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§ 1. Clarification souhaitable de la matière.

ADIAL

59. Désolidarisation des textes.

– La multiplication des textes et leur désolidarisation de tout code rend la réparation du dommage
corporel difficile à appréhender globalement. Pour une harmonisation des outils de barémisation en
la matière, des efforts sont à faire pour tendre vers un socle commun uniformisé (A.). Rétablir un
ordre dans le chaos des textes spéciaux s’avère périlleux (B.).

A/ Vers un socle commun plus accessible.

60. Constat.

– « Aujourd’hui, comme à chaque époque, l’évaluation et la réparation du dommage corporel sont
basées, dans chacun des États de l’Union Européenne, sur des consensus sociaux et législatifs,
reflets de la philosophie de sa société. Généralement, les principes sont énoncés dans des lois
ou des codes sous une forme lapidaire, et les modalités sont organisées par la jurisprudence et
la doctrine »(99). C’est par ces premières phrases que le préambule du Guide barème européen
d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique de 2003 remarque les lacunes des
droits continentaux actuels. La France n’est pas uniquement touchée, les autres pays membres de
l’Union Européenne sont confrontés à des problématiques similaires.

61. Droit épars en matière de réparation du dommage corporel.

– La multiplication des textes législatifs a conduit à l’éparpillement des sources ouvrant droit à
indemnisation des victimes. Cela a pour effet de rendre la matière totalement floue et peu
lisible pour les profanes. Seuls les experts aguerris des mécanismes de réparation du
dommage corporel peuvent facilement se retrouver au milieu de ce chaos juridique.

Le Conseil d’État lors de son Assemblée générale du 28 janvier 2010 a rendu un avis
à propos de la proposition de loi n°2055 visant à améliorer l’indemnisation des victimes de
dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation. Il a pu exprimer des
observations et des suggestions d’amélioration. L’inutilité de certaines dispositions
législatives, rendues caduques par l’évolution de la société, de la jurisprudence et des lois
nouvelles, conduit à ordonner leur abrogation pure et simple. La contradiction des textes est
évidente, le législateur ne maîtrise plus totalement l’ensemble de ses productions. Réduire
considérablement le volume des textes en la matière revigorerait l’essence même de
l’indemnisation du dommage corporel.

À noter que la désuétude de certains outils de barémisation tend à cumuler les
instruments inutiles. Cela ne sert à rien de conserver ces références alors qu’elles ne sont pas
mises à jour périodiquement. Entre le niveau d’inflation et l’augmentation de la durée de la
vie chez l’homme, les tableaux de capitalisation proposés vers les années 1950 sont largement
dépassés aujourd’hui. Par exemple, la loi BADINTER de 1985 renvoie à un décret d’application
désignant une table de capitalisation de 1986. De plus, ces outils ne proposent pas une
indemnisation sur des critères semblables à des instruments plus récents.

62. Évolution de la société et des dommage

– La mondialisation et le modèle du capitalisme ont amené à une évolution vers une société de consommation de masse. La
production et la consommation sont au coeur de l’économie française. L’avancée des
techniques industrielles et du mode de vie de la population a contribuée à l’émergence d’une
inflation des demandes en réparation du dommage corporel. Le droit a besoin d’un
renouvellement dans ses bases, ses théories générales doivent évoluer pour rester au plus
proche de la société qui l’applique. L’anachronisme du droit dans le temps le rend
difficilement applicable en pratique. Le renouvellement des outils de barémisation du
dommage corporel offrirait un accord avec son temps au droit.

B/ Observation pratique d’un manque de cohérence.

63. Création de systèmes opportunistes dans le temps.

– Le droit change et s’adapte à la civilisation qui l’applique. Dans son acception scientifique,
le droit est une science dite molle, en permanente évolution avec son temps. Certes, la codification a
cristallisé des notions, des théories et des idées dans les droits continentaux. Cette rigidité
d’évolution leur est typique. Les pays de Common Law ne souffriraient pas autant pas de ce
mal. Le juge découvre la loi en l’appliquant et la modifie au fil du temps. Néanmoins, le
principe du précédent peut parfois être plus strict que le droit codifié. En France, le droit
jurisprudentiel a pour mérite d’avoir su compléter les lacunes de la codification tout en restant
sensible aux voix de la doctrine.

Le législateur a procédé à la multiplication de l’élaboration de régimes
d’indemnisation spécifiques à chaque fois que l’histoire lui a montré les limites de la
réparation en droit commun. La floraison des actions fondées sur le principe général de
responsabilité civile extracontractuelle de l’article 1382 du code civil n’a eu qu’un effet
inflationniste en la matière. La création de régimes spéciaux s’est succédée au fil des années,
laissant un chaos total dans le droit commun de la réparation. Encore fallait-il que le
dommage corporel subi soit éligible à l’un de ses systèmes pour garantir l’indemnisation quasi
automatique de la victime. Si par malheur elle était l’objet du droit commun, cette dernière
était moins favorisée. Le but d’un régime spécifique est d’établir, le plus souvent, une
présomption de causalité entre le dommage et le fait générateur.

Comment ce genre de situation peut-il s’expliquer, voire peut-il être supportable ?

L’émotion publique sur des sujets sensibles tels que la transmission des virus de l’hépatite B
ou le SIDA, les maladies professionnelles de l’amiante, les victimes d’accident de la
circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur, celles d’accident du travail, les patients
atteints de maladies nosocomiales contractées lors d’un séjour dans un établissement de santé,
et bien d’autre encore, n’ont été que des opportunités de légiférer. Le corps est le même pour
tout être humain, il ne doit pas être une source de discrimination en fonction de l’atteinte qu’il
a subi. Il n’y a aucune raison de croire qu’un accident de la circulation doit être réparé plus
grassement qu’une infection iatrogène par exemple. C’est de cette vision que paraît nécessaire
la refonte totale de la chaîne de l’indemnisation du dommage corporel en privilégiant un droit
commun clair et sécurisant pour toutes les victimes. La multiplication des régimes conduit
inévitablement à une insécurité juridique.

64. Disparités des indemnisations allouées dans des cas similaires.

– La critique précédente s’illustre parfaitement dans les jugements et autres transactions en pratique.
Les indemnités varient largement en fonction de la voie judiciaire ou amiable poursuivie. Le fait
le plus déconcertant est de constater la si grande disparité d’indemnisation au sein même de la
procédure judiciaire : la territorialité va influencer le montant de l’indemnisation.

Les référentiels existant permettent d’établir de rapides constatations : « si on regarde ce qui est
alloué en jurisprudence comme somme par rapport à l’âge et par rapport aux taux, on se
rend compte qu’il y a des différentiels très importants. Cela peut varier aujourd’hui de un à
trois en fonction de l’âge, pour un taux équivalent, alors qu’il y a une quinzaine d’années, le
rapport était plutôt de un à deux »(100). Dans un État où le droit est unifié sur l’ensemble des
terres, ce constat est amer pour les victimes. La barémisation a pour volonté de remédier aux
différences ainsi soulevées. Cependant, la pratique se demande si ces référentiels ne seraient
pas « des outils discriminants au regard du prorata temporis et de la durée de vie du préjudice
et des séquelles »101. La refonte d’un tel instrument parait nécessaire pour refléter au mieux
les besoins actuels de la société(102).

65. Évolution scientifique et médicale.

– L’évolution des connaissances techniques et scientifiques ne fait qu’ajouter un argument supplémentaire
au débat partisan de l’abrogation de textes de lois et outils inutiles. Cela ne rend pas service à la
victime de lui voir opposer plusieurs barèmes ou tables de capitalisation pour calculer son préjudice réel.
La tendance est au constat d’un laxisme de la part de l’État dans ses devoirs vis-à-vis de chaque
citoyen. L’État doit optimiser et actualiser ces instruments qui sont pourtant l’essence même
de l’estimation de l’indemnité du dommage corporel.

Ainsi, la barémisation doit pouvoir clarifier le droit applicable en proposant de
nouveaux instruments destinés à la pratique. Ils doivent respecter le statut de la victime et lui
conférer une protection certaine.

99 Guide barème européen d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique, élaboré par le
groupe « Rothley » pour le CEREDOC, p.3.
100 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 : Table
ronde âge et réparation, Gaz. Pal., 2011, n°99, p. 43 et s.
101 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 : Table
ronde âge et réparation, Gaz. Pal., 2011, n°99, p. 43 et s.
102 V. infra.

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