75. Classification.
– Lister l’ensemble des préjudices découlant d’un dommage corporel n’a aucun sens si une classification
préalable n’est pas effectuée(112). La catégorisation est un travail primordial dans l’édification d’une
oeuvre juridique. La nature des postes de préjudices retenus permettra de dessiner l’ossature d’une nomenclature (A).
Quant à la forme retenue dans son ensemble, un choix s’impose (B). La nomenclature élaborée par le groupe de
recherche Dintilhac parait être l’outil de base à étudier… et à améliorer.
A/ Qualification des postes de préjudices réparables.
76. Objectif d’une nomenclature.
– Lors de son discours d’installation du groupe de travail le 28 janvier 2005, Mme GUEDJ,
Secrétaire d’État aux droits des victimes à l’époque, a souligné l’intérêt pratique de la
mission : celui d’élaborer une nomenclature uniforme contribuant à une harmonisation des méthodes
d’indemnisation dans le cadre des différents régimes préexistant.
Cela doit « répondre à l’attente légitime des victimes qui souhaitent toutes une meilleure lisibilité
et prévisibilité de leurs préjudices susceptibles d’être indemnisés »(113). Le groupe de travail a étudié
les attentes des victimes et des professionnels de l’indemnisation pour enrayer la situation de
« foisonnement des postes de préjudices »(114) retenus.
La nomenclature qu’il a établi opère un classement des divers préjudices réparables
qu’il est possible de rencontrer. En 2004, le Médiateur de la République a recommandé une
définition légale des postes de préjudices pour les distinguer clairement. La nomenclature
s’est efforcée de clarifier les concepts et de redéfinir les limites de chaque poste(115).
77. Qualité de la victime.
– Les victimes peuvent être de deux ordres selon la nomenclature Dintilhac : la victime principale
et la victime par ricochet.
La victime principale est la personne qui subit directement un dommage lui causant
un préjudice. Un fait doit nécessairement porter atteinte à son intégrité physique. La victime
est le sujet par excellence de l’indemnisation de cette étude. Elle subira les expertises
médicales préalablement présentées. Les experts déclareront quels sont les préjudices dont
elle souffre, ils fixeront un degré de gravité et le montant du dommage par l’usage d’un
barème médical unique puis l’étape suivante sera celle de l’indemnisation par voie
transactionnelle ou judiciaire.
La victime par ricochet est une personne atteinte à travers la victime principale. Son
préjudice est ainsi indirectement lié au dommage premièrement exposée. C’est l’exemple
d’un parent célibataire se retrouvant dans l’incapacité de travailler suite à un accident, la perte
de revenue affectera ses enfants car leur niveau de vie sera impacté. Les enfants sont donc
considérées comme des victimes par ricochet. Il en est de même pour une épouse dont le mari
a perdu toute autonomie après un accident ; il aura besoin d’une aide à tierce personne et d’un
revenu prenant en compte son handicap au quotidien ; sa femme ne pourra très certainement
pas assumer seule cette lourde charge. La victime par ricochet, comme son nom l’indique, est
une vraie victime indirecte du dommage corporel de la principale.
78. Survie ou décès de la victime.
– La question de la survie de la personne ayant subi un accident est aussi à prendre en considération.
Si la victime principale survit, elle est le sujet de droit indemnisé. Dans le cas où elle décède du
fait du dommage corporel qu’elle a subi, ses ayants-droits détiendront une créance de réparation.
La théorie de la continuité de la personnalité juridique et de la transmission du patrimoine entre en jeu.
La nomenclature permet de délimiter chaque poste de préjudice afin d’éviter toute double réparation d’un
même préjudice.
79. Nature du préjudice.
– La nomenclature DINTILHAC a tranché en faveur d’une distinction entre les préjudices patrimoniaux
de ceux extrapatrimoniaux. Cependant, elle ne distingue pas selon que les postes de préjudice donnent
lieu à prestations ou non pour le recours des tiers payeurs. Cela s’explique par le fait qu’à l’échelle
européenne, la plupart des États a opté pour la distinction entre les préjudices économiques et les préjudices non
économiques.
80. Durée du préjudice.
– Le dommage corporel occasionne des préjudices qui seront temporaires et/ou permanents.
Pour fixer la limite entre ses deux types de préjudice, il convient de se référer à la notion de consolidation
de l’état de la victime. Avant la date de consolidation, les préjudices sont réputés temporaires. Après la
consolidation, si des séquelles persistent pour la victime ou bien qu’elle soit obligée de poursuivre un traitement
médical, les préjudices seront déclarés permanents. La victime n’aura pas la chance d’oublier l’accident
car elle en gardera des traces indélébiles qui méritent une indemnisation particulière. À cela, il
faut ajouter une catégorie à part de préjudice : les pathologies évolutives, telles que la
contamination par le virus de l’hépatite C, du Sida, ou encore l’amiante. Ces dernières ne vont
qu’en s’aggravant dans la durée, leur prise en considération doit être spécifique.
81. Preuve.
– La preuve du préjudice incombe à la victime. Elle peut le prouver par tout moyen. Elle devra démontrer
le lien de causalité entre le dommage corporel et l’accident qu’elle a subi (le fait générateur).
En responsabilité civile extracontractuelle, la preuve est libre. L’expertise permet notamment d’imputer
à l’accident les préjudices soufferts.
B/ Forme de nomenclature retenue ?
82. Évolution probable du droit.
–Dernièrement, la proposition de loi LEFRAND de 2010 prévoit l’officialisation d’une nomenclature
des postes de préjudices réparables pour tout dommage corporel, peu important sa source. Cette édiction
permettra d’établir un équilibre d’appréciation entre les victimes : leurs cas seront étudiés de façon analogue.
Ceprojet s’inspirera très certainement de la nomenclature actuelle.
83. Liste fermée ou ouverte ?
– La nomenclature officielle sera l’outil primaire à l’évaluation même du dommage corporel subi.
Elle s’est efforcée de clarifier les concepts et de redéfinir les limites de chaque poste.
L’édiction d’une liste fermée cantonne les possibilités de réparation de la victime. Les préjudices
qu’elle a subi doivent obligatoirement être inscrits de façon expresse dans la nomenclature pour
que leur indemnisation soit effective. Le choix d’une liste fermée serait ainsi contraire au principe
de réparation intégrale des dommages(116).
L’ajout de nouveaux postes de préjudice à l’avenir doit être envisageable, ne seraitce
que pour une évolution correcte du droit avec la société dans lequel il est appliqué. Le droit
est au service de chacun, il ne faut pas le restreindre sans justification correcte. La
jurisprudence ayant contribuée à la création d’une liste de postes de préjudices réparables, il
paraît normal d’élaborer une nomenclature officielle sous la forme d’une liste ouverte.
D’ailleurs, la nomenclature DINTILHAC est une liste ouverte. La proposition de loi LEFRAND
recommande aussi une liste ouverte des postes de préjudices réparable en expliquant que
« l’objectif est de fixer une nomenclature de base issue de la nomenclature Dintilhac, qui
s’imposera à tous, mais sans empêcher d’ajouter ultérieurement de nouveaux chefs de
préjudices »(117).
84. Pouvoirs d’appréciation du juge.
– Si la nomenclature est officialisée par voie législative ou par voie réglementaire, elle aura
pour effet de lier le juge. Cela va-t-il avoir un impact sur son appréciation ?
Peut-elle être remise en cause ? Le droit essentiellement prétorien actuellement. La doctrine
rappelle les « difficultés particulièrement grandes, dues notamment aux divergences d’appréciation des diverses
formes d’incapacité, temporaire ou définitive »(118). L’article 5 du code civil interdit les arrêts de règlement,
c’est ainsi que la Cour de Cassation a décidé que « les juges du fond ne sauraient se référer, dans une espèce
déterminée, à des règles établies à l’avance pour justifier leur décision »(119) sans toutefois
exclure leur possibilité de se référer à un barème à titre indicatif.
L’article 6 de la proposition de loi LEFRAND laisserait au juge sa liberté d’expression.
Donc le juge va utiliser la nomenclature comme cadre commun d’évaluation pour ordonner la
mission de l’expert et pour fixer le montant d’indemnisation des différents postes dans son
jugement. Le choix d’une liste ouverte des postes de préjudices autorisera le juge à demander
l’étude d’un préjudice non listé et d’en faire un poste d’indemnisation au final.
85. Compétence d’édiction.
– La proposition de loi LEFRAND propose à l’article 6 de fixer par décret en Conseil d’État une
nomenclature non limitative. Elle sera d’application horizontale et elle pourra être « périodiquement
adaptée en fonction de l’évolution des connaissances médicales »(120).
Une nomenclature des préjudices réparables donne une ossature solide pour élaborer
l’évaluation de l’atteinte de la victime. Certaines notions sont fondamentales pour sa
construction.
109 Travail initié par Mme le professeur LAMBERT-FAIVRE dès 2003, concrétisé par le groupe de travail
dirigé par M. DINTILHAC en 2005.
110 V. supra, n° 33 et s.
111 Pour un exemple de discordances d’appréciation jurisprudentielles de la notion de DFP de la
nomenclature DINTILHAC, V. Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4
février 2011 : Table ronde âge et réparation, Gaz. Pal., 2011, n°99, p. 43 et s.
112 Cette étude ne fera pas l’énumération des divers postes de préjudices retenus dans la nomenclature
Dintilhac. Pour la liste complète accompagnée de ses définitions, V. Annexe n° 1.
113 Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporel, La
documentation française, Juillet 2005, p. 1. Le rapport est téléchargeable sur le site internet de la Documentation
Française.
114 Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporel, La
documentation française, Juillet 2005, p. 2.
115 Pour une liste complète des postes de préjudices, V. Ph. CASSON, Dommages et intérêts, Rép. Civ.
Dalloz, 2009, n°53 et s.
116 V. supra n° 15 et s.
117 Rapport LEFRAND à l’Assemblée Nationale n°2297, p. 30.
118 T. TERRÉ, Ph SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 901.
119 Cass. Crim. 4 février 1970, D. 1970.333 par exemple.
120 Rapport LEFRAND à l’Assemblée Nationale n°2297, p. 30.
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