L’indemnisation de la victime suppose une évaluation médico-légale de ses lésions et
séquelles dans le cadre d’une expertise amiable ou judiciaire (A). Les constatations médicales
seront traduites juridiquement par l’évaluation monétaire du préjudice (B).
A) L’expertise médicale
Le médecin expert doit se prononcer sur l’arrêt temporaire des activités qui peut être
générateur de pertes de gains professionnels actuels. Il doit avoir une connaissance précise de
la nature de l’activité professionnelle exercée (1), afin qu’il puisse se prononcer sur la durée
de la période d’arrêt (2) et sur son imputabilité à l’accident (3).
1) Renseignements sur l’activité professionnelle
Le point 3 de la mission d’expertise médicale 2006 mise à jour en 2009 de l’AREDOC
demande au médecin de « fournir le maximum de renseignements sur son [la victime] mode
de vie, ses conditions d’activités professionnelles, son statut exact » (29). Il devra ainsi préciser
la nature du poste occupé et le mode d’exercice de l’activité (salarié, profession libérale,
commerçant, artisan…).
Dans l’hypothèse où la victime est un demandeur d’emploi, le point 3 demande au médecin de
« préciser son statut et/ou sa formation ». Il devra également indiquer la nature du poste
recherché par la victime au moment de l’accident.
2) Détermination de la durée de l’interruption des activités professionnelles
Le point 13 de la mission AREDOC demande à l’expert, en cas d’arrêt temporaire des
activités professionnelles, d’en préciser « la durée et les conditions de reprise ». Allant dans le
même sens, le point 6 de la mission d’expertise recommandée par la Cour d’appel de Lyon
demande au médecin d’indiquer « les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de
son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son
activité professionnelle », de « préciser la durée des arrêts de travail retenus par l’organisme
social au vu des justificatifs produits, et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait
dommageable »(30).
Ainsi, le médecin doit prendre connaissance des certificats d’arrêt de travail délivrés par le ou
les médecins ayant participé au traitement. Selon H. Béjui-Hugues et I. Bessières-Roques,
respectivement Délégué général et Délégué général adjoint de l’AREDOC, les critères retenus
pour prolonger la durée de ces arrêts de travail ne correspondent pas toujours aux critères qui
fondent le raisonnement médico-légal. En effet, le médecin traitant aura pu tenir compte de la
répercussion fonctionnelle des lésions traumatiques, d’une altération de l’état général dû à une
affection concomitante ou à un état antérieur, ou de l’environnement socio-familial. Le
médecin expert devra donc préciser les périodes d’arrêt liées à l’accident initial(31).
L’expert peut estimer que la victime aurait pu reprendre son travail plus rapidement sur la
base d’éléments purement objectifs, comme une durée normale de consolidation ou de
cicatrisation. L’appréciation par l’expert, lorsque celui-ci constate la consolidation, de la
durée d’arrêt de travail indemnisable peut ainsi ne pas correspondre à la réalité des arrêts de
travail subis par la victime et à la perte totale de ses revenus. Les avocats sont donc vigilants
afin de garantir à la victime l’indemnisation de toutes les pertes de gains correspondant à
l’arrêt de travail qui découle de l’accident(32).
Par ailleurs, la détermination de la période d’incapacité est délicate dans l’hypothèse de
victimes n’exerçant pas d’activité professionnelle au moment de l’accident. Ainsi, il est
difficile de déterminer la durée de l’interruption des « activités professionnelles » s’agissant
des demandeurs d’emploi, en particulier si la victime recherchait un emploi depuis longtemps.
Cependant, lorsque la victime avait perdu, peu de temps avant l’accident, un emploi
régulièrement exercé et nécessitant une qualification précise, le médecin déterminera cette
période d’arrêt en s’interrogeant sur la possibilité pour la victime d’accepter un emploi dans
sa qualification et en la confrontant aux blessures subies et à leur évolution. Enfin, dans
l’hypothèse où une personne exerçant une activité rémunérée est en arrêt de travail pour des
raisons médicales ou sociales et qu’elle est victime d’un accident qui justifierait un arrêt de
cette activité, le médecin expert doit préciser la durée d’interruption qui serait imputable à
l’accident.
3) Imputabilité à l’accident
Le point 13 de la mission AREDOC demande à l’expert de « discuter l’imputabilité
[de l’arrêt temporaire des activités professionnelles] à l’accident en fonction des lésions et de
leur évolution rapportées à l’activité exercée ». Ainsi, le médecin doit préciser en quoi les
lésions et leur évolution ont empêché l’intéressé d’exercer de manière totale ou partielle son
activité professionnelle ou l’ont empêché d’accepter un emploi s’il était demandeur d’emploi
au moment de l’accident(33).
Si la totalité de l’arrêt de travail prescrit ne lui paraît pas en relation certaine, directe et
exclusive avec les lésions subies lors de l’accident, le médecin expert doit s’en expliquer,
mais il ne doit pas se prononcer sur la validité de cet arrêt de travail prolongé. En effet,
comme le souligne H. Béjui-Hugues, il n’appartient pas au médecin expert de « remettre la
victime au travail », ni de critiquer sans fondement un arrêt de travail prescrit. Néanmoins,
des règles impératives s’appliquent à la prescription de l’arrêt de travail, qui doit être
strictement en rapport avec l’impossibilité de poursuivre l’activité professionnelle pour des
raisons exclusivement liées à l’état de santé constaté au jour de la prescription.
B) La traduction monétaire
Le rapport Dintilhac précise que « L’évaluation judiciaire ou amiable de ces pertes de
gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par
la victime jusqu’au jour de sa consolidation »(34).
Il convient de distinguer en fonction du statut professionnel de la victime, c’est-à-dire selon
que celle-ci est salariée (1), non salariée (2) ou sans emploi (3).
1) La victime salariée
La perte de revenus de la victime salariée est égale au salaire mensuel multiplié par le
nombre de mois d’incapacité professionnelle. Si les revenus de la victime sont irréguliers, un
revenu moyen sera déterminé en fonction des revenus des années antérieures. Il convient
toutefois de distinguer la situation des travailleurs saisonniers et des intermittents du
spectacle, a fortiori lorsque l’arrêt de travail survient lors d’une période qui aurait dû être
travaillée.
Une distinction est faite par la jurisprudence en ce qui concerne les revenus utilisés pour le
calcul. Dans l’hypothèse où la victime ne perçoit que les indemnités journalières de la
Sécurité sociale ou d’un autre régime obligatoire, le salaire net sert de base au calcul du
préjudice(35). Si les salaires sont maintenus par l’employeur, notamment lorsque la victime est
un fonctionnaire, un agent d’une collectivité territoriale ou d’un service public, les revenus à
prendre en compte sont les salaires bruts versés par l’employeur(36). Enfin, lorsque le salarié
bénéficie d’une convention collective qui amène l’employeur à compléter les salaires nets, il
convient d’ajouter aux indemnités journalières de la Sécurité sociale le complément de salaire
brut ainsi que les primes qui auraient été perçues par la victime(37).
2) La victime non salariée
Lorsque la victime est un travailleur indépendant, commerçant, artisan ou membre
d’une profession libérale, le calcul de la perte de gains professionnels va être plus complexe et
la preuve plus délicate. Il convient ainsi de prendre en considération la perte du chiffre
d’affaires, dont seront déduites les seules charges variables, les charges fixes continuant d’être
supportées par la victime. Une expertise comptable peut alors être décidée par le juge. Si la
victime a employé une personne pour la remplacer, le coût de cet emploi doit être pris en
compte.
3) La victime sans emploi
Lorsque la victime est au chômage au moment de l’accident, l’indemnisation doit se
faire en fonction de la perte de chance de retrouver rapidement un emploi correspondant à sa
qualification et à sa situation géographique. Le revenu potentiel de la victime sur la période
d’incapacité doit être déterminé en fonction de ses antécédents et de l’avancement de sa
recherche d’emploi.
Quelque soit le statut de la victime, doivent être déduites de l’indemnisation des PGPA
les indemnités journalières perçues par la victime. En revanche, ne doivent pas être pris en
compte les revenus de solidarité tels que le revenu minimum d’insertion ou l’allocation adulte
handicapé(38). Ne doit pas être déduit du préjudice le montant des allocations de chômage
perçues par la victime(39). Enfin, depuis un revirement de jurisprudence en 2010(40), les juges
doivent procéder, si la victime le demande, à l’actualisation au jour de leur décision de
l’indemnité allouée en réparation des pertes de gains professionnels en fonction de la
dépréciation monétaire.
29 Mission d’expertise médicale 2006 mise à jour 2009, AREDOC, op. cit.
30 Recommandations de bonnes pratiques en matière de réparation des dommages corporels, op. cit., p.3.
31 H. Béjui-Hugues, I. Bessières-Roques, Précis d’évaluation du dommage corporel, 4e édition, L’Argus de
l’assurance, 2009, p.137.
32 B. Guillon, M.C. Gras, Fiche pratique IV : Perte de gains professionnels actuels, Association Nationale des
Avocats de Victimes de Dommages Corporels (ANADAVI), Gaz. Pal., 30-31 janvier 2009.
33 Point 13, L’arrêt temporaire des activités professionnelles constitutif des Pertes de Gains Professionnels
Actuels, AREDOC, La Lettre, mars 2010.
34 Rapport Dintilhac, op. cit., p.32.
35 Crim., 8 décembre 1993, n°93-81734.
36 Crim., 23 mai 1995, n°94-80174.
37 Civ.2e, 19 juin 2006, n°93-16248.
38 Civ.2e, 28 mars 1994, n° 91-17165 pour le RMI, Civ.2e, 14 mars 2002, n°00-12716 pour l’AAH.
39 Civ.2e, 7 avril 2005, n°04-10563.
40 Civ.2e, 12 mai 2010, n°09-14569.