Actuellement, lorsqu’un contrat d’assurance vie compte tenu des circonstances
d’espèce réalise une libéralité et une donation indirecte, la jurisprudence est favorable à une
requalification de l’opération. Cependant, on constate que la jurisprudence n’est pas précise
quant aux critères retenus pour requalifier cette opération.
Au regard des arrêts qui ont été rendus à ce sujet, les critères appliqués par les
différentes juridictions pour conclure à la requalification ne sont pas toujours les mêmes.
En effet, les critères retenus pour établir une requalification ne sont pas toujours les mêmes mais,
surtout, d’une décision à une autre, l’importance donnée à chacun de ces critères dans la
requalification n’est pas toujours identique. En effet, certains critères peuvent paraitre
indispensables à la requalification mais ne sont en réalité pas toujours requis de manière
expresse par la jurisprudence. Par ailleurs, l’interprétation donnée au contenu, d’un critère
diffère également d’une décision à une autre.
Par exemple, on a pu croire, un temps, à la lecture des arrêts rendus par les juridictions, que pour que
la requalification d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte soit admise, il fallait que les critères
de l’article 894 du Code civil définissant les donations soient expressément remplis, à savoir que l’attribution
bénéficiaire traduisent l’intention libérale du souscripteur/assuré, que sa volonté de donner
soit actuelle et irrévocable et, enfin, que le bénéficiaire ait accepté de recevoir le bénéfice du
contrat.
Mais, l’arrêt de la chambre mixte de la Cour de Cassation en date du 21 décembre
2007, a établi la requalification d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte alors même
que le bénéficiaire n’avait pas accepté le bénéfice du contrat. Cet arrêt s’est donc contenté de
prendre en considération les circonstances globales dans lesquelles avaient eu lieu la
souscription du contrat et la désignation bénéficiaire pour en déduire le caractère irrévocable
de la stipulation pour autrui et ainsi requalifier l’opération de donation indirecte en dehors de
toute acceptation bénéficiaire. Mais, au-delà de cette divergence dans les critères de
requalification d’une décision à une autre, il existe également une divergence entre les
juridictions dans la détermination de ces critères. En effet, les critères utilisés par les
juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas exactement les mêmes que ceux utilisés et requis
par l’ordre administratif.
Le Conseil d’Etat a pu exiger dans certains arrêts, pour admettre une telle
requalification, que le souscripteur d’un contrat d’assurance vie soit relativement âgé(103) et que
la somme placée sur le contrat d’assurance vie représente une part importante de son
patrimoine(104). Il a également pu exiger que le souscripteur se soit dépouillé « actuellement »,
« irrévocablement » et également de manière « non aléatoire ». Ces critères ont pour objectif
d’établir l’intention libérale irrévocable du souscripteur de se dépouiller au profit du tiers
bénéficiaire(105). L’étude de ces critères exigés par le juge administratif met en évidence que ce
dernier considère que la possible requalification d’un contrat d’assurance vie de libéralité et
de donation indirecte est quelque chose d’exceptionnelle. Il ne considère donc pas qu’un
contrat d’assurance vie puisse être systématiquement être qualifié de donation indirecte. Seule
une requalification, lorsque certains critères sont remplis, peut être envisagée.
Quant à la Cour de Cassation, les critères qu’elle utilise vont dans le même sens que
ceux utilisés par le Conseil d’Etat mais sans être exactement les mêmes. En effet, la Cour de
Cassation a pu exiger, pour qu’un contrat d’assurance vie soit requalifié en donation indirecte
la « volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ». Elle a jugé que cette
volonté était constatée lorsque le souscripteur se savait atteint d’une maladie incurable et que
les primes versées sur le contrat correspondaient à une partie importante de son patrimoine(106)
car cela traduit selon elle « l’absence d’aléa dans les dispositions prises ».
A la différence du Conseil d’Etat, la Cour de Cassation se fonde plus sur l’absence d’aléa pour établir la
requalification en donation indirecte. Dans un autre arrêt, la Cour de Cassation a établi qu’un
« contrat d’assurance vie pouvait être requalification en donation indirecte si les
circonstances dans lesquelles sont bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du
souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable »(107). Cet arrêt relève également de la
volonté de la Cour de Cassation de fonder la requalification d’un contrat d’assurance vie sur
l’absence d’aléa.
Pareillement, dans un arrêt rendu encore plus récemment(108), la Cour de
Cassation sans reconnaitre cette fois l’existence d’une donation indirecte dans le cas d’espèce
rencontré, fait dépendre la validité d’un contrat d’assurance vie d’un aléa lié de la durée de la
vie humaine et considère qu’un contrat d’assurance vie demeure aléatoire dès lors qu’il
dispose encore d’une faculté de rachat. Mais, lorsque cette faculté de rachat devient illusoire,
du fait notamment du rapprochement dans le temps entre la date de souscription du contrat ou
de la désignation bénéficiaire et le dénouement du contrat, la requalification de ce contrat en
donation indirecte doit être admise(109). La Cour de Cassation, comme le Conseil d’Etat,
considère qu’un contrat d’assurance vie peut être qualifié de donation indirecte mais que cette
qualification n’est pas systématique et que l’on doit donc parler de « requalification ».
La tendance actuelle de la jurisprudence judiciaire mais également administrative est
donc, à n’en pas douter, à admettre la possible requalification d’un contrat d’assurance vie en
donation indirecte. Cependant, les critères utilisés pour aboutir à une requalification d’un
contrat d’assurance vie en donation indirecte ne sont jamais exactement les mêmes. En effet,
les critères de requalification ne sont pas déterminés et fixés de manière suffisamment précise.
La jurisprudence en la manière est de ce fait fluctuante.
Cette incertitude constitue, selon nous, une difficulté pour apprécier les cas dans
lesquels une telle requalification doit être admise. Afin de pallier cette difficulté, nous
pensons qu’il serait utile d’organiser les critères à retenir pour requalifier l’attribution
bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie en donation indirecte. A cette fin, il faudrait non
seulement fixer une liste de critères déterminés permettant cette requalification mais
également établir une hiérarchie entre eux.
103 Dans les faits d’espèce soumis au Conseil d’Etat, le souscripteur était souvent âgé de plus de 80 ans.
104 Le Conseil d’Etat ne se limite pas à regarder si la somme placée sur les contrats d’assurance vie est une
somme importante en elle-même mais attache de l’importance à regarder si cette somme représente une part
importante du patrimoine du souscripteur.
105 CE, 19 novembre 2004, Arrêt Roche, CE 6 février 2006.
106 Cass Civ, Chambre Mixte, 21 décembre 2007
107 Cass, Civ 2ème, 23 octobre 2008
108 Cass, Civ 2ème 22 octobre 2009
109 Cass civ, Chambre Mixte 21 décembre 2007