Après avoir rappelé les critères de définition d’une libéralité (I), on constatera que
l’attribution du bénéfice d’un contrat d’assurance souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers
bénéficiaire ne répond pas exactement à ces critères de définition mais est plus à même d’être
qualifiée de libéralité sui generis (II).
I- Les critères de définition d’une libéralité
Une libéralité est définie comme un acte par lequel une personne procure à autrui ou
s’engage à lui procurer un avantage sans contrepartie(36). On remarque dès à présent que sa
définition est similaire de celle de l’acte à titre gratuit. Comme on l’a vu précédemment, les
actes à titre gratuit sont des libéralités. La réciproque est également vérifiée, à savoir que les
libéralités sont des actes à titre gratuit. Les libéralités sont définies par le Code civil à l’article
893. Cet article dispose que « La libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre
gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. Il ne
peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament».
Par cette définition, le Code civil limite la définition des libéralités et donc la
possibilité de qualifier des actes de libéralités. En effet, seuls les donations faites entre vifs et
les testaments peuvent être qualifiés de libéralité car le Code civil dispose qu’il ne peut exister
que deux types de libéralités. Une libéralité est soit réalisée par une donation entre vifs(37), soit
par un testament.
L’élément essentiel, caractéristique des libéralités et permettant de les définir, est la
gratuité de ces actes. Cette gratuité peut être envisagée comme contenant deux aspects : un
aspect subjectif et un aspect objectif. En effet, pour qu’il y ait libéralité, il faut tout d’abord
que le disposant ait été animé d’une intention libérale, il faut que le disposant soit animé de
l’animus donandi. C’est l’élément moral, l’élément subjectif de la définition d’une libéralité.
L’intention libérale est une notion abstraite dont la définition n’est pas aisée. C’est une notion
qui recouvre divers sentiments : la pitié, la charité, l’amour, le désintéressement, la générosité,
le don… La définition de l’intention libérale diffère selon que cette intention libérale est
motivée par un de ces sentiments et suscite donc de nombreuses controverses. En effet, il ne
peut y avoir de libéralité que si le disposant a recherché et voulu le passage de valeur de son
patrimoine au patrimoine du tiers bénéficiaire. Cette intention libérale du disposant, bien que
difficilement définissable, caractérise la libéralité. En tout état de cause, l’intention libérale
doit traduire la volonté du disposant de donner, de gratifier un tiers. Pour qu’il y ait libéralité,
il faut également que le disposant confère un avantage au gratifié sans contrepartie.
C’est l’élément matériel, l’élément objectif de la définition d’une libéralité. Un avantage sans
contrepartie est un avantage qui implique un appauvrissement du disposant et un
enrichissement du gratifié. Il faut qu’il y ait un lien de causalité entre cet appauvrissement et
cet enrichissement. Il doit y avoir une corrélation entre l’appauvrissement du disposant et
l’enrichissement du tiers bénéficiaire.
Les libéralités sont donc des actes à titre gratuit car elles impliquent la transmission
d’un bien sans contrepartie et avec intention libérale. Cependant, les libéralités ne doivent pas
être confondues avec les contrats de bienfaisance qui sont également des actes à titre gratuit
mais qui, eux, ont pour objet de rendre un service à titre gracieux à autrui et non pas de
transmettre un bien à titre gratuit à autrui.
Les libéralités, contrairement aux règles régissant les successions(38), sont des actes
libres et volontaires. Une libéralité permet la transmission de ses biens de manière libre et
volontaire alors que la transmission de ses biens par succession relève de la loi et des règles
établies. Mais, si les libéralités sont libres et volontaires, elles ne doivent cependant pas aller à
l’encontre des règles de dévolution successorale. Elles ne peuvent ni modifier ni anticiper les
effets posés par ces règles de dévolution successorale. Pour l’essentiel, elles ne doivent pas
vider la réserve héréditaire de sa substance.
Par ailleurs, les libéralités doivent se conformer à des règles de forme assez strictes.
Ces règles diffèrent selon qu’il s’agit d’une donation ou d’un legs. Ces règles sont justifiées
par le fait que les libéralités sont des actes à titre gratuit. En effet, les actes à titres gratuits
sont plus graves que les actes à titre onéreux et il convient donc de protéger, par des règles de
forme strictes, les membres de la famille du disposant des conséquences de la libéralité
consentie par le disposant en termes d’appauvrissement de son patrimoine. Ce formalisme
permet d’assurer le respect de la volonté du disposant et d’éviter au maximum les risques de
captation d’héritage.
Le consentement des parties à la libéralité, comme pour tout autre acte, est très
important. Il faut en effet que la libéralité ait été voulue par le disposant et qu’elle ait été
acceptée par le gratifié. Cependant, la libéralité étant un acte à titre gratuit, les règles relatives
au consentement ont leurs spécificités pour tenir compte du caractère gratuit de l’acte.
Les parties et notamment le disposant doivent être protégés contre ses propres défaillances mais
également contre la cupidité d’autrui. Le disposant doit être apte mentalement à consentir une
libéralité au sens où il doit être sain d’esprit et ne doit pas avoir fait l’objet de vices du
consentement. Si ces conditions de la validité d’une libéralité font défaut, l’acte sera entaché
de nullité relative. Le gratifié, quant à lui devra exister et être déterminé.
Par ailleurs, il ne devra pas y avoir d’interposition de personnes entre le disposant et le gratifié que
l’on pourrait qualifier de bénéficiaire réel ou effectif. Plus précisément, le disposant et le gratifié
devront réciproquement avoir la capacité de donner pour le premier et de recevoir pour le second. Les
règles spéciales de capacité relatives aux libéralités ont été édictées dans le but
essentiellement de protéger les incapables mais également en considération de dispositions
d’ordre public.
II- Une attribution bénéficiaire constituant une libéralité sui generis
Un contrat d’assurance vie peut en premier lieu être souscrit dans le but de réaliser une
épargne que l’on touchera s’il l’on est encore en vie au terme, mais le fait de prévoir une
contre assurance en cas de décès, c’est-à-dire le fait de désigner un tiers qui touchera le capital
épargné en cas de décès, le souscripteur a agit, à n’en pas douter, dans l’optique de gratifier le
tiers bénéficiaire. C’est également le cas des contrats d’assurance vie souscrits à titre gratuit
au profit d’un tiers bénéficiaire et se dénouant en cas de décès du souscripteur/assuré. En
effet, en souscrivant de tels contrats le souscripteur/assuré est animé d’une intention libérale,
de l’animus donandi envers le tiers bénéficiaire.
Par ailleurs, dans le cadre d’une libéralité, le lien de causalité entre l’appauvrissement
du disposant et l’enrichissement du tiers bénéficiaire(39) peut ne pas être direct. L’assurance vie
en est le meilleur exemple. En effet, il y a un appauvrissement du souscripteur/assuré par le
versement de primes d’assurance à l’assureur. Lors du dénouement du contrat d’assurance vie
en cas de décès de l’assuré, l’assureur verse sous forme de capital ou de rente les sommes
acquises en vertu de ce contrat à un tiers bénéficiaire. Il y a donc un enrichissement du tiers
bénéficiaire qui se retrouve alors gratifié. L’appauvrissement du souscripteur et
l’enrichissement du tiers bénéficiaire sont indirects car ils sont réalisés par l’intermédiaire
d’un contrat d’assurance vie. En effet, ce contrat fait intervenir un assureur par lequel les
sommes transitent ; les sommes reçues par le bénéficiaire ne proviennent qu’indirectement
des primes versées par le souscripteur assuré car elles ont transité dans le patrimoine de la
société d’assurance pendant un certain laps de temps. Mais, bien qu’étant indirects, cet
appauvrissement et cet enrichissement sont liés par un rapport de causalité. Ce lien de
causalité est constitué par le contrat d’assurance vie.
L’intention de donner sans contrepartie, constitutive de la définition d’une libéralité,
est présente au sein d’un contrat d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers
bénéficiaire.
Cependant, le Code civil dans son article 893 dispose également qu’une libéralité
ne peut être faite que par donation entre vifs ou par testament. Il semble que cette limitation
de la définition de la libéralité s’applique dans le cadre de notre interrogation sur le fait de
savoir si un contrat d’assurance vie peut réaliser une libéralité car comme nous le verrons par
la suite, un tel contrat d’assurance vie ne réalise pas systématiquement une donation(40).
Cette disposition du Code civil empêche donc clairement de qualifier un contrat d’assurance vie de
libéralité. Mais, ce contrat d’assurance, comme on l’a vu, traduit la volonté du
souscripteur/assuré de donner sans contrepartie à une tierce personne. Comme la qualification
de libéralité ne peut pas être appliquée en l’espèce car le Code civil en a limité l’application à
deux actes juridiques, on peut, au-delà de notre interrogation première, se questionner sur le
fait de savoir si, malgré tout, un tel contrat d’assurance vie ne pourrait pas être qualifié de
libéralité sui generis(41).
Une situation juridique est qualifiée de sui generis lorsque sa nature est singulière et
l’empêche de la classer dans une catégorie déjà connue(42). Selon les dispositions de l’article
893 du Code civil qui prévoient que les libéralités ne peuvent être faites que par donation
entre vifs ou par testament, une donation est nécessairement une libéralité. Cependant, la
réciproque n’est pas évidente. En effet, comme nous venons de le voir au sujet des assurances
vie et plus précisément des contrats d’assurance vie prévoyant une attribution bénéficiaire à
titre gratuit au moment du décès, il semble que cette opération pourrait réaliser une libéralité
sans pour autant réaliser une donation. C’est ce que l’on a qualifié de libéralité sui generis. En
effet, on ne peut pas dire que l’attribution bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie réalise une
libéralité car elle ne constitue pas systématiquement une donation(43) et ne constitue pas un
testament.
En revanche, le souscripteur est quand même animé d’une intention libérale envers
le tiers bénéficiaire, d’une intention de donner, caractéristique des libéralités. C’est donc en
cela que l’attribution bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie à titre gratuit réalise une
libéralité sui generis car sans pouvoir entrer exactement dans la catégorie des libéralités
édictée par la loi, on ne peut pas non plus considérer que cette opération est dépourvue de
toute volonté de gratifier un tiers.
36 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillien et Jean Vincent, Dalloz, 15ème édition, 2005
37 Les donations à cause de mort sont prohibées en dehors de l’institution contractuelle car il n’est pas permis
de disposer entre vifs de ses biens à son décès en donnant à cette disposition le même caractère irrévocable
qu’à un testament.
38 Les successions ab intesta et procède de la volonté de la loi. En effet, une succession est dite ab intesta
lorsque le défunt n’a pas réaliser de donation ou n’a pas rédiger de testament. Dans cette hypothèse, on ne
peut pas aménager les règles de dévolution successorale, il faut appliquer les règles de transmission
successorale posées par la loi.
39 Cf supra.
40 Cf infra.
41 L’allocution latine « sui generis » peut être traduite par l’expression « de son propre genre ».
42 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillien et Jean Vincent, Dalloz, 15ème édition, 2005
43 Au sens strict du terme