1. De l’émotion aux sensations
Le domaine du rêve, les contes, les mythes sont une véritable source d’inspiration pour les publicités de luxe. Faire rêver le consommateur, tel est l’enjeu de ces communications en s’appuyant sur les fantasmes, l’imaginaire et les désirs des consommateurs : chaque produit se voulant ainsi un supplément de rêve(116). Dans ‘La “fin” de la publicité : À la recherche d’une communication persuasive’ Jean-Jacques Rosé et Pierre-Jean-Louis Chaslin analysent deux visages de la publicité(117): Le produit doit être défini, clair, accompagné des informations nécessaires à sa compréhension, et par-dessus ce message vient s’ancrer un second message à caractère onirique qui doit suggérer la part de rêve (ou de personnalité(118) que l’on obtiendra a l’acquisition de cet objet. Par ce double langage, le message connoté introduit une part de rêve auquel les lecteurs donneront alors du sens, transformant son simple usage en expérience d’esprit(119).
2. Contes & Mythes
L’utilisation des contes et mythes réside principalement sur la réactivation de quelque chose qui nous a déjà fait rêver(120) (les contes de notre enfance). Les contes faisant partie de la culture populaire, les allusions se veulent ainsi plutôt riches. Dans sa campagne printemps-été 2002(121) (illustration 18 au verso) Louis Vuitton met en scène maroquinerie, prêt-à-porter et joaillerie à travers notamment le conte de Blanche Neige ou de Cendrillon. Après une campagne subtilement sado-maso en 2000(122) (illustration 19 au verso), Louis Vuitton nous propose désormais un voyage enchanté(123). Dans cette publicité, Blanche-Neige semble morte : son teint est diaphane, ses yeux clos sa tête tombe sur le côté, l’une de ses mains est posée sur son ventre tandis que l’autre tient une pomme rouge croquée. La belle autrefois pure(124) (sa robe blanche et son teint blanc renforce sa pureté) a croqué la pomme(125) perdant son innocence, tout comme Eve dans le jardin d’Eden. Mais le jardin entourant la jeune femme n’est pas des plus idyllique (rochers escarpés et feuilles mortes). A ses côtés, son sac Louis Vuitton d’un rouge resplendissant(126) laisse échapper deux nouvelles pommes empoisonnées(127). Le sac Louis-Vuitton se positionne comme objet ensorcelé, péché originel et plaisir interdit auquel il faut succomber. En invoquant le conte de Blanche Neige, Louis Vuitton se positionne dans un univers merveilleux (magie, sortilège…). Le sac présenté devient objet magique (la pomme rouge est issue d’un sortilège de la sorcière dans Blanche Neige), objet de tentation (allusion à la pomme d’Adam et Eve) et s’élève même à un rang supérieur (les pommes provenant à l’origine du sac, celui-ci pourrait-il symboliser l’arbre de la connaissance crée par Dieu ?).
D’après Frédéric Témin, vice-président en charge de la création « Les précédentes communications étaient plus agressives. Ici, nous avons choisi l’angle des contes de fées qui correspond mieux aux produits, doux et romantiques». Il faut dire qu’à l’époque, le chiffre d’affaire du dernier trimestre de Louis Vuitton avait reculé de 4% dû au ralentissement des vols internationaux après les évènements du 11 septembre 2001.
Au final, mythes et contes apportent un peu de magie à notre quotidien. Hermès(128) qui a toujours suivi une communication basée sur le raffinement et la poésie ne dira pas le contraire. Dans sa campagne printemps-été 2004 (voir illustration 20 au verso), la magie est un symbole fort. La magie renvoyant au mystère, l’objet Hermès devient alors légendaire. Dans cette publicité, on y aperçoit l’ascension de ballons de baudruche rouges et oranges (129) s’échappant d’une boite à l’intérieur blanc et au couvercle rouge. On imagine aisément le plaisir fictif d’un lâché de ballons surprise provenant d’une boite, et l’excitation de trouver ce qu’il s’y cache. Au centre de ces ballons, une jeune fille s’accroche d’une main à un des ballons rouges. Jeune, rousse et vêtue d’un maillot de bain et d’un paréo celle-ci s’élève avec légèreté, un sac rayé rouge et blanc à la main qu’elle tient à bras tendu comme si elle apportait un cadeau. L’accroche est alors : “Hermès a plus d’un tour dans son sac”. Hermès magicien nous envoie ainsi donc son assistante endiablée(130) nous livrer l’objet extraordinaire, sujet de tous nos désirs.
116 Jean-Jacques Rosé, Pierre-Jean-Louis Chaslin, La “fin” de la publicité : À la recherche d’une communication persuasive, Les Cahiers de la publicité, 1963, Vol.5 p85-108
117 “La publicité doit avoir les deux visages de Janus” : référence mythologique à Janus, une divinité romaine, dieu des commencements et des fins, des choix et des portes.
118 S.I. Hayakawa, Poetry and advertising a review of general semanties, 1946 : Hayakawa note que pub et poésie sont semblables, invitant le lecteur à jouer un autre rôle que celui qu’il assumait jusqu’alors.
119 Roland Barthes, Le message publicitaire, rêve et poésie, Les Cahiers de la publicité, 1963 p. 91-96
120 Jean Zurfluh, Les Cahiers de la publicité, 1965 Vol.15 p. 77-97 : Dans cet ouvrage Jean Zurfluh nous parle de la théorie freudienne de l’introjection où l’enfant vit ses relations avec le monde (ex: avec le lait, le bébé peut ainsi dévorer imaginairement le sein maternel : celui-ci constituera dès lors un fantasme princeps qui informera les mécanismes d’identification ultérieurs.)
121 Louis Vuitton, printemps-été 2002 avec le mannequin Tasha Tilberg photographiée par Mert Alas et Marcus Piggott.
122 Louis Vuitton, 2000 Publicité en noir et blanc : une femme à croupie jambes écartées nous regarde dans une position las (bouche ouverte, bras détendus) tandis que sa robe en cuir cloutées cachant son sexe laisse tout de même entrevoir via sa coupe échancrée, le noir (le mystère) de son entre-jambe. Ses mains sont quant à elles, recouvertes de gants cloutés.
123 strategie.fr Article 01/02/2002 Vuitton au pays des merveilles
124 Marc Girard, Les Contes de Grimm : Lecture psychanalytique, Paris, Imago, 1990, p.111 Dans son ouvrage Marc Girard souligne : « Un teint à la fois blanc, rouge et noir fut jadis considéré comme tellement parfait qu’on l’attribuait tout naturellement à la mère du Christ »
125 Croqué la pomme renvoie bien-sûr à la sexualité, tout comme un premier acte sexuel pourrait faire d’une jeune fille une femme, le fait de succomber pour un sac Vuitton voudrait-il dire tout simplement « devenir femme » ?
126 Michel Pastoureau, le petit livre des couleurs : le rouge est un ensemble de paradoxes. Il symbolise l’amour, la sensualité, le courage mais aussi la colère, la sexualité, le danger, la force, le sang ou encore le pouvoir.
127 Il y a donc 3 pommes. Antoine Faivre nous dit que le chiffre trois dans les contes, est le nombre le plus parlant. FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p102
128 Homonyme de la célèbre marque, Hermès dans la mythologie est fils de Zeus. Dieu du commerce, des chemins et des carrefours il est aussi le dieu des voleurs et des brigands ainsi que le conducteur des âmes en Enfers. Il est aussi père d’Eros et de Pan, deux figures du désir et de la sexualité. Hermès deviendra tardivement le dieu des savoirs cachés.
129 : L’orange d’Hermès reste l’ultime chic. Peut-être est-ce parce qu’il ajoute du sacré au sacré, du mystère au mystère. Pour l’Européen voyageur, zen et « bouddhaphile », l’orange est la couleur de l’encens, des pagodes et des bonzes. Doublement sacré puisque paradoxal : à la fois couleur de l’astre roi et des bonzes vagabonds. Chez Hermès lui-même, on cultive le paradoxe : omniprésente, la couleur n’est pourtant nulle part. Mis à part les boîtes, quelques cravates et les rubans difficile de trouver des produits orange dans les collections. Comme un serpent de mer. Telle une couture discrète tenant la marque. Strategie.fr 10/07/2008
130 Les cheveux roux sont symbole de la sensualité, de la rareté et de la féminité mais aussi de la tentation et du diable surtout lorsqu’ils sont ébouriffés.