91. Faute lourde et obligation essentielle, deux instruments juridiques autonomes
Dans le célèbre arrêt Chronopost du 22 octobre 1996(1) la Cour de cassation a affiché sa volonté de détacher les notions de faute lourde et d’obligation essentielle. Ce mouvement jurisprudentiel s’est, par la suite, confirmé à tel point qu’aujourd’hui faute lourde et obligation essentielle ne doivent plus être confondues. La faute lourde retrouve donc son acceptation classique, celle consistant à démontrer que le débiteur défaillant a adopté un comportement d’une particulière gravité. Quant à la notion d’obligation essentielle, celle-ci doit être définie comme l’obligation déterminante du contrat, sa raison d’exister.
Bien que les deux notions ne soient plus assimilées par la jurisprudence, celles-ci continuent à produire des effets similaires, à savoir tenir en échec une clause limitative de responsabilité. Encore que la jurisprudence a précisé que les deux concepts n’intervenaient pas dans les mêmes conditions.
92. Faute lourde et obligation essentielle, deux instruments juridiques aux effets sensiblement similaires
Il convient de parler d’ « effets sensiblement similaires » en ce sens que la Cour de cassation a élaboré, depuis qu’elle a consacré l’autonomie de la notion d’obligation essentielle par rapport à celle de faute lourde, un système précis et complexe quant aux effets respectifs de chacun de ces concepts sur l’efficacité des clauses limitatives de responsabilité. Ce système repose sur une première distinction celle de savoir si la clause litigieuse a une source légale ou contractuelle. Si la source est légale, dans ce cas, seule la preuve d’une faute lourde, entendue dans son sens subjectif, c’est-à-dire par rapport à l’extrême gravité du comportement du débiteur défaillant, permet de tenir en échec une telle clause. À l’inverse, si le plafond d’indemnisation est d’origine contractuelle alors le créancier pourra tenter de le neutraliser en ayant recours à la notion d’obligation essentielle. Cependant, le seul manquement à une telle obligation ne sera pas suffisant pour aboutir à un tel effet. Les juges précisent qu’une distinction doit, là encore, être opérée entre la clause limitative de responsabilité qui contient un plafond d’indemnisation raisonnable et celle qui prévoit une réparation dérisoire. C’est alors uniquement dans le cadre de cette deuxième hypothèse que le manquement à l’obligation fondamentale permettra de réputer non écrite la clause limitative de responsabilité d’origine contractuelle.
On s’aperçoit donc, au regard de ces positions jurisprudentielles, que le champ d’application de la faute lourde s’est sensiblement rétréci lui conférant ainsi une utilité plus modeste que dans le passé.
93. Un recours à la faute lourde plus rare
En l’état actuel de la jurisprudence, la faute lourde ne sera un recours utile, pour tenir en échec une clause limitative de responsabilité, que dans deux hypothèses bien précises à savoir lorsqu’il s’agira d’une clause de réparation d’origine contractuelle portant sur une obligation accessoire et lorsque la clause litigieuse sera d’origine légale.
Ainsi, si le retour à une conception subjective de la faute lourde doit être approuvé en ce qu’il se révèle être en conformité tant avec la définition même de faute qu’avec le système de gamme des fautes existant en droit positif, il a également pour effet regrettable de marginaliser une telle faute. Son utilité se trouve fortement amputée ; amputation d’autant plus significative que la Cour de cassation manifeste une rigueur excessive quant à sa preuve.
1 Cass. com., 22 oct. 1996, préc.
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