir que les migrants sont victimes de stéréotypes et que le gouvernement valorise peu ou pas ces individus. Ceci ne permet pas d’améliorer leur image au sein de la société.
– Coordonner les efforts entre organismes de la société civile pour accroître les capacités organisationnelles, afin d’améliorer la vision globale de la thématique. Encourager les mutualisations et les échanges d’expérience tant au niveau local qu’international.
– Proposer et/ou rendre visible des espaces qui facilitent le dialogue et la collaboration entre le gouvernement et la société civile, dans le but de donner davantage de reconnaissance au travail effectué par la société civile et d’en tenir compte dans les décisions politiques.
– Former de nombreux agents d’État travaillant dans un domaine lié aux migrations à la maitrise des textes juridiques en vigueur pour le respect des droits des personnes migrantes.
– Proposer des contrôles réguliers des organismes d’état pour limiter voire stopper la corruption.
– Continuer à révéler publiquement les omissions juridiques de l’état mexicain concernant les migrations.
– Le thème de la sécurité à la frontière Sud et perçu comme une contrainte et non pas comme une chance en terme de protection des individus. Une nouvelle stratégie de la part du gouvernement est à envisager.
– Faire de la frontière Sud, un espace de construction de stratégie pour la sécurité et le développement de la zone.
– Concernant les associations de défense des droits de l’Homme, il nous semble inconcevable de pouvoir s’autoproclamer indépendant économiquement dans un climat de recherche de fonds quasi permanent. Le terme « autonome » serait plus adéquat quant au choix des projets menés.
– Il n’est pas possible de parler d’indépendance économique pour une association, quand la majorité des activités qu’elle exerce nécessitent l’accord du gouvernement.
Sans cela, la majorité des projets ne seraient plus réalisables et donc irrecevable par les bailleurs de fonds qui ne les financeraient plus, pouvant mener à la fermeture de l’organisme.
Tous ces éléments montrent l’absence de coordination au niveau local, national comme international, que ce soit au sein du CDH Fray Matias comme dans les institutions du gouvernement. Chaque acteur agissant de son côté, laissant peu de place à la mutualisation. Ce qui nous amène aux intérêts de l’association du CDH Fray Matias à défendre les droits de l’Homme au sud du Chiapas tout en se déclarant indépendant sur le plan économique. Ayant pu travailler dans cette structure, nous avons quelques recommandations à proposer :
– Établir un état des lieux des ressources locales concernant les différents organismes travaillant sur la thématique migratoire pour établir de nouveaux partenariats et mutualisations.
– Arriver à une coordination sur la question des migrations dans la région pour donner plus de poids aux actions de plaidoyer vis-à-vis des puissances publiques.
– Mettre à jour annuellement une base de données sur les bailleurs de fonds potentiels, en commun avec d’autres organismes de Tapachula ayant au sein de leurs lignes directrices au minimum deux similitudes avec celles du CDH Fray Matias.
– Évaluer le personnel de l’association une fois par an pour permettre à chacun de se perfectionner.
– Former le personnel à la gestion de cycle de projet.
– Créer des liens avec des organismes similaires dans le reste du monde, pour mener des actions de lobbying internationales et pour avoir du soutien grâce au partage d’expérience de tous.
Une ONG ou une association civile peut difficilement être complètement indépendante dans la mesure ou elle mène une action d’intérêt général, souvent en substitution des collectivités publiques qui n’assument pas leur rôle de protection des personnes dont elles ont la charge. Le cas particulier du CDH Fray Matias n’est pas à remettre en cause, c’est malheureusement une situation qui se rencontre partout dans le monde.
Cette obligation d’assurer des missions d’intérêt général et donc de mener des actions d’accompagnement des personnes démunies au quotidien affecte ces organismes dans leurs actions de lobbying. Celles-ci, en dénonçant les insuffisances des institutions tout en contribuant aux changements nécessaires, pourraient s’avérer efficaces sur le long terme.
Cette recherche exploratoire peut s’inscrire comme prémices d’une étude plus complète, concernant les différents aspects que nous avons abordés. Par exemple, une recherche pourrait avoir comme axe de départ l’absence de coordination à tous les niveaux que nous avons relevé ou bien alors, se centrer sur les difficultés auxquelles se retrouvent confrontés les organismes de la société civile qui défendent les droits des personnes immigrées. En confrontant le travail d’associations diverses dans différentes régions du Mexique, voire ailleurs dans le Monde, il serait certainement possible d’apporter de nouveaux éléments permettant de mieux cerner le lien politico-associatif, mesurer la dépendance qu’ils ont les uns envers les autres ou encore proposer de nouvelles méthodes d’actions pour gagner en autonomie et en poids médiatique.