La plupart des avis sollicités par la Commission et les rapports d’enquêtes diligentés à la demande de la Commission Européenne ont mis l’accent sur la rémunération comme étant la principale source de conflits d’intérêts. Cependant il existe d’autres sources de conflits d’intérêts tout aussi importantes qu’il ne faut pas négliger.
Parmi ces autres sources on trouve les conflits d’intérêts lié à la détention de droits de vote ou de capital social dans une société (A) , les conflits d’intérêts lié à la délégation de gestion (B) et les offres conjointes (B).
A. Les conflits d’intérêts liés à la détention de droits de vote ou capital sociale dans une société
La détention des droits de vote ou d’une part importante du capital social dans une société quelconque confère un certain pouvoir décisionnel dans cette dite société. Cela permet de participer dans la prise de décision de la société, dans l’établissement de ces objectifs, et ces règlements intérieurs. Cela est aussi une source de revenue pour les actionnaires qui, eux, reçoivent des dividendes en cas de distribution des bénéfices réalisés par la société pendant l’exercice comptable écoulé.
Une telle situation peut aisément devenir conflictuelle dans le cadre d’une activité d’intermédiation en assurance. Cela peut recouvrir deux hypothèses, soit l’intermédiaire d’assurance détient une part du capital social et des droits de vote dans l’entreprise d’assurance, soit l’entreprise d’assurance détient une part du capital social ou des droits de vote de la société d’intermédiation en assurance. On verra par conséquent d’une part la détention du capital social ou du droit de vote par l’intermédiaire d’assurance (1) et d’autre part la détention du capital social ou du droit de vote par l’entreprise d’assurance (2).
1. La détention du capital social ou du droit de vote par l’intermédiaire d’assurance
Cela vise l’hypothèse où un intermédiaire d’assurance détient des droits de vote ou une part importante du capital social d’une entreprise assurance (plus de 10%) ou d’une filiale de la société mère qui est une entreprise d’assurance et qu’il distribue leurs produits d’assurance.
Quand un intermédiaire détient plus de 10% du capital social d’une entreprise d’assurance, il peut être tenté d’inciter ses clients à souscrire aux contrats d’assurance de cette entreprise d’assurance pour que celle-ci prospère. Il a un intérêt à ce que l’entreprise d’assurance fasse des bénéfices car cela lui permettra de toucher des dividendes. En effet lors de l’assemblée générale des actionnaires, il pourra voter dans le sens d’une distribution des bénéfices sous forme de dividendes. Cela peut donc s’avérer être une source réelle de conflits d’intérêts car l’intermédiaire va privilégier l’intérêt de l’entreprise au détriment de celui de son client, qu’il est censé conseiller objectivement.
Il en va de même quand l’intermédiaire détient plus de 10% du capital social dans une filiale d’une société d’assurance. Il pourra privilégier l’intérêt du groupe plutôt que celui de son client.
Il peut aussi y avoir conflit d’intérêt quand l’entreprise d’assurance détient une part du capital social ou des droits de vote dans la société d’intermédiation de l’assurance.
2. La détention du droit de vote ou du capital social par l’entreprise d’assurance
Cela vise l’hypothèse où l’entreprise d’assurance détient une part du capital social (plus de 10%) ou des droits de vote dans une société d’intermédiaire d’assurance. Il peut y avoir conflit d’intérêt dans la mesure où l’entreprise d’assurance pourra, dans le cadre d’une assemblée générale d’actionnaires, définir les objectifs et priorités de la société d’intermédiaire d’assurance ou donner des consignes à la société d’intermédiaire d’assurance de privilégier ses produits d’assurance plutôt que ceux de la concurrence. Dans un tel cas, les intérêts de l’entreprise d’assurance seront privilégiés au détriment de l’intérêt du client de la société d’intermédiaire d’assurance.
Dans un cas comme dans l’autre, la détention du capital social ou des droits de vote par la société d’assurance ou par la société d’intermédiaire d’assurance peuvent s’avérer être source de conflits d’intérêts. Les conflits d’intérêts peuvent aussi naître des situations dans lesquelles il y a une délégation de gestion en faveur de l’intermédiaire d’assurance.
B. Les conflits d’intérêts liés à la délégation de gestion
La délégation de gestion vise les hypothèses dans lesquelles l’assureur a donné mandat à l’intermédiaire d’assurance pour la gestion courante des actes de production (1) ou pour la gestion des sinistres et l’expertise des sinistres (2). La délégation de gestion peut être source de conflit d’intérêt dans certaines hypothèses.
1. La délégation de gestion courante des actes de production
L’assureur peut mandater l’intermédiaire d’assurance pour la collecte de la prime, l’édition d’attestation d’assurance, d’avenants au contrat et autres. Ces actes concernent des actes de gestion courante d’un contrat d’assurance. Ils ne posent pas réellement de problème de conflit d’intérêt. On pourrait à priori penser qu’il pourrait y avoir conflit d’intérêt entre l’intermédiaire et l’assuré en cas de délégation de gestion pour la collecte de la prime. L’intermédiaire d’assurance pourrait être tenté de garder cette somme pour lui pour ses besoins propres.
Cependant, l’intermédiaire chargé de collecter la prime au nom et pour le compte de l’assureur doit offrir des garanties financières ou il agit sous la responsabilité de l’assureur. Un paiement entre ses mains équivaut à se libérer de ses obligations à l’égard de l’assureur. De ce fait même en cas de dépense de la somme collectée ou de détournement, c’est l’assureur qui en subit les conséquences.
Une perte, vol, ou destruction de la somme collectée sont garantis par les garanties financières et qui sont imposées aux intermédiaires. Le consommateur a donc suffisamment de protection légale contre les hypothèses de détournement et vol.
La délégation de gestion des actes courants de production ne posent donc pas de problème de conflit d’intérêt. Par contre, dans les cas de délégation de gestion des sinistres, il peut y avoir un conflit d’intérêt dans certaines hypothèses.
2. Délégation de gestion des sinistres et expertise sinistre
Cela concerne l’hypothèse où l’assureur mandate l’intermédiaire pour la gestion des sinistres, ou pour missionner un expert en cas de déclaration de sinistres afin d’évaluer le sinistre et de déterminer si la garantie de l’assureur est due.
Il peut y avoir des sous commissions versées à l’intermédiaire d’assurance pour des objectifs fixés entre l’assureur et lui. Ces objectifs peuvent prévoir que l’intermédiaire percevra une commission supplémentaire si le nombre de sinistres déclarés au cours de l’année ne dépasse pas un certain seuil ou si les coûts des sinistres ne dépassent pas un certain seuil. Cela peut inciter l’intermédiaire à minimiser l’ampleur des sinistres ou même l’inciter à conseiller ses clients de s’abstenir de déclarer leurs sinistres alors que ces derniers avaient droit à une indemnisation en vertu de leur contrat d’assurance.
Il peut aussi y avoir des conflits d’intérêts en dehors de toute hypothèse de seuils ou objectifs à atteindre. L’intermédiaire se retrouve dans une situation délicate car il est à la fois mandataire de son client et à la fois mandataire de l’assureur. Certes les deux mandats ne portent pas sur les mêmes choses (l’un sur le conseil à apporter au client avant la souscription d’un contrat et pendant la durée de la vie du contrat et l’autre portant sur la délégation de gestion de sinistre) mais l’intermédiaire a quand même deux intérêts opposés à prendre en compte. En cas de contradiction entre l’intérêt de l’assureur et l’intérêt du client, quel intérêt, l’intermédiaire, doit-il faire privilégier ?(1).
Par exemple, en cas de fausse déclaration, doit-il en informer l’assureur ou se taire pour ne pas nuire aux intérêts de son client. En France, la Cour de Cassation a une démarche plus protectrice de l’assuré et semble plutôt privilégier l’intérêt du client mais ce n’est pas le cas de tous les états membres de l’Union Européenne.
Dans tous les cas, la délégation de gestion de sinistre par l’assureur à l’intermédiaire d’assurance est une source de conflit d’intérêt à ne pas négliger. En dehors des cas de conflits d’intérêts sur la rémunération et la délégation de gestion, une autre source de conflits d’intérêts concerne les ventes liées et les ventes croisées.
C. Les offres conjointes
Les offres conjointes concernent les hypothèses de vente de plusieurs produits simultanément au cours d’une même opération de vente. En principe, les produits sont vendus en lots soit dans le cadre d’une offre promotionnelle exceptionnelle, soit dans le cadre d’une stratégie commerciale de longue durée. Ce type d’offre conjointe se retrouve dans tous les secteurs et c’est une méthode de vente de plus en plus prisée aujourd’hui par les distributeurs. L’activité d’assurance n’y échappe pas.
Parmi les différentes formes d’offres conjointes que l’on trouve sur le marché, toutes ne posent pas de problème de conflits d’intérêts. Il y a deux formes d’offres conjointes qui sont particulières et qui sont sensible à des conflits d’intérêts éventuels, à savoir la vente liée (1) et la vente croisée (2).
1. La vente liée
La vente liée vise la situation dans laquelle deux produits sont vendus ensemble au cours d’une même opération. Ces deux produits ne peuvent pas être achetés séparément. La vente liée ne donne pas le choix au consommateur de se procurer un des produits vendus dans le lot séparément. On le contraint à acheter le lot pour qu’il ait le produit qui l’intéresse et ce peu importe que le produit en question soit adapté ou non à ses besoins.
Ça peut recouvrir les hypothèses où des produits d’assurance sont vendus accessoirement comme condition de l’accès à un service financier, ou avec un bien ou avec un autre produit d’assurance.
Par exemple, l’offre peut consister à ce qu’un client puisse prétendre à un prêt à la consommation qu’à la condition qu’il souscrive une assurance emprunteur auprès de l’assureur X en même temps.
Derrière cette pratique peut se cacher des commissions ou des sous commissions qui seront versées à la banque par l’assureur pour avoir contraint le consommateur à souscrire une assurance emprunteur auprès de sa société d’assurance. La banque, qui ici avait le rôle d’un intermédiaire en assurance, au lieu de proposer des produits d’assurance emprunteur adaptés au consommateur, va lui imposer au contraire un produit d’assurance emprunteur inadapté pour ses besoins. Dans cette situation, le consommateur se retrouve dans l’incapacité de prendre une décision en connaissance de cause. Ces situations peuvent aussi avoir un impact négatif sur la concurrence(2).
Il faut tout de même faire attention car toutes les pratiques de ventes liées ne sont pas forcément néfastes pour le consommateur. Certaines peuvent tourner à leur avantage tandis que d’autres peuvent faire passer leurs intérêts au second plan.
Certains états membres de l’Union Européenne, comme la France et la Belgique par exemple, ont tenté de régler les problèmes de conflits d’intérêts liés aux ventes liées en posant dans leur législation une interdiction générale de cette pratique. Cependant, la question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’union européenne (CJUE), relative à la légalité de ces interdictions par rapport à la directive 2005/29/CEE du 11 mai 2005 relatif aux pratiques commerciales déloyales, a dans des arrêts (3). remis en cause ces interdictions en déclarant qu’elles étaient contraire à la directive.
En effet, pour la CJUE, la directive sur les pratiques commerciales déloyales procède déjà à une harmonisation complète au niveau européen sur les pratiques commerciales déloyales. A ce titre, elle contient une liste exhaustive des pratiques commerciales considérées comme étant déloyales en toutes circonstances et elle pose une interdiction générale des pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives. La directive pose des critères d’appréciation pour déterminer quelles pratiques commerciales entrent dans le champ des pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives. Les ventes liées ne figurent pas parmi la liste établie par la directive sur les pratiques commerciales déloyales.
De ce fait, les situations où il y a une vente liée doivent être appréciées au cas par cas pour déterminer si elles constituent en, elles- mêmes, des pratiques commerciales déloyales. Une interdiction générale est contraire à la directive sur les pratiques commerciales déloyales en ce sens que les États membres ne peuvent pas prendre des mesures plus restrictives et ce même dans le but d’accroître la protection des consommateurs(4).
En conséquence, la CJUE a mis en demeure la Belgique et la France notamment de supprimer cette interdiction de leurs normes nationales.
Cependant ces décisions créent un doute quant au secteur de l’assurance qui relève des services financiers. L’article 3.9 de la directive sur les pratiques commerciales dispose que les États membres peuvent prendre des mesures plus restrictives en ce qui concerne les services financiers(5).
Les arrêts rendus par la CJUE ne concernaient pas le secteur de l’assurance ni un secteur financier.
Cela crée une situation paradoxale et douteuse pour les assureurs et les autres acteurs du monde financier car ils ne savent plus si l’interdiction de pratiquer des ventes liées leurs sont applicables ou non.
Toutes ces interrogations autour de la vente liée démontrent son importance et le potentiel qu’elle représente pour créer des conflits d’intérêts. Par ailleurs, une autre source de conflits d’intérêts est à identifier parmi les offres conjointes : la vente croisée.
2. La vente croisée
La DIA 2 définit la vente croisée comme étant une situation dans laquelle deux produits sont vendus simultanément au cours d’une même opération de vente(6). Ce qui distingue la vente croisée de la vente liée est que dans une vente croisée, le consommateur a le choix d’acquérir un des produits vendus dans le lot séparément.
Cette pratique est employée massivement par les prestataires de services financiers de détail dans l’UE. Il peut être avantageux pour les consommateurs ou lui être néfaste selon les cas. Elle concerne, comme dans le cas de la vente liée, les hypothèses où un produit d’assurance est vendu comme l’accessoire d’un produit financier ou d’un bien ou d’un autre produit d’assurance.
Tout comme la vente liée, en cas de vente croisée on peut avoir des risques de distorsion de la concurrence, ou une influence sur la décision du consommateur mais au moins le consommateur a le choix de se procurer les produits séparément et cela en soit fait que cette pratique est moins risquée(7).
La vente croisée peut être source de conflit d’intérêt dans la mesure où tous les produits d’assurances offerts dans le lot ne sont pas forcément adaptés aux besoins du client. Par exemple, selon la BEUC, certains groupes de bancassurance octroient des commissions sur la base de pratique de ventes croisées. Les montants des commissions sur les prêts varient selon qu’on a vendu une assurance décès en même temps que l’octroi d’un prêt par exemple(8).
Un autre exemple de vente croisée est les offres d’assurance multirisque habitation où des garanties comme la protection judiciaire, le bris de glace, vol, tempête et autres sont proposés conjointement avec l’assurance habitation. Ces ‘packages’ ne sont pas tout le temps à l’avantage des consommateurs.
Cela peut inciter les intermédiaires d’assurances, à proposer aux consommateurs des produits d’assurances inadaptés à leurs besoins dans le but de se faire rémunéré d’un montant supérieur car ils auront vendus un ‘pack’ de produits plutôt que le produit seul. Le devoir de conseil sur le choix d’un produit adapté aux besoins du consommateur dans ce cas n’est plus respecté et l’intérêt du consommateur passe au second plan alors même que c’est l’intermédiaire d’assurance qui est censé le représenter.
Toutes les sources de conflits d’intérêts examinés ci-dessus, à savoir les modes de rémunérations, les délégations de gestion et les ventes croisées et liées, se font par le biais du non-respect des obligations d’information et de conseil qu’incombent aux intermédiaires.
1. Traité de Droit des Assurances Jean Bigot, Daniel Langé, Jean-Louis Respaud Tome – 2e édition LGDJ lextenso éditions : pg 53 et pg 574
2. Proposition de directive en intermédiaition d’assurance publiée le 3 juillet 2012- Exposé des motifs
3. Arrêt de la Cour dans les affaires jointes C-261/07 et C-299/07 – http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?language=fr&num=C-261/07
4. communiqué de presse de la CJUE n° 31/09 du 23 avril 2009 : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2009-04/cp090031fr.pdf
5. Argus de l’assurance : les ventes avec primes et ventes liées de produits d’assurance par Mathieu Dary Avocat au cabinet Fidal – 20 mai 2011: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/assureurs/les-ventes-avec-primes-et-ventesliees-de-produits-d-assurance.49845
6. Proposition de révision de la directive en intermédiation en assurance publiée le 3 juillet 2012 : article 2 définition de la vente croisée
7. Proposition de révision de la directive en intermédiation en assurance publiée le 3 juillet 2012 – exposé des motifs et explications
8. BEUC : Insurance mediation directive (Recast) – BEUC position paper – 20/12/2012 -http://www.beuc.org/BEUCNoFrame/Docs/2/CEBPLLGDEDLMOFHKLLCPAJHEPDW69DBDPY9DW3571KM/BEUC/docs/DLS/2013-00022-01-E.pdf