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PARTIE III – LA CONSCIENCE AU PRISME DU DUEL ICI/AILLEURS : UNE CRISE EXISTENTIELLE

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Juan et Maria connaissent deux formes de scission : une scission entre leur propre personne et la société et une scission entre leur personne et leur amant/maîtresse. Ces deux formes de rupture naissent de cette « absoluta soledad »(156) propre aux deux protagonistes principaux, et la renforcent. Elles rendent également impossible la connaissance du « verdadero amor », selon l’expression de Juan. La capacité à entrer en communion avec l’Autre, quel qu’il soit, semble entravée, davantage par les réflexions personnelles que par l’action réelle de tiers opposants. En fait, cette scission entre volonté et mise en pratique semble être issue d’une inéluctable absence de liberté, tant concrète, comme on l’a vu avec l’emprisonnement, que spirituelle : la torture résulterait alors de problématiques internes à la conscience des héros. Sans cesse, Juan et Maria imaginent. Le crime passionnel intervient à la suite de pensées plutôt que d’actes – les amants ne sont pas coupables concrètement, ils le sont dans l’esprit de Juan et de Paulina.

« Qu’il s’interroge sur lui-même ou qu’il se tourne vers autrui, vers le monde ou vers le divin, Jouve commence toujours par affirmer le déchirement»,(157) écrit Kurt Scharer. Le critique ajoute que le déchirement de la conscience humaine est le premier marqueur de l’existence selon Jouve. Le Moi, écrit-il, finira toujours par se scinder en lui-même, quelles que soient son histoire. Ces propos renvoient à cette « crise de l’homme et de la civilisation moderne » évoquée par ce même auteur dans son œuvre critique : l’existence au sein du monde contemporain impliquerait essentiellement ce déchirement de la conscience. Ils renvoient également à l’autre centre d’intérêt de Jouve selon Scharer : le « lien fatal entre l’amour et la faute » (158). Il s’agit, là aussi, d’une crise de l’homme directement issue de la première. Mais à ce stade il convient de noter que ce déchirement intérieur n’intervient pas seulement entre l’amour et la faute : la scission se fait à tous les niveaux.

Il s’agit d’éclairer un peu plus cette problématique de la « crise ». On a vu que l’Autre symboliquement était détruit par les héros. On a vu en outre que le crime passionnel était intimement lié à cette « mort » de l’Autre : puisque l’autre est inaccessible, l’individu se retourne sur lui-même, en s’identifiant à cet « Autre ». C’est justement ce repli sur sa propre conscience qu’il s’agit d’étudier maintenant. Le crime passionnel est-il dû à un déchirement entre soi-même et le reste de l’humanité ? Si l’on suit les réflexions des deux personnages au fil du roman, on s’aperçoit que la scission, la « crise » ou le « déchirement » comme le nomme Schärer, n’intervient pas que dans les échanges avec l’Autre : il existe surtout au sein de la conscience des personnages. Comment se manifeste ce « déchirement intérieur », cette scission que Sábato perçoit comme étant la « crise » de l’homme moderne?

156 La traduction française de cette expression souvent reprise par Sábato dans Le tunnel est « solitude absolue »
157 Jouve, le mal, ep. cit. p. 35.
158 ibid. p. 23.

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