Les défis de la sécurité au sahel ont des répercussions sur le développement de la région (A) qui par ailleurs se trouve confronté au problème de l’état de droit (B).
A- Les répercussions sur le développement du sahel
Les défis de la sécurité au sahel sont causes de recul de l’Etat en tant que prestataire de services publics (1). De même, ils entravent l’essor de l’activité économique (2).
1- Le recul de l’Etat en tant que prestataire de services publics
De manière générale, l’Etat au sahel démontre une faible capacité à mobiliser les ressources matérielles, humaines et financières. Cet état de fait est en partie imputable à l’incivisme et à l’ignorance pour répondre à tous les besoins en services publics, tant en termes de quantité que de qualité. Au regard des divers menaces aussi bien internes qu’externes qui pèsent dans la région sahélienne, les agents de l’administration sont réticents à servir dans cette région. Parmi ceux qui sont affectés, certains se battent des pieds et des mains pour être mutés. Ce mépris pour la région est accentué par les idées reçues sur l’hostilité de la région. Ce faible attrait de la région a pour conséquence une faible dotation des services en ressources humaines, ce qui ne permet pas un fonctionnement optimal des services. L’insuffisance des ressources ne permet pas aux services publics de se rapprocher des populations. Cette situation contribue à maintenir, voire agrandir le fossé entre l’administration et les populations et réduit de ce fait la demande des services publics.
La faible densité de peuplement et la forte mobilité des populations dans cette bande désertique rendent difficile et coûteux tout effort visant à réduire les distances d’accès aux services sociaux. A ceci s’ajoute le fait que l’analphabétisme, l’ignorance et l’incivisme amènent les populations à ne pas honorer leur devoir fiscal privant ainsi l’administration, notamment déconcentrée, de ressources pour investir. De manière générale, la mauvaise gouvernance ne permet pas de conduire des politiques économiques judicieuses et orientées vers le développement.
Les menaces sécuritaires conjuguées à l’éloignement des services sociaux constituent un frein à la demande de services publics de la part des populations du sahel. En effet, au regard de l’éloignement des services publics et du fait de la montée du banditisme, les populations courent le risque de se faire agresser en s’y rendant. A cela s’ajoute les pesanteurs socioculturelles et les croyances qui constituent des obstacles à la fréquentation des services publics. L’intégrisme religieux qui tend à opposer l’enseignement public aux valeurs de la religion musulmane, amènent plusieurs parents à préférer l’école coranique non formelle où les enfants sont censés recevoir un enseignement conforme à la loi islamique. Les croyances et pesanteurs socioculturelles(404) en conduisant à la déscolarisation prématurée(405) contribuent aussi à réduire la demande en matière d’enseignement. La méconnaissance par les populations sahéliennes de leur droit, notamment socio-économique ne leur permet pas de les revendiquer et d’amener l’administration à déployer les efforts pour le respect de ces droits.
De même, les prestations des services sociaux de base ont souvent aussi été la cause de la désertion de ces services par les populations. En matière de santé par exemple, il ressort que dans la région du sahel, les coûts sont l’un des motifs de la non fréquentation des services de santé. La corruption, en renchérissant les coûts d’accès aux services sociaux, en évince les plus pauvres qui n’ont pas les moyens pour en payer le prix. Par ailleurs, le sentiment de spoliation qu’ont les populations vis-à-vis de certains services les amène à s’en éloigner. Le faible développement des infrastructures rend inaccessible certains services dans certaines localités surtout en saison de pluie. Pareil pour le réseau routier qui, de part sa faiblesse entrave la communication, la connexion entre les villes, les localités et empêche de ce fait, l’essor du développement de la région.
2- L’essor de l’activité économique entravé
La prédominance de l’analphabétisme au sein de la population active joue négativement sur l’offre de travail qualifié dans la région. De ce fait, plusieurs opportunités d’emplois qu’offrent les projets réalisés dans le sahel dans le secteur des mines par exemple ne peuvent pas être saisies par les populations. Les postes d’agents publics leurs échappent également. Or, dans plusieurs domaines, l’affectation d’agents originaires de la région qui connaissent les us et coutumes des populations aurait pu constituer un atout majeur et faciliter l’adhésion de ces structures par les populations. Elle aurait permis également de mettre en avant des hommes et femmes modèlent, ce qui serait très intéressant en termes d’incitation à la scolarisation. L’incapacité des populations locales à saisir les opportunités d’emplois dans l’industrie minière est cause de frustrations au sein de ladite population et constitue de ce fait une menace pour une exploitation sereine des ressources minières.
La production minière est également très touchée par les problèmes sécuritaires dans la région du sahel. En effet, les sociétés industrielles sont le plus souvent entre l’enclume des revendications, vandalisme des populations et le marteau du banditisme et de la rébellion. Ces revendications, vandalismes sont exacerbés non seulement par l’analphabétisme ambiant et l’ignorance des populations mais aussi et surtout par la mauvaise gouvernance des acteurs locaux. Ainsi, dans certaines localités les ressources mises à la disposition par les sociétés minières ne sont pas souvent exploitées à bon escient. Et ceux-ci sont vus dans l’imagerie populaire comme des voleurs, des pilleurs qui exploitent les ressources sans contrepartie.
Le tourisme est l’un des secteurs qui souffre le plus des défis sécuritaires. En effet, la déclaration de cette bande sahélienne comme zone infréquentable a eu pour effet un abandon de la zone comme destination touristique. Aussi plusieurs guides touristiques ont-ils été contraints de se reconvertir dans d’autres domaines s’ils ne sont pas simplement retournés au chômage. Si jusqu’à aujourd’hui AQMI et d’autres groupes terroristes n’ont pas encore commis le moindre attentat aveugle dans aucun des trois pays sahéliens (Mali, Niger, Mauritanie) les plus exposés au menace, l’organisation s’est limitée à attaquer que des intérêts français dans la majorité des cas. Malgré le fait que les services de sécurité ont parfois su les déjouer à temps, les trois pays ont été classés en zone rouge pour la majeure partie de leur territoire et orange pour le reste. Le tarissement du tourisme qui a résulté des mesures prises par certains Etats a été une catastrophe économique et sociale pour les populations de la région qui en tiraient jusque là des ressources essentielles. Les actions de coopération au développement qu’assuraient certains ONG ont également été touchées à cause de la menace terroriste. Plusieurs ONG ont donc dû se retirées ou ont été amenées à réduire leurs activités au sahel.
L’insuffisance des infrastructures hydro-agricoles et pastorales contribue aussi à inhiber l’essor des deux activités principales des localités qui font l’agriculture et l’élevage. La faiblesse des capacités financières de l’administration publique (centrale et locale) ne lui permettent pas de jouer son rôle d’impulsion du développement par la création des infrastructures nécessaires pour le développement des potentialités, nombreuses, de la zone.
Les populations agricoles et pastorales sont menacées d’une part, par le banditisme mais aussi par les conflits internes (fonciers notamment) qui découragent certains exploitants à faire des investissements significatifs et durables pour valoriser le potentiel foncier. Les régions agricoles du Sud constituent depuis longtemps la zone utile des actuels Etats de la bande sahélienne, ce qui contribue à limiter l’intérêt des gouvernements pour les régions dépourvues et peu peuplés du Nord. Compte tenu de l’impossibilité d’augmenter les disponibilités hydrauliques et alimentaires, l’accroissement démographique des populations de la frange saharo-sahélienne engendre ou aggrave des pénuries. Les ressources limitées et aléatoires des Touaregs privent ceux-ci de toute possibilité de dégager des surplus leur permettant d’accumuler les capitaux, donc d’investir et de bâtir une économie plus efficace(406).
L’échange est en permanence inégal entre les Touaregs et les marchands du Sud (Mali, Niger), au détriment des premiers(407). La rente des matières premières fait l’objet d’une redistribution inégale, insuffisante ou inexistante en direction des populations locales. Les trafics et activités terroristes accréditent les discours visant à criminaliser tout ou partie des habitants de la région. Surtout que ces derniers ne sont pas réellement intégrés dans les Etats dont ils sont ressortissants et qui se disent Etat de droit.
B– Le problème de l’Etat de droit : un Etat de droit fragilisé
La promotion de l’Etat de droit aux niveaux national et international s’inscrit au cœur de la mission de l’organisation des Nations Unies. Il est indispensable de respecter l’Etat de droit si l’on veut instaurer une paix durable au sortir d’un conflit, assurée efficacement la protection des droits de l’homme et réaliser les progrès économiques soutenus et le développement. C’est pourquoi les Nations Unies ont déclaré 2012, année de l’Etat de droit. Or, au sahel, il existe des obstacles à l’affirmation de l’autorité de l’Etat (1) et une faible garantie des droits humains (2).
1- Les obstacles à l’affirmation de l’autorité de l’Etat de droit
L’Etat de droit est un système institutionnel dans lequel toutes les personnes morales (publiques ou privées) et physiques sont soumises à la règle de droit. Pour avoir une portée pratique, le principe de l’Etat de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l’existence de la hiérarchie des normes, et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques. Dans un Etat de droit, l’Etat dont la fonction de régulation doit être affirmée et légitimée, s’applique à respecter les droits humains.
Dans le sahel ou du moins dans certains Etats du sahel, l’insuffisance des ressources humaines et matérielles empêche les services publics de fournir des prestations de qualité, d’être proche du citoyen et de lui réserver un accueil satisfaisant. Les ressources humaines et matérielles de l’Etat sont en deçà de ce que celui-ci devrait mettre en œuvre pour un meilleur fonctionnement des institutions républicaines. Le personnel de l’administration publique est en nombre insuffisant car, nombreux sont ceux-là qui ne souhaite pas rejoindre le Nord. En effet, dans la mentalité de l’agent et même de l’administration centrale, être affecté au Nord équivaut à une sanction disciplinaire. Les agents en poste dans les régions du Nord du sahel doivent faire face à des conditions climatiques difficiles, au manque de moyens, et sans aucun avantage en retour. En outre, ils éprouvent un complexe d’infériorité par rapport à leurs homologues du Sud qui semblent nettement mieux équipés. Les principaux défis en matière de ressources humaines et matérielles sont la construction de routes et /ou leur entretien, la dotation des services en véhicules automobiles adaptées, l’affectation d’un personnel suffisant et adapté, et la création des services compétents pour chaque administration.
L’autre fait majeur, est la faible participation à la vie publique et la mauvaise gouvernance. Les populations du sahel ont le sentiment d’être abandonner par l’Etat. Ainsi, celles-ci se sentent insuffisamment ou pas du tout impliqués dans les politiques de développement. De plus, les différentes politiques de développement ne prennent pas en compte les aspirations des habitants. Concernant les habitudes culturelles des populations de ces régions, les populations du sahel sont assez réservées de nature et la communauté joue un rôle primordial. Culturellement, la famille et le groupe social sont sollicités en premier dans le règlement des conflits. Ces habitudes culturelles et le souvenir toujours persistant du passé colonial, avec tous ses traumatismes et violations des droits humains, rendent les populations méfiantes et réticentes vis-à-vis de l’administration publique qu’elles considèrent comme une continuation de l’administration coloniale qui ne prend pas en compte leur réalité culturelle. Cet ensemble de données explique cette réticence ou même ce refus de collaboration avec l’administration publique. Par ailleurs, les populations du sahel sont aussi réfractaires à l’égard des étrangers. Les populations du Mali et du Niger, ayant une même frontière commune et partageant les mêmes habitudes culturelles et religieuses se sentent plus proches et considèrent les autres (Mauritaniens, Burkinabè etc.) comme des étrangers.
Le défi sera donc de travailler à instaurer une confiance entre l’administration et les citoyens, de travailler à une administration véritablement républicaine dans laquelle chaque citoyen se sent concerné et pris en compte. Il faudrait également travailler pour que la confiance naisse entre l’administration publique et les populations en les impliquant davantage dans l’élaboration et l’application des politiques de développement. Cela contribuerait à diminuer la corruption des agents publics de l’Etat qui est une réalité dans les régions du sahel et à garantir les droits humains des populations sahéliennes qui restent fragilisées dans cette région.
2- La garantie des droits humains : une mise en œuvre limitée
Les populations du sahel estiment globalement satisfaisantes la garantie et l’effectivité des droits civils et politiques, même si elles notent quelques insuffisances. Cependant, le véritable défi réside dans la garantie par l’Etat des droits économiques et sociaux, l’Etat ne mettant pas en œuvre des politiques publiques efficaces permettant aux populations de jouir de ces droits. De ce fait, l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas assurés aux populations du sahel. Or tous les droits humains sont égaux et interdépendants. Un droit non garanti va avoir nécessairement des répercussions sur les autres droits.
Au sahel, il existe un faible accès à la justice. Le droit d’accès au juge dans les localités de cette région n’est pas encore effectif pour tous du fait de l’éloignement de celui-ci du justiciable ; d’autre part, les juridictions n’ont pas de moyens pour tenir des audiences foraines. C’est un fait que la justice est éloignée du justiciable dans les régions du sahel et si elle existe, celle-ci n’offre pas aux justiciables tous les services qu’elle est censée offrir. D’abord, les distances à parcourir par les populations de ces régions pour accéder à un tribunal sont importantes. Ensuite, l’accès des populations des régions du sahel aux services d’un avocat est quasi impossible ou très coûteux du fait qu’ils ne sont établis que dans les grandes villes du pays. Il n’y a pas de cabinet d’avocat dans les régions du sahel, ce qui constitue une entrave au droit de la défense garanti par la constitution dans la mesure où l’assistance d’un conseil est obligatoire pour certaines procédures telles que les affaires criminelles, les mineurs poursuivis au pénal ou le pourvoi en cassation. Cette situation a pour conséquence les coûts trop élevés de la justice.
L’information juridique et judiciaire est inaccessible aux populations des régions du sahel qui le plus souvent ne font pas confiance en leur justice. Pour cette raison, les populations du sahel recourent souvent aux services d’intermédiaires supposés à tort ou à raison mieux connaître le système, une pratique qui engendre la corruption et le trafic d’influence. La langue française utilisée par exemple au Mali et au Niger lors des procès n’est pas comprise des populations du Nord qui pour la plupart sont analphabètes. Les décisions de justice rendues sont rarement exécutées et les auteurs d’infractions ne sont pas souvent sanctionnés. Le boom minier dans le Nord de certains Etats du sahel comme le Niger avec l’exploitation minière a développé une insécurité dans toute la région. Elle se manifeste par des attaques à main armée, la vente et la consommation de stupéfiants dans la région etc. La police judiciaire dispose de peu de ressources pour enquêter efficacement sur les crimes commis et arrêter leurs auteurs. De plus, par peur de représailles, les populations refusent ou ont peur de dénoncer les criminels. La prison rencontre par ailleurs de sérieux problèmes d’adaptation social dans les régions du sahel. Institut méconnue dans les traditions, la prison est considérée comme une importation coloniale et est perçue comme un lieu d’humiliation et non d’insertion sociale. Et l’Etat s’avère incapable d’assurer l’effectivité des droits des détenus.
De même, les droits de la femme et de l’enfant restent l’un des enjeux pour le sahel notamment dans les zones du Nord des pays comme le Mali, le Niger et la Mauritanie. Les femmes et les enfants sont les personnes les plus vulnérables dans les régions du sahel. Ainsi, ils voient leurs droits fréquemment violés. La plupart de ces violations sont le fait de personnes privées. Les mariages forcés et précoces sont par exemples très courants. La jeune fille est donnée en mariage à l’âge de 11-12 ans, parfois même 7 ans. Le mari est chargé de son éducation. Cette pratique entraine une forte déperdition sur le plan scolaire et, chaque année, on estime à plus de 60% les jeunes filles qui abandonnent l’école primaire. La pratique du lévirat subsiste aussi obligeant la veuve d’épouser le frère de son mari décédé. A cela s’ajoute l’excision, couramment pratiquée dans le Nord du Mali et du Niger. Les femmes participent peu à la vie publique. Malgré la présence de femmes parmi les élus locaux de la région sahélienne, le constat demeure qu’elles restent peu représentées dans la gestion des affaires locales. Cette situation est due aux pratiques culturelles et aux mentalités des populations de cette zone.
Le défi sera donc de doter la région sahélienne des moyens suffisants permettant de garantir la dignité humaine, la sécurité et de permettre la scolarisation et l’éducation des filles en particulier. En plus de tout cela, le développement économique est un véritable défi pour la sécurisation de cette région.
404 Selon les perceptions, un mariage précoce protège des grossesses non désirées et partant des risques de honte pour les familles.
405 Dans certains établissements, il a été enregistré au cours d’une année le retrait de plus d’une dizaine filles du CM pour cause de mariage.
404 Selon les perceptions, un mariage précoce protège des grossesses non désirées et partant des risques de honte pour les familles.
405 Dans certains établissements, il a été enregistré au cours d’une année le retrait de plus d’une dizaine filles du CM pour cause de mariage.
406 Patrice GOURDIN, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d’une menace complexe », www.diploweb.com, le 11 mars 2012.
407 Patrice GOURDIN, Ibid.
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