A. Le développement limité du « venture loan »
Face à des institutions bancaires réticentes aux fortes prises de risque et aux opérations fortement consommatrices de fonds propres, la forte demande de financement s’avère propice au développement de nouvelles formes de financements. Le venture loan se développe dans ce contexte. L’Afic définit le venture loan comme « un prêt à caractère haut de bilan(57) (destinés à consolider les fonds propres de l’entreprise), apportés par des structures spécialisées à des entreprises dont le profil ne les rend pas éligibles à un prêt bancaire classique(58) ».
Les « venture lenders », plus enclins à prendre le risque du financement d’une PME innovante, se substituent au rôle joué par les banques et consentent des prêts. Cette prise de risque n’est cependant pas gratuite puisque selon une étude de l’AFIC le taux du prêt est supérieur de 4 à 6 points au taux de base bancaire pour rémunérer le risque pris. Cependant, le principe de monopole bancaire empêche ces acteurs de consentir des prêts à proprement parler. Le financement prend donc la forme d’une émission obligataire, convertible ou non, par la PME. La possible création de VMDAC atteste du particularisme des venture lenders, à mi chemin entre prêteurs et investisseurs en fonds propres.
Plus originalement, il est également possible d’envisager un mécanisme aux termes duquel l’entreprise cède aux venture lenders des actifs puis se fait consentir sur ces derniers un crédit-bail.
Le Venture Loan n’est cependant pas suffisamment développé pour constituer un recours crédible aux autres techniques de financement. Seules quelques sociétés d’investissement spécialisées effectuent de telles opérations, toutes d’origine anglosaxonne : Kreos Capital, Noble venture Finance, ETV Capital(59). Ce peu de concurrence influe sur les taux d’intérêt demandés par ces entités.
De plus, la nécessité pour les sociétés innovantes de payer des intérêts ne correspond pas nécessairement à leur programme de développement. Les sociétés en phase de démarrage ne génèrent en effet pas immédiatement les liquidités suffisantes pour procéder à un tel remboursement.
Autre inconvénient relevé par l’étude menée par l’AFIC sur le sujet(60), les «covenants» sont jugés comme étant très sévères : nantissement de fonds de commerce, nantissement de titres des filiales, réserve sur la propriété intellectuelle, ils peuvent compromettre sérieusement la cession de la cible à court ou moyen terme.
B. Le capital-risque d’entreprise, victime de la réaffectation des liquidités au sein des grandes sociétés.
Autre source potentielle de financement, le capital-risque d’entreprise, ou corporate venture capital désigne la gestion d’un fonds de capital-risque par une entreprise ou un groupe de sociétés. La gestion peut alors être directement assurée par une équipe spécialisée au sein du groupe, ou externalisée au sein d’un groupe de capital-risque reconnu, lequel s’occupera de la prospection et de la présélection des projets selon des critères préétablis par leur client.
Plusieurs types de motivations peuvent être à l’origine de la mise en oeuvre du capitalrisque d’entreprise(61). La motivation peut tout d’abord être liée à l’innovation, il s’agit alors d’une motivation d’ordre stratégique. L’idée est pour la société d’assurer une veille technologique afin de détecter l’apparition de nouvelles technologies, mais c’est également un moyen de compléter la R&D interne, voire même de procéder à une externalisation de cette dernière. La motivation peut aussi être de nature financière, à l’image des fonds d’investissement classiques dont l’objet est bien la perception de dividendes et la réalisation de plus-values. Enfin, cette motivation peut parfois résulter d’un engagement sociétal.
Certaines sociétés se regroupent parfois dans l’optique de créer des fonds plus conséquents. C’est à titre illustratif le cas du fonds de capital-risque « Aster Capital » lancé en 2010 par les groupes Schneider Electric et Alstom et doté initialement de plus de 70 millions d’euros. La société Rodhia a récemment rejoint ce projet. Une même entreprise à fort potentiel ciblée peut ainsi développer des technologies ayant des applications multiples auprès des trois entreprises(62).
Mais le « corporate venture » ne constitue pas une véritable alternative au capital-risque classique. A titre illustratif, les investissements corporate représentaient 4% du total des investissements en capital-risque en Europe sur la période 2003 – 2007(63). Malgré l’absence de données post-crise, la forte exposition de la plupart des grandes entreprises aux conséquences de la crise suggère une réaffectation des liquidités disponibles par ces dernières vers des activités bien moins risquées. Le capital-risque d’entreprise a donc très probablement suivi cette tendance généralisée de désaffection du capital-risque et il semble même raisonnable de penser que ce mouvement fut encore plus marqué s’agissant des grandes entreprises compte tenu de la forte exposition qui fut la leur.
Quant à l’étendue même de cette source de financements, elle est par définition limitée. En effet, seules les très grandes entreprises sont susceptibles de mobiliser suffisamment de fonds pour prétendre pouvoir mener des opérations de capital-risque. Le nombre de sociétés susceptibles d’effectuer de telles opérations est donc considérablement limité par rapport au nombre total de sociétés.
Mais la véritable limite du capital-risque d’entreprise se trouve peut-être dans sa nature même. En prenant des participations dans des sociétés innovantes, les grandes entreprises répondent potentiellement à deux objectifs. Le premier consiste certes, comme nous l’avons mentionné, à développer des sociétés à fort potentiel en vue de générer des futures sources de revenus et des retombées en matière technologique. Néanmoins, la notion spécifique de « coompétition », à savoir ce mélange particulier de coopération et de compétition ne confère pas à l’opération un alignement parfait des intérêts des différents acteurs(64). Ce paradoxe, entre complémentarité et concurrence, ne peut aboutir sur un modèle de capital-risque pleinement efficient.
La crise économique a donc totalement redessiné le paysage financier du capital-risque. Le tarissement des sources privées de financements se révèle être une véritable menace pour la survie du capital-risque. Certaines alternatives se développent, à l’image de la cotation en bourse de sociétés de private equity dans l’optique d’attirer un spectre plus large d’investisseurs et de favoriser la liquidité des investissements. C’est par exemple le cas de la société Carlyle en matière de capital-investissement. Mais ici encore, l’impact de la crise assombrit les perspectives de telles démarches. En effet, les données relatives aux sociétés de capital-investissement cotées sont sur ce point révélatrices : les cours des français Altamir-Amboise, Eurazeo et Wendel sont en chute de 45%, 60% et 55%, au cours des cinq dernières années, dans le sillage de l’américain Blackstone (-58%). Le britannique 3i fait pire, avec une dégringolade de 83%, talonnant l’américain Fortress (-87%)(65).
La question de l’émergence d’un nouveau modèle de financement des opérations capitalrisque prend dès lors une toute autre ampleur.
57 Haut de bilan car destiné à l’acquisition de matériels spécifiques, au financement de la RD…
58 AFIC, dossier Venture Loan, juin 2008
59 “Capital-investissement : guide juridique et fiscal”, François-Denis Poitrinal.
60 Note “Venture Loan” publiée par l’AFIC en 2008
61 Ben Haj Youssef A., Ouziel J. Théorie des écosystèmes & Corporate Venture Capital, La Revue du Financier (2002).
62 Friedland Papers, lettre de prospective n°31, Avril 2011, par Hélène Perrin Boulonne
63 Source : http://www.evca.eu
64 Barbier, 2000
65 La Tribune, 2 mai 2012. http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120502trib000696537/quand-le-non-cote-se-fait-financer-par-la-bourse.html
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