Une première méthode d’évaluation consiste à prendre en compte le revenu annuel de
la victime et à en déduire sa consommation personnelle, afin d’obtenir son apport au foyer et
de le répartir entre les membres qui le composent(100). Parce qu’elle fait abstraction de la mise
en commun des ressources des époux et parce qu’elle passe outre le fait que le revenu du
conjoint survivant peut être supérieur à celui du conjoint décédé, cette méthode est
contestable et est d’ailleurs censurée par la Cour de cassation(101).
La deuxième méthode de calcul du préjudice patrimonial de la famille consiste à comparer les
revenus du couple avant le décès et les ressources subsistant après le décès, compte tenu des
parts de consommation de chacun des conjoints et des enfants et des frais fixes du foyer(102).
Validée par la Cour de cassation(103), cette méthode est reprise par le rapport Dintilhac qui
propose de calculer la perte de revenus des proches en prenant comme élément de référence
« le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe en
tenant compte de la part d’autoconsommation de celle-ci et du salaire qui continue à être
perçu par son conjoint (ou concubin) survivant »(104).
Doivent donc être déterminées les ressources du foyer au jour du décès (A), la part
d’autoconsommation de la victime (B) et les ressources postérieures au décès (C).
A) Les revenus de la victime décédée et du conjoint survivant
Dans un premier temps, il convient d’évaluer les revenus de référence de la victime
initiale. Sont inclus les revenus de toute forme, tels que salaires, traitements, honoraires, ainsi
que la contrevaleur des avantages en nature. Le revenu à prendre en compte est le salaire net
de charges sociales et patronales. Toutefois, la jurisprudence n’en déduit pas le montant des
impôts sur le revenu(105). En cas d’activité professionnelle non salariée, doivent être retenus les
bénéfices nets. Les rémunérations provenant d’un travail dissimulé n’ouvrent pas droit à
indemnisation(106).
En outre, doit être retenu le salaire auquel le de cujus aurait eu droit après réévaluation au jour
de la décision(107). Ainsi, il convient de tenir compte de l’évolution prévisible de la carrière de
la victime. La jurisprudence accepte la réévaluation du salaire d’un agent de la fonction
publique ou assimilé, dont le mode d’avancement est protégé par un statut(108). S’agissant du
secteur privé, peut être évaluée la perte de chance d’une promotion professionnelle à la
condition qu’elle soit réelle et sérieuse.
Si la victime était au chômage avant l’accident, il convient de prendre en compte, selon son
âge et ses perspectives d’avenir, soit le dernier salaire de référence de la victime(109), soit les
allocations de chômage ou les prestations pour le retour à l’emploi, en augmentant
éventuellement ces prestations sociales d’une indemnisation de la perte de chance réelle et
sérieuse de reprendre une activité professionnelle. Si la victime était à la retraite, les pensions
de retraite ou de vieillesse remplacent les revenus. En cas d’activité non rémunérée de la
victime directe, la contrevaleur économique de cette activité est parfois retenue au titre des
ressources du foyer.
Dans un second temps, il convient d’évaluer les revenus de même nature du conjoint ou du
concubin afin d’obtenir les ressources du foyer avant le décès de la victime directe. Doit être
ajouté le montant d’une rente ou d’une pension d’invalidité versée par un organisme de
protection sociale qui, en tant que revenu de remplacement, profite aux deux époux(110).
Enfin, les revenus du foyer doivent être actualisés au jour de la décision en fonction de la
dépréciation monétaire.
B) La répartition des revenus de la famille
Afin de déterminer les besoins du foyer après le décès de la victime directe, la part
d’autoconsommation du défunt doit être déduite des revenus du foyer. Il convient alors
d’étudier la répartition des ressources du ménage.
La part des dépenses personnelles de la victime varie en fonction de la composition du foyer,
de l’importance des revenus et du niveau de vie(111). Reprenant une répartition classique, le
référentiel indicatif régional de dix cours d’appel prévoit une part d’autoconsommation de
30% à 40% pour un couple sans enfant et de 15% à 20% pour un couple avec plusieurs
enfants. En effet, le total des parts des revenus consacrés par la victime à sa famille ne saurait
dépasser 85%, taux retenu par la Sécurité sociale pour les rentes versées aux ayants droit en
accident du travail. De plus, lorsque l’un des membres du couple exerce une activité d’artisan
ou une profession libérale, une partie de ses dépenses personnelles est extraite de son revenu
imposable, comme les frais de transport et de véhicule, les frais de téléphone, les frais
vestimentaires,… ce qui réduit la part d’autoconsommation allouée sur le revenu global du
foyer(112).
Enfin, les frais fixes du ménage varient entre 15% et 35%, en fonction du niveau social du
couple. Selon M.C. Gras et B. Guillon, il faut préférer la notion de « part disponible du
foyer », qui permet de régler les frais fixes incompressibles mais également de réaliser de
l’épargne ou de contribuer aux loisirs du ménage.
C) La perte annuelle du foyer
Selon le rapport Dintilhac, la perte du foyer est obtenue en déduisant des besoins du
foyer après le décès les revenus du conjoint survivant. Ce préjudice est ensuite partagé selon
les quotes-parts de consommation de l’époux survivant et des enfants pour calculer la perte
annuelle de chaque membre du foyer. Ce mode de calcul, qui s’est généralisé en jurisprudence
depuis les années 1990, tient compte des ressources du conjoint survivant et conduit parfois à
l’absence de préjudice indemnisable pour celui-ci lorsque ses revenus annuels sont importants
ou qu’ils sont cumulés avec une pension de réversion.
Ce processus d’évaluation est ainsi recommandé par le référentiel indicatif régional de dix
cours d’appel qui prévoit de rechercher le revenu annuel global net imposable du ménage
avant le décès, d’en déduire la part des dépenses personnelles de la victime décédée, de
déduire du montant obtenu les revenus du conjoint survivant, afin d’obtenir la perte annuelle
patrimoniale du conjoint survivant et des enfants(113). Ce solde doit être partagé en fonction de
la composition du groupe familial après le décès, soit 45% à 60% pour le conjoint survivant et
15% à 20% pour chacun des enfants.
M. Perier met en lumière un deuxième mode de calcul, dont les différentes variantes ont pu
être appliquées par des juridictions du fond(114). La première variante consiste à déduire les
frais fixes des ressources du foyer pour obtenir le solde disponible du couple et des enfants.
La perte économique du conjoint survivant est alors égale à l’addition des frais fixes et de sa
part de consommation personnelle calculée avant le décès, à laquelle sont soustraits ses
propres revenus. La perte des enfants est égale à leur part de consommation sur le solde
disponible avant le décès de la victime.
La deuxième variante consiste à déduire dans un premier temps la part de consommation du
défunt des ressources du foyer. La perte du conjoint survivant est ensuite calculée en ajoutant
les frais fixes et sa part de consommation avant le décès et en déduisant ses revenus annuels.
La perte des enfants correspond à leur part de consommation sur le solde disponible après le
décès de la victime. Ce calcul favorise l’indemnisation des enfants.
Dans la troisième variante, la perte du conjoint survivant est égale aux frais fixes additionnés
à sa part de consommation calculée sur les ressources annuelles du couple, total auquel sont
déduits ses revenus. La perte des enfants correspond à leur part de consommation sur les
ressources du couple avant le décès. Ce calcul ne désavantage pas le conjoint et favorise
davantage les enfants.
Lorsque le conjoint survivant n’exerce pas d’activité professionnelle, sa situation doit être
appréciée au jour du décès de la victime. Ainsi, en présence d’un jeune couple, l’indemnité ne
peut être réduite après appréciation des chances de remariage de la veuve(115). De plus, en cas
de reprise d’activité, la source de revenus du conjoint survivant qui n’existait pas avant le
décès ne doit pas être prise en compte pour le calcul du préjudice économique(116). En effet, la
Cour de cassation considère que le revenu du conjoint survivant est la conséquence non pas
du décès mais de son activité rémunérée débutée postérieurement au décès. Cependant, la
jurisprudence prend en compte la pension de réversion éventuelle du conjoint survivant pour
calculer sa perte de revenus réelle(117).
En outre, la méthodologie utilisée pour l’indemnisation des proches des victimes salariées et
étendue aux professions libérales doit être adaptée dans l’hypothèse d’une profession
artisanale, commerciale ou agricole. Ainsi, la réparation du préjudice économique du conjoint
survivant varie selon que celui-ci poursuit l’exploitation du commerce, fait appel à un
remplaçant salarié afin de maintenir les bénéfices d’exploitation ou vend le fonds de
commerce.
Enfin, avant d’envisager les indemnités allouées au conjoint survivant et aux enfants, il
convient de prendre un exemple de calcul du préjudice économique du foyer en application du
rapport Dintilhac. Soit un foyer composé d’un couple, un homme de 36 ans et une femme de
34 ans, et de deux enfants mineurs, une fille de 8 ans et un garçon de 6 ans. Considérons que
l’accident et l’indemnisation ont eu lieu en 2010. Le conjoint décédé (homme) percevait
24 000 € par an et le conjoint survivant (femme) gagne 18 000 € par an. Les revenus annuels
du foyer avant le décès sont de 42 000 €. La part d’autoconsommation de la victime est de
20%. Il convient donc de déduire 8 400 € et les besoins du foyer après le décès sont alors de
33 600 €. Après déduction des 18 000 € de revenus du conjoint survivant, la perte annuelle
patrimoniale de la famille est égale à 15 600 €.
108 Crim., 29 juin 1999, n°98-85372.
109 Crim., 24 février 2004, n° 03-81885.
110 Crim., 29 janvier 1991, n°90-80615.
111 V. Dang-Vu, L’indemnisation du préjudice corporel, L’indemnisation des accidents de la voie publique,
Troisième édition, 2010.
112 M.C. Gras, B. Guillon, Fiche pratique III : Pertes ou diminutions de revenus, op. cit.
113 Référentiel indicatif régional de l’indemnisation du dommage corporel, op. cit., p.24.
114 M. Perier, Fascicule 202-20, op. cit., n°158.
115 Crim., 7 juillet 1966.
116 Civ. 2e, 12 février 2009, n°08-12706, Gaz. Pal., 29 déc. 2009, note D. Yakouben.
117 Crim., 15 février 1995, n°93-83848. La pension de réversion n’est pas en droit réservée aux femmes. En
pratique toutefois, il est extrêmement rare qu’un homme ne dépasse pas le plafond de ressources au-delà duquel
le régime général de sécurité sociale ne verse pas la pension de réversion.