Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

4.2.3. Des valeurs à transmettre

Non classé

Revenons maintenant au programme en immersion. Il s’agit maintenant d’étudier notre dernière hypothèse concernant la transmission de la culture montréalaise aux enfants en vérifiant si un lien existe entre culture montréalaise et immersion. Pour cela, nous avons décidé de connaitre les représentations chez nos informateurs au sujet du programme. Mais commençons par nous demander si l’intégration est une notion importante chez eux et à quelle forme d’intégration ils s’intéressent. Nous verrons ainsi que la politique linguistique familiale de nos parents « joue sur plusieurs tableaux » en même temps.

4.2.3.1 Une triple intégration à mettre en œuvre

Il apparait dans les énoncés des parents un souci d’intégrer leurs enfants sur trois niveaux sociaux.

Tout d’abord, ils défendent une certaine culture linguistique familiale à laquelle doivent adhérer leurs enfants. Celle-ci dépend de leur propre éducation. Elle peut donc être anglophone (EaE8-4, EaE2-35, DbE4-87, DbE5-136) que Madame W défend à travers son nom de famille :

« Mais je suis vraiment (fort) comme anglophone, mon dernier nom c’est Jackson(66). » (DbE2-6)

Mais elle peut aussi évoluer en fonction de la nature des couples qui se sont formés, et donc du nom de famille, réorientant parfois la culture familiale. À titre d’exemple, Madame B, qui déclare l’anglais comme langue première (annexe 2, p.87), veut transmettre désormais la langue de son mari, en faisant référence, là aussi, à son nom de famille :

À : Pour vous c’est important qu’il soit bilingue.

B : Absolument. Son dernier nom, c’est Lapointe(67). Il n’a pas le choix…(rire)… C’était très important qu’il soit bilingue. Et pas seulement bilingue à parler, mais aussi… écrit… culture… tout. Tout tout tout. qu’il se sente vraiment faire partie… de la communauté, de la culture… Et ma fille, j’espère pouvoir faire la même transition.

Passer de Willingdon à une école française, pour le secondaire. (EaE3-105)

La culture linguistique familiale défendue par les parents peut aussi s’appuyer sur d’autres langues comme l’italien (EcE7-34, DbE6-76), même si ces parents-là reconnaissent qu’il est difficile de la pérenniser (EcE7-34, EaE12-161), comme le concède Madame T :

À : … D’accord. Alors, bon, moi j’ai… Est-ce que vous lui… vous transmettez l’italien à vos enfants ?

C : J’essaie, mais pas beaucoup. Avec ses… avec ses grands-parents, y parlent un peu, mais c’est… c’est difficile. Parce que… quand tu… quand ton partenaire n’est pas… Italien, c’est… c’est pas… Alors, elle a des expressions que son grand-père dit et tout ça, mais… non. C’est dommage. (EaE12-161)

C’est ainsi que ces parents, Canadiens de première ou deuxième génération, dont l’origine culturelle n’est pas anglophone, défendent plus volontiers une culture familiale multilingue (EaE6-147, EaE4-65) en déclarant jusqu’à quatre langues comme le fait madame I (annexe 2, p.87), même si l’anglais reste la langue de communication (EaE6-147, EaE4-65, EcE8-62, EaE9-163). Ils nous semblent ainsi vouloir rappeler à leur descendance leur histoire d’immigration plutôt que de réduire leur bagage culturel à la dichotomie très Québécoise anglais/français. C’est ainsi que Madame T revendique finalement sa culture allophone (DbE12-79).

Ensuite, le programme en immersion rassure les parents, car il facilite l’intégration scolaire des enfants tout en leur apprenant le français. Le parcours de Madame M quant à la scolarisation de ses fils est très révélateur. En inscrivant ses enfants en garderie francophone, elle s’est rendu compte des difficultés qu’ils rencontraient pour socialiser avec les autres enfants :

M : C’est ça. So… Mais, malgré ça, on a insisté à enregistrer notre deuxième garçon aussi à une garderie francophone. Il a adapté mieux, mais encore, il n’a pas été intégré socialement dans la manière qu’on voit avec des anglophones. C’était juste plus difficile pour lui de… you know, parler même vitesse, avec les mêmes vocabulaires que les autres petits enfants. Puis, on voulait pas que ça continue à l’école primaire. On a voulu que nos enfants améliorent leur français, mais pas au coût de leur sécurité sociale, ni de leur bonheur social… (EbE9-126)

Nous voyons à quel point l’intégration sociale est aussi scolaire à ses yeux. C’est ainsi qu’elle a choisi l’immersion plutôt que le programme français langue maternelle. Ce souci d’un rapport égalitaire entre les élèves au niveau social et au niveau des apprentissages est très important pour nos informateurs, orientant par ailleurs leur préférence vers le programme en immersion comme nous l’avons expliqué au paragraphe 4.2.1.2.

Enfin, nous constatons chez les parents un réel désir d’intégrer les enfants à la culture Québécoise (EcE3-105, EcE7-34, EcE9-91), mais cette volonté me semble davantage sociale plutôt que profondément culturel comme l’explique Madame T :

À : … Donc, c’est ça la raison principale pour vous, que Sarah parle le français le mieux possible, ça serait quelle raison la plus importante ?

C : Pour… pour s’intégrer dans la société Québécoise.

A : D’accord. Socialement.

C : Oui, socialement. Oui… Je veux pas qu’elle aille dans un magasin, elle parle français, quelqu’un la regarde comme ça (avec un regard dédaigneux). C’est comme : « qu’est-ce que tu dis ? Tu parles pas très bien », ou quelque chose comme ça. Je veux qu’elle ait confiance… Je pense que c’est important qu’elle apprenne une deuxième langue… quand j’étais son âge, j’étais… j’allais à l’école d’italien le samedi matin, ça va arriver, mon mari est pas Italien, alors c’est dur à parler une langue quand ton partenaire ne la parle pas, mais… pour moi, c’est le social. Oui. (EcE12-135)

Il est intéressant de noter qu’elle indique à deux reprises qu’elle souhaite que ses enfants restent à Montréal (BaE12-87, CdE12-79).

En définitive, cette intégration se limite donc à quelques activités que les parents partagent en famille (EcE6-108, EcE9-91). En effet ne se sentant pas intégrer eux-mêmes (paragraphe 4.2.2.2), ils rencontrent des difficultés à intégrer leurs enfants en reconnaissant qu’ils ne les incitent pas à parler français à la maison comme à l’extérieur (EaE2-17, EcE11-167, EaE2-17, EcE4-168, EcE8-62).

Les parents souhaitent donc une transmission de certaines valeurs culturelles qui permettra à leurs enfants de s’épanouir à Montréal. Reste à savoir si le programme en immersion répond à leur attente.

4.2.3.2 Immersion et acquisition des langues : une combinaison gagnante

Étudier les représentations sociales de nos informateurs au sujet du programme en immersion et de l’apprentissage des langues nous informe sur le lien qu’ils font entre ces deux notions.

Dans un premier temps, nous pouvons relever l’apparente difficulté que représente le programme par rapport aux autres, aux yeux des parents interrogés. Cette difficulté concerne les élèves au sujet de la relation avec l’enseignant (FaE9-98) et de l’apprentissage dans une langue seconde de manière générale (FaE5-111, FaE10-143). Mais elle concerne aussi les parents, notamment lorsqu’il s’agit d’aider les enfants pour les devoirs à la maison (FaE8-144). Madame L évoque sa propre frustration à ce sujet :

« Si vous connaissez pas ce mot, tu peux pas faire le problème Puis, c’est vraiment frustrant… Moi, j’fais les devoirs le soir, puis c’était… woua … J’hais ça, j’hais ça, jusque comment eux autres ils haïssent ça, t’sais : “I hate homework68“. Oui, moi aussi » (FaE10-143)

Ainsi, certains informateurs signalent par la même occasion que ce programme n’est pas adapté aux élèves en difficultés d’apprentissage (FdE1-73) , ou dont les parents ne peuvent les aider en français à la maison (FdE2-72).

Cependant, nos informateurs s’accordent sur le fait qu’un apprentissage précoce d’une langue seconde est plus facile. Ainsi, même si le français est considéré comme une langue compliquée notamment à cause de ses nombreuses règles (GaE3-47, GaE8-73, GaE10-55, GaE12-123, GaE3-31, GaE7-100, GaE10-51) et qu’on ne peut apprendre que formellement (GaE4-125, GaE12-119), le programme en immersion donnerait aux enfants la possibilité d’utiliser leur capacité naturelle grâce à la précocité de l’apprentissage linguistique qu’il propose (FaE6-102, FaE7-24, FaE8-144, FaE10-98, FaE11-170) comme le fait remarquer Madame R :

« Je pense que c’est plus facile pour les enfants quand ils sont jeunes pour apprendre une langue » (FaE7-24).

La difficulté première du programme en immersion serait donc rapidement surmontée :

« Au début, ils comprennent pas le professeur du tout du tout, c’est-ce rtain que ça va être plus difficile. Mais je pense qu’ils se rattrapent assez vite. » (FaE9-98)

Monsieur B, quant à lui, pense que, même pour les élèves en difficulté, ce n’est qu’une question de volonté :

À : Et vous pensez que tous les… n’importe quel enfant peut suivre un programme comme ça en immersion, en langue seconde ?

B : Bah, ça dépend de l’enfant, mais j’assume que… si l’enfant veut apprendre, il peut apprendre… Ça dépend comment qu’il est appris, mais… (FdE8-144)

Ajoutons que l’immersion ne semble pas inquiéter nos informateurs quant à l’acquisition de la langue première de leurs enfants, c’est-à-dire l’anglais. D’abord parce que, contrairement au français, l’anglais est une langue simple (GbE10-51, GaE12-119, GaE10-51, GaE3-47, GaE3-31) et facile à apprendre (GbE7-100, GaE8-73, FbE3-99). Ensuite, pour les parents plus soucieux, ils savent que le programme en immersion enseigne aussi l’anglais à partir de la 3e année (AbE12-105) comme nous en avons parlé plus haut (paragraphe 4.2.1.2).

Nous pourrions donc supposer que le programme en immersion s’adapte aux exigences des parents au niveau de l’apprentissage du français tout en les assurant une bonne acquisition de l’anglais, l’objectif étant le bilinguisme de la culture montréalaise. Vont-ils réellement le trouver dans une école en immersion française ?

4.2.3.3 Immersion et bilinguisme

En plus des avantages de l’immersion quant à l’acquisition des deux langues majoritaires, certains informateurs se représentent finalement le programme en immersion comme une bonne manière de devenir bilingue (FcE4-30, FcE5-89, FcE6-84).

Pourtant, et nous en parlions déjà pour exposer leurs connaissances du programme en immersion (4.2.1.1), les parents ressentent une certaine déception quant au bilinguisme de leurs enfants après quelque temps d’immersion. Argumentons encore à ce sujet avec les doutes dont nous fait part Madame S :

« Pour moi, c’était important d’essayer d’avoir des enfants bilingues, confortables avec ça… C’est pour ça que je suis pas sûre si le French Immersion69 c’est vraiment la route, mais… on va voir. (rire) » (FcE4-30)

C’est aussi pour cette raison que Madame R a changé sa fille d’école pour le programme francophone :

« Parce que j’ai commencé à voir que dans les écoles french immersion, les premières 3 années, c’est correct. Puis, moi, je pense que c’est plus facile pour les enfants quand ils sont jeunes pour apprendre une langue. Alors, je l’ai laissé là pour le… mais la 3e année, quand Melissa était dans la 3e, elle était prête pour aller dans la 3e année, ça commence à introduire l’anglais… Alors, moi, je pensais, je me dis, franchement à la fin de la 6ème année, j’avais de mes nièces qui sont toutes là, vous n’êtes pas ni 100% en anglais, ni 100% en français. Alors j’ai dit, je préfère… que maintenant ils aient un peu de… background70, un peu plus de français, ils sont plus capables, je mets dans une école en français. Alors, je l’ai transféré à l’école Notre-Dame-de-Grâce(71). » (FaE7-24)

Madame B ajoute que le niveau d’enseignement du français n’est finalement pas assez élevé (FaE9-131) :

« … J’étais déçue avec le niveau de français ici à Willingdon… avec le niveau avec… C’est ça. Alors, est-ce que c’était l’année, son année en particulier ou en général ?

Je trouve qu’ils ont pas assez de français. Le niveau avec lequel il sort en sixième année ici dans un système d’immersion… est pas assez élevé. Il devrait être… » (FaE9-131)

Ceci étant dit, il faut remarquer le comportement paradoxal de certains parents. Ainsi, Madame S nous fait part de ses doutes tout en persistant dans la même voie en inscrivant 2 enfants à Willingdon dont l’un est en 5e année (annexe 2, p.87).

Il en est de même pour Madame T qui, même en possédant des informations sérieuses mettant en doute l’efficacité du programme, y inscrit sa fille :

À : Ah d’accord. Donc, vous aimeriez que votre fille, elle puisse aller… enfin avoir un bon niveau en anglais, et puis, en même temps, en français, de pouvoir se débrouiller.

C : Oui. C’est ça.

À : Et vous pensez qu’en immersion, elle trouvera ça ?

C : J’espère J’sais pas, parce que… quand je l’ai mis ici, il y avait une… c’était le temps dans les… les journaux, ils parlaient de la… l’immersion… ils disaient que l’immersion, c’était pas assez.

A : Pas assez ?

C : D’apprendre une autre langue, alors… C’était une très grande chose dans La Gazette(72)… qui disait ça.

Ainsi, même si immersion et bilinguisme ne semblent pas toujours faire bon ménage dans l’expérience que vivent certains parents, ils paraissent ne pas vouloir faire un autre choix, par exemple le programme francophone qui les intéresse beaucoup. Leurs représentations positives de l’immersion dépasseraient-elles une certaine cohérence ? Nous savons grâce à notre étude sur les représentations sociales qu’elles dirigent en effet nos comportements.

Ou bien est-ce que l’immersion ne serait pas le choix qui assure au mieux la triple intégration dont nous avons parlé plus haut ? Retournons à nos hypothèses pour tenter d’y répondre.

66 Par souci de confidentialité, le nom a été changé tout en gardant son caractère anglophone
67 Par souci de confidentialité, le nom a été changé tout en gardant son caractère québécois francophone.
68 Je déteste les devoirs à la maison
69 l’immersion française
70 formation
71 École francophone de la Commission scolaire de Montréal

Page suivante : 4.3. Résultats

Retour au menu : L’IMMERSION FRANÇAISE À MONTRÉAL : QUELLES POLITIQUES LINGUISTIQUES CHEZ LES PARENTS D’ÉLÈVES ANGLOPHONES ?