Les prémices de réflexions sur la gouvernance locale peuvent être restituées dans l’histoire de la recherche de nouveaux modes d’organisation et de gestion des territoires alternatifs aux démarches territoriales descendantes classiques(19). Il s’agit ici de faire intervenir dans le processus de formulation et d’exécution des politiques publiques locales une pluralité d’acteurs dont la capacité d’action collective impacte durablement le niveau de développement. Ainsi, en matière de développement territorial, la gouvernance est un facteur important, facilitant la compréhension entre les acteurs (institutions publiques, entreprises, associations…) et offrant la possibilité d’un travail en commun et la coordination de leurs actions.
Cette section présente les fondements théoriques de la gouvernance locale comme outils de construction de l’attractivité territoriale et met également en exergue le rôle des acteurs dans la gouvernance économique locale.
I.1- Concept de gouvernance et éléments constitutifs de la gouvernance locale
La notion de gouvernance a été utilisée et fortement popularisée par la Banque mondiale à la fin des années 1980. Le concept a ensuite été affiné par la communauté des chercheurs, des consultants et des cadres des institutions internationales. Mais en fait, la thématique de la gouvernance a aussi été abordée dans d’autres domaines que celui du développement :
• Etude du fonctionnement des organisations collectives ou des entreprises privées (corporate governance) ;
• Etude des politiques publiques municipales, du gouvernement local et de la question de la subsidiarité (multi-level governance) ;
• Gestion des biens publics mondiaux ou de la régulation des flux de la mondialisation (gouvernance globale ou mondiale), etc.
Toutefois, La gouvernance demeure un concept flou, mouvant et « attrape-tout ». Smouts (2002) en donne la définition suivante :
– « La gouvernance n’est ni un système de règles, ni une activité mais un processus ;
– La gouvernance n’est pas fondée sur la domination mais sur l’accommodement ;
– La gouvernance implique à la fois des acteurs privés et des acteurs publics ;
– La gouvernance n’est pas formalisée et repose sur des interactions continues »
Une autre définition à la fois suffisamment englobantes et relativement précises de la gouvernance est proposée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1997. Ici, La gouvernance est considérée comme l’exercice de l’autorité politique, économique et administrative dans le cadre de la gestion des affaires d’un pays à tous les niveaux.
Dans sa conception normative, la gouvernance désigne l’ensemble des interactions entre une diversité d’acteurs publics et privés dans l’élaboration et l’exécution des politiques publiques afin d’atteindre des objectifs communs de satisfaction de l’intérêt général (Enjolras, 2005 ; Le Galès, 1995). Aussi, elle est acceptée comme la qualité de la gestion du pouvoir et des ressources publiques. Et cette qualité (bonne ou mauvaise) s’applique en termes de participation, de transparence, du pouvoir de rendre compte, d’efficacité et d’équité.
On distingue en effet souvent gouvernance globale (où interviendraient au côté et par-dessus les Etats, les grandes institutions et les acteurs privés transnationaux) et gouvernance locale (où le rôle de la société civile et les entreprises locales serait mis en avant au côté des instances décentralisées et déconcentrées de l’Etat). En effet, pour les théoriciens de l’école parisienne de la régulation, avec des auteurs tels que : Boyer, Aglieta ou encore Leca, la gouvernance locale rend compte de la recherche de nouveaux modes d’organisation territoriale et d’une conception moderne du management local, transcendant les politiques sectorielles. Empruntée des sciences politiques (discipline dans laquelle la gouvernance vise les nouvelles formes de gouvernement), cette expression souligne le caractère composite du système d’action présidant à l’élaboration des politiques d’aménagement du territoire et de développement économique. La gouvernance locale ne se décrète pas, elle est un construit dans lequel les institutions sont largement imbriquées jouant ainsi un rôle d’intermédiation. Elle invite le territoire à devenir la cible de l’action publique à travers la promotion d’expériences telles que les grappes d’entreprises, les systèmes productifs localisés ou les pôles de compétitivité (Courlet, 2008).
I.1.1- La gouvernance locale : un processus de coordination des acteurs et de construction de l’attractivité territoriale
Pour qu’un territoire émerge ou devient attractif, il faut que les acteurs se coordonnent. Sans coordination, ou ce que Fabienne Leloup, Laurence Moyart et Bernard Pecqueur (2004), appellent « gouvernance locale », le territoire est voué à demeurer un espace passif qui subi les évolutions et les contraintes de son environnement extérieur.
C’est bien par la coopération et la coordination des stratégies publiques et privées que les territoires peuvent améliorer leur performance. En effet, chaque territoire recèle un ensemble d’institutions (entreprises, administrations locales, associations…), toutes ayant des intérêts très souvent divergents ou parfois même convergents. De plus, ces institutions entretiennent des relations qui s’inscrivent d’une part dans le cadre marchand et d’autre part en dehors du cadre marchand (par exemple l’édiction des normes, les conventions formelles et informelles…). Si bien qu’elles se trouvent largement mobilisées dans le fonctionnement de la dynamique des économies locales. De ce fait, la gouvernance locale va répondre à la mise en place des conditions de régulation et de pilotage des actions de ces différents acteurs dans la perspective d’une organisation efficace de l’activité économique sur le territoire. Ceci implique des jeux de négociation, de compromis, d’alliances entre acteurs divers obéissant à leurs propres logiques d’intérêt et/ou exerçant des responsabilités sur des domaines de compétences tantôt partagés, tantôt disputés (Bertrand et al. 2001). Cela suppose également l’activation de relations et de réseaux multiples où diverses formes de proximité tant géographiques qu’organisationnelles pourront jouer.
Pour certains auteurs à l’égard de Gilly-Wallet (2005), la gouvernance locale apparait comme le processus d’articulation dynamique de l’ensemble des pratiques et des dispositifs institutionnels entre les acteurs géographiquement proches en vue de résoudre leurs problèmes de production. Un tel processus par essence dynamique vise la formulation et la résolution des problèmes productifs des territoires. Par ailleurs, la gouvernance locale participe à la création d’un « capital relationnel » dans lequel, les acteurs du milieu se reconnaissent. Ces derniers partagent des valeurs (entrepreneuriales, familiales, professionnelles, etc.) qui sont à l’origine des relations de confiance et de réciprocité, source d’innovations et d’attractivité du territoire.
Parler de gouvernance territoriale revient donc à mettre en exergue la construction de compromis locaux, des alliances, des réseaux entre différentes logiques d’acteurs qui coexistent dans une « organisation territoriale qui met en synergie d’une part, les acteurs privés et leur organisation industrielle, et d’autre part, les acteurs publics et leur organisation institutionnelle » (Guesnier, 2006). La gouvernance locale invite ainsi à passer progressivement d’une logique concurrentielle à une logique organisationnelle des politiques publiques locales, ce qui s’impose de plus en plus, dans le cas des politiques d’attraction d’entreprises (Bazin, 1998, op.cit). A ce titre nous pensons que La gouvernance locale implique l’engagement d’un nombre croissant d’acteurs, aussi bien publics que privés, qui doivent être inclus dans la conception, la construction et la mise en oeuvre des politiques d’aménagement du territoire.
I.1.2- Typologies de gouvernance locale.
L’observation empirique permet de distinguer aujourd’hui les formes différenciées de gouvernance locale souvent vécues. La plupart des approches développées(20)opèrent une différenciation des gouvernances à partir de la nature des acteurs engagés et dominants dans la coordination. Si bien que la typologie fait état de quatre formes de gouvernance locale en fonction du caractère privé ou non des objectifs et des modes d’appropriation des ressources par les acteurs.
Ainsi l’on distingue :
– La gouvernance privée : ce sont les acteurs privés à travers leur dynamisme qui impulsent et pilotent les dispositifs de coordination et de création de ressources selon un but d’appropriation privée. Il en est ainsi de la firme motrice, par exemple l’établissement d’un grand groupe industriel qui structure l’espace productif local ;
– La gouvernance privée collective : dans ce cas, l’acteur clé est une institution formelle qui regroupe des opérateurs privés et impulse une coordination de leurs stratégies. On trouve ici les chambres de commerce, les syndicats professionnels à l’exemple du Groupement Inter patronal du Cameroun (GICAM) et toute forme de club regroupant des opérateurs privés ;
– La gouvernance publique : en effet, les institutions publiques ont des modes de gestion des ressources qui diffèrent de l’appropriation privée, notamment à travers la production de biens ou services collectifs qui sont donc, par définition, utilisables par tous les acteurs, sans rivalité ni exclusion. Ce sont au premier rang l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, toutes les formes d’intercommunalité et syndicats de communes, les institutions informelles (associations des ressortissants…, tontines), mais aussi les institutions de formation et les centres de recherche publique.
– La gouvernance mixte : dans la réalité, rares sont les situations pures de gouvernance privée ou publique ; on trouve souvent une association de ces différentes formes mais avec une dominante. Cela permet de caractériser chaque territoire comme un cas particulier qui entre dans une catégorie générale (plutôt publique ou plutôt privée) avec un dosage toutefois spécifique et variable.
La dynamique des territoires repose sur un processus continu de créations de ressources nouvelles, ce qui relève d’une double démarche : il faut se préoccuper de la structure et du fonctionnement du système productif qui doit évoluer dans une démarche permanente d’inventivité, ce qui relève de la gouvernance privée. Il faut aussi se préoccuper de l’offre de biens publics locaux et de l’adaptation du capital public aux besoins des habitants et des entreprises, ce qui relève de la gouvernance publique. Qu’en est-il ainsi du rôle des acteurs dans l’animation de l’économie locale ?
I.2- Rôle des acteurs dans la gouvernance économique locale
Comme illustré dans les paragraphes précédents, la gouvernance locale est ce mode de management territorial qui suscite la coopération et la coordination des acteurs locaux (les entreprises, les collectivités locales, la société civile…) dans une dynamique qui tend à construire ou reconstruire l’identité territoriale afin de mieux capter les flux d’investissement.
I.2.1- L’action décisive des collectivités territoriales décentralisées et des services déconcentrés de l’Etat
Aujourd’hui avec la mondialisation qui a désormais mis les territoires en « première ligne », et parallèlement à l’avènement de la décentralisation, les actions des collectivités territoriales décentralisées en matière d’animation économique se sont accrues. L’action économique des collectivités territoriales, de nature plus structurelle que conjoncturelle, se manifeste de multiples façons : interventions directes auprès des entreprises, afin que celles-ci s’installent ou pérennisent leurs activités sur leur territoire, aménagement de zones d’activité (technopôles, clusters, agropoles…), soutien à la création d’entreprises et à l’innovation, marketing territorial, « encouragement à la constitution de districts industriels », etc. Pour juger de l’utilité de ces initiatives, il convient d’abandonner le point de vue général et de s’intéresser à des interventions précises. En effet, l’action économique des collectivités locales repose sur trois piliers complémentaires :
• le soutien aux activités existantes sur le territoire et la valorisation de ses ressources (compétence principale des régions, des chambres consulaires et des agences de développement local). A cet effet, on recense une panoplie d’actions s’exprimant sous forme d’aides financières directes (primes diverses, construction et aménagement des zones de production…), de mise en place d’exonérations fiscales et autres garanties des emprunts des entreprises, ou de revalorisation du patrimoine immobilier du territoire (Datar, 1995).
• le renforcement de l’attractivité du territoire à travers la fourniture de services aux entreprises (conseil, assistance, information, et autres formes de services directs) et l’accueil d’activités nouvelles, en particulier des investissements direct étrangers (compétence première des agences de développement).
• le renforcement de la compétitivité des entreprises et le positionnement stratégique des métropoles dans un schéma de concurrence généralisée des territoires pour capter les activités économiques.
Schéma 3 : caractérisation du rôle des collectivités locales dans l’animation économique
Sources : Essombe Edimo (2005)
I.2.2- Le rôle décisif des acteurs privés dans la gouvernance économique locale
La participation des acteurs privés à la gestion des territoires n’est pas nouvelle. Cela s’est d’autant plus vérifié là où l’Etat était soit faible, soit pauvre (soit, bien sûr, les deux). La nouveauté réside sans doute dans les modalités de sortie de crise institutionnelle qui ont permis l’implication croissante des acteurs privés, dans la gestion et l’aménagement des territoires. De fait, la définition d’acteur privé reste floue. Les entreprises ou encore l’individu lui-même peuvent être considéré comme les premiers actant de la sphère privée. Certains auteurs révèlent cependant que la société civile doit être également considérée à ce prisme.
L’implication du secteur privé dans l’animation économique locale ou encore à sa participation dans la construction de nouvelles formes de gouvernance dément aujourd’hui la vision de l’entrepreneur souvent qualifier « d’être essentiellement passif(21) ». Nous observons en effet que le rôle de ce dernier est loin de se limiter à celui que lui impartit le traditionnel schéma de la subsidiarité : ne laisser à l’Etat de possibilité d’intervention que dans les secteurs où le privé ne serait pas plus efficace. Les entreprises interviennent sur les territoires au-delà de leur champ productifs et leur apport en matière d’animation de l’économie locale réside beaucoup plus dans la création des richesses (production) et des emplois. Toutefois, en matière de gouvernance économique locale, il s’agit pour ces derniers de s’organiser efficacement pour résoudre les problèmes communs ; d’organiser les actions collectives pour défense d’intérêt communs ; de collaborer avec les collectivités territoriales décentralisées pour des solutions « Win-Win » ; de plaidoyer auprès des services de l’Etat ; de valoriser la réussite des entrepreneurs ; de soutenir l’action collective (pollution, sécurité, environnement…).
Quant à la société civile, la contribution en matière d’animation et/ou de gouvernance économique locale réside dans son implication dans la planification stratégique locale; faciliter des partenariats avec le secteur privé ; contribuer au maintient et à la réalisation des infrastructures et services ; promouvoir l’éducation, la formation et l’entreprenariat ; agir pour la préservation de l’environnement…
En somme, il y a lieux d’affirmer comme Courlet (2008, op.cit) que dans le cadre de la gouvernance locale, la coordination permet d’optimiser les services rendus aux entreprises et aux investisseurs et conduit à mettre l’accent sur l’environnement des entreprises. Qu’en est-il ainsi de la démarche entreprise par les acteurs de la ville de Douala en matière de gouvernance locale ?
19 Vision fordiste et tayloriste du territoire pensée et mise en oeuvre par le grands corps de l’Etat qui se voulaient une prise en charge pyramidale du territoire.
20 (GILLY, WALLET, 2001 ; LELOUP, MOYART, PECQUEUR, 2005 ; ENJOLRAS, 2004 ; MENDEZ, RAGAZZI, 2007 ; ALBERTI, 2001)
21 Être sans âme, uniquement intéressé par des mobiles élémentaires, tout juste capable de s’adapter passivement aux lois du marché (Essombe Edimo, 2005)