La requalification d’un contrat d’assurance en donation indirecte est intéressante pour
l’Administration fiscale qui trouve dans cette requalification un moyen d’opérer des
redressements fiscaux (I) mais cette requalification est également intéressante pour
l’Administration des aides sociales qui, quant à elle, trouve dans cette requalification un
moyen de récupérer les créances d’aides sociales (II).
I- Une qualification intéressante pour l’Administration fiscale
L’Administration fiscale, comme les héritiers réservataires du souscripteur/assuré,
trouve également un intérêt dans la requalification en donation indirecte des contrats
d’assurance souscrits à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire prévoyant un dénouement
en cas de décès. Cependant, l’intérêt qu’elles trouvent dans cette requalification n’est pas tant
civil comme les héritiers mais davantage fiscal. En effet, en obtenant la requalification d’un
tel contrat en libéralité, l’Administration fiscale peut alors taxer l’opération non plus selon la
fiscalité avantageuse des articles 757 B et 990 I du CGI applicables aux contrats d’assurance
vie mais selon le tarif des droits de mutations à titre gratuit en appliquant la taxation des droits
de donation.
Lors des contentieux devant les juridictions, lorsque l’Administration fiscale fait
valoir la requalification des contrats d’assurance vie en donation indirecte son objectif est
d’écarter le régime de faveur applicable aux contrats d’assurance vie et de taxer le
bénéficiaire en application des droits de donation sur l’intégralité des sommes qu’il a reçues
en exécution du contrat d’assurance vie. Lorsque l’Administration fiscale fait valoir la
requalification d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte c’est dans le but d’opérer un
redressement fiscal(99).
L’Administration vise les contrats pour lesquels les primes versées par le
souscripteur/assuré à l’assureur sont manifestement exagérées par rapport à ses capacités
financières pour faire l’objet d’un redressement fiscal. Cependant, selon la réponse
ministérielle Charasse(100), les contrats dont l’aléa semble faire défaut c’est-à-dire ceux qui ont
été souscrits in articulo mortis ou alors ceux dont la désignation bénéficiaire ou la
modification de la désignation bénéficiaire a également été faite in articulo mortis et qui donc
peuvent être requalifiés en donation indirecte sont également susceptibles de faire l’objet d’un
redressement fiscal. L’Administration fiscale utilise la possibilité d’obtenir la requalification
de ces contrats en donation indirecte pour pouvoir réaliser un redressement fiscal et donc
taxer plus fortement. C’est en cela que cette qualification de donation indirecte est
intéressante pour les services fiscaux.
Cependant, si la possibilité d’obtenir une requalification d’un contrat d’assurance vie
en donation indirecte est possible lorsque les circonstances d’espèce font que les conditions de
l’article 894 du Code civil sont remplies et/ou que l’absence d’aléa du contrat est établie, il est
à noter que nombre de décisions judiciaires qui admettent une telle requalification sont tout de
même en nombre limité. En effet, très souvent les jugements rendus en première instance
mais également les décisions rendues en appel refusent cette requalification.
Face à cette relative difficulté d’obtenir un redressement fiscal sur la base de la
requalification d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte, l’Administration fiscale
dispose d’un autre moyen pour pouvoir exercer un redressement fiscal. Il s’agit de la
procédure de répression pour des abus de droit. En effet, lorsque le contrat d’assurance vie
semble aux services fiscaux avoir été souscrit uniquement dans le but d’obtenir un régime
fiscal plus avantageux, ils peuvent tenter de démontrer cet abus de droit. S’ils parviennent à
apporter la preuve de l’existence d’un abus de droit, ils pourront alors obtenir un redressement
fiscal et cela leur permettra de taxer selon le régime fiscal qui a voulu être évité en souscrivant
un tel contrat c’est-à-dire les droits de mutation à titre gratuit. Mais, encore plus que pour la
requalification d’un contrat d’assurance en donation indirecte, il semble, au regard du faible
nombre de décisions judiciaires qui l’admettent, que la preuve de l’abus de droit soit
difficilement rapportable.
II- Une qualification intéressante pour l’Administration des aides sociales
L’Administration des aides sociales trouve également un intérêt dans la requalification
des contrats d’assurance vie en libéralité et plus précisément en donation indirecte. En effet,
lorsqu’un contrat d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire avec
un dénouement en cas de décès est requalifié en donation indirecte, cela permet de regarder le
bénéficiaire du contrat d’assurance vie comme un donataire et de pouvoir ainsi appliquer les
dispositions relatives à la récupération des créances d’aides sociales(101). C’est donc la raison
pour laquelle, à l’instar des héritiers et de l’Administration, l’Administration des aides
sociales tente de rechercher l’application d’une telle requalification.
L’Administration des aides sociales tente d’obtenir la requalification d’un contrat
d’assurance vie en donation indirecte afin de récupérer les aides sociales qu’elle a versées
lorsque la situation suivante se rencontre : une personne dont les ressources sont faibles a
perçu des aides sociales en complément de ses revenus, a souscrit un contrat d’assurance vie
afin d’y placer ses modestes économies. Dans ces circonstances, l’Administration des aides
sociales soupçonne la personne en question d’avoir souscrit le contrat d’assurance vie afin
d’éviter d’être soumise un recours en récupération des aides versées. Il faut, dans cette
hypothèse, avoir à l’esprit que les aides sociales versées par l’Administration sont
récupérables en cas de retour de l’allocataire à meilleure fortune. De plus, dans le cas de
l’arrêt Roche, l’Administration avait versée des aides sociales pour un montant de 30 000 € et
le contrat d’assurance vie, stipulé dont le capital était stipulé payable en cas de décès aux
héritiers de l’allocataire/souscripteur, était également d’un montant de 30 000 €.
Ces circonstances d’espèce donnaient vraiment l’impression que la personne, allocataire de ces
aides, a pu s’enrichir et même placer une somme d’argent relativement importante
uniquement avec les aides sociales versées. Le placement de ces aides donnait également
l’impression que l’allocataire n’en avait pas un besoin vital et que l’Administration était donc
en droit de les récupérer.
Cependant, les sommes placées l’avait été par l’intermédiaire d’un contrat d’assurance
vie qui n’est pas saisissable. C’est la raison pour laquelle, afin de pouvoir récupérer les
sommes correspondantes aux aides sociales versées et qui avait été placées sur un tel contrat
d’assurance vie, l’Administration tente en usant des mêmes arguments que l’Administration
fiscale et des héritiers de requalifier ce contrat en donation indirecte. Le Conseil d’Etat fait
état pour établir une requalification d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte qu’il
doit y avoir eu de la part du souscripteur/allocataire une volonté de se dépouiller actuellement
et de façon non aléatoire mais également actuellement et irrévocablement. L’obtention de
cette requalification permettra à l’Administration de voir les sommes placées sur le contrat
d’assurance réintégrer la masse successorale du défunt et d’être à nouveau saisissable. Ces
sommes étant redevenues saisissables, l’Administration pourra en récupérer le montant
correspondant aux aides sociales versées.
99 Un redressement fiscal est « l’opération par laquelle pour une période ou une opération donnée,
l’Administration fiscale corrige une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les
éléments qui ont été ou qui auraient dû être déclarés par le contribuable. Elle se traduit par la mise en oeuvre
d’une procédure de redressement, puis le cas échéant par une imposition supplémentaire assortie d’amendes ou
de pénalités ». (Dictionnaire fiscal sur le site www.finance-banque.com).
100 Sén. 6-10-2003 p. 7651 n°9967
101 C’est ce que dispose en substance l’arrêt Roche, CE, 19 novembre 2004, Defresnois 2006, article 38306, note
François Sauvage. Ces dispositions ont été reprises par la suite par les deux arrêts du Conseil d’Etat en date du
6 février 2006, Département de la Dordogne et Mme Y, RGDA 2006, p 741, note Luc Mayaux.