L’obstacle principal à la reconnaissance de l’autonomie de la faute dolosive consiste en
une certaine inadéquation de ses critères. Ceux-ci seront étudiés successivement.
§ 1 – Disparition de l’aléa
D’après la doctrine classique, la faute intentionnelle est inassurable car l’assuré n’a laissé
aucune place à l’aléa pour la réalisation du dommage : en commettant un acte fautif, il a
volontairement été à l’origine du dommage.
Partant de ce principe, peut-on faire de la disparition de l’aléa objectif une condition de
qualification de la faute dolosive ? Il est possible de douter du bien fondé de ce
raisonnement. En effet, si l’absence d’aléa est prise dans son acceptation la plus
rigoureuse, les hypothèses dans lesquelles l’assuré n’a effectivement laissé aucune place
au hasard sont extrêmement marginales. De manière encore plus flagrante, si ce critère
doit être entendu comme un absolu, la faute dolosive ne peut tout bonnement jamais être
retenue, étant donné le fait qu’il subsiste et qu’il subsistera toujours une part de hasard,
même si celle-ci peut se réduire à peau de chagrin(88).
Le second critère de la faute dolosive est commun à la faute intentionnelle : il s’agit d’une
faute volontaire et consciente. Il convient donc d’exposer en quoi ce critère est lui aussi
insuffisant pour écarter la faute de l’assuré de la garantie d’assurance.
§ 2 – Dol de l’assuré
Le dol dans l’exécution du contrat, distinct du dol vice du consentement, consiste en une
« inexécution consciente, sans que le débiteur ait nécessairement eu l’intention de
nuire, ni la conscience du dommage qui en résultera ». Cette définition ressort d’un arrêt
célèbre de 1969(89) : « Attendu que le débiteur commet une faute dolosive lorsque, de
propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus
n’est pas dicté par une intention de nuire à son cocontractant ».
En l’espèce, un pensionnaire de la Comédie française était contractuellement tenu
d’obtenir l’accord de l’institution avant de s’engager dans le tournage de toute oeuvre
cinématographique. Pourtant, il ne respecta pas cette obligation et la Comédie française
agit contre lui en responsabilité contractuelle. En réponse, le comédien opposa la clause
pénale stipulée au contrat. La Société des comédiens français invoqua alors la faute
dolosive, afin de faire écarter ladite clause et de voir son préjudice réparé intégralement.
La Cour d’appel accueillit les arguments du comédien mais un pourvoi fut intenté et la
Cour de cassation fit droit à la demande de la Comédie française, en considérant que la
violation délibérée des obligations contractuelles emportait faute dolosive.
La solution posée par cet arrêt fut reprise par les autres chambres de la Cour de cassation
pour priver de garantie d’assurance les assurés convaincus d’avoir commis une faute
dolosive(90). Fort heureusement, la Cour de cassation revînt à une solution plus orthodoxe
en 1974(91) : « il n’y a faute intentionnelle exclusive de la garantie de l’assureur que si
l’assuré a voulu l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage
lui-même. La faute ne peut être considérée comme intentionnelle du seul fait qu’elle a été
accomplie en pleine connaissance du risque encouru, en acceptant les conséquences
dommageables qui pouvaient éventuellement s’en suivre et sans se soucier des intérêts
de son cocontractant ».
La Cour a ainsi souhaité mettre fin à un courant jurisprudentiel devenu toujours plus libéral
pour qualifier d’intentionnelle la faute de l’assuré, certains arrêts se contentant d’une
simple négligence.
Par ce revirement, les haut-juges sont ni plus ni moins passés du tout ou rien. En 1969
une inexécution volontaire est suffisante pour écarter la garantie d’assurance, tandis qu’en
1974 non seulement l’inexécution doit être volontaire, mais encore l’assuré doit avoir été
motivé par une intention de nuire. Sans doute était-il possible de trouver une solution
intermédiaire, plus à même d’équilibrer les intérêts en présence.
88 L. Mayaux, Les grandes questions du droit des assurances — La notion de faute intentionnelle de
l’assuré : quelle évolution. LGDJ 2011.
89 89 Cass. civ. 4 févr. 1969, JCP, 1969, II, 16030, note Prieur, D. 1969, p. 601, note J. Mazeaud.
90 Cass. 1re civ. 21 avril 1971, RGAT 1972, p. 222, note J. B. ; 10 févr. 1972, D. 1972, p. 709, note J.-L
Aubert ; 20 févr. 1973, RGAT 1973, p. 523 ; 24 oct. 1973, D. 1974, p. 90, note Ghestin.
91 Cass. civ. 7 juin 1974, RGAT 1975, 214, D. 1974.I.F.201 ; 12 juin 1974, D. 1975, 173, note J.-L Aubert,
RTD civ. 1975, 120, obs. Durry ; Cass. civ. 25 févr. 1975, RGAT 1976, 61 ; 2 oct. 1975, JCP 1975.IV.335,
RGAT 1976, 192 ; 15 oct. 1975, JCP 1975, IV, 352 ; 9 déc. 1975, RGAT 1976, 504 ; Cass. civ. 7 déc. 1976,
D. 1977.I.R.180 ; Cass. civ. 10 mai 1977, JCP 1977.IV.168 ; Cass. civ. 10 mars 1977, JCP 1977.IV.168 ; Civ.
1re, 7 janv. 1976, BCI n°8, p. 8.
Retour au menu : ÉVOLUTION DE LA FAUTE INTENTIONNELLE EN DROIT DES ASSURANCES