De manière semblable aux autres armes de destruction massive, la communauté internationale est depuis longtemps soucieuse de se protéger contre l’usage de substances chimiques en toutes circonstances, y compris dans les CANI(15). Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) rappelle d’ailleurs – dans l’affaire Tadic – qu’il est évident qu’un consensus général se soit progressivement dégagé sur le principe de l’interdiction de l’emploi de ces armes dans les conflits armés internes(16). Cette menace de destruction massive dans les conflits armés – perçue dès le XIXème siècle – engendre alors un premier accord international concernant les lois et coutumes de la guerre. En 1874, la Convention de Bruxelles interdit l’emploi de poison et d’armes, de projectiles ou de matériels causant des souffrances inutiles. L’utilisation de gaz asphyxiants ou délétères fût, quant à elle, prohibée par la Convention de La Haye de 1899(17).
Malgré ces traités, la Première Guerre mondiale fût marquée par le recours massif à l’arme chimique sur les champs de bataille, provoquant un choc émotionnel particulièrement puissant. Cet emploi de gaz favorisa alors des initiatives de limitation de son usage pendant l’entre deux-guerres ; initiatives qui se retrouvèrent notamment au sein du Traité de Versailles, lorsque certaines dispositions indiquaient l’interdiction à l’Allemagne de fabriquer, de détenir ou d’importer de telles armes.
Toutefois, c’est en 1925 – sous l’impulsion des Etats-Unis et de la Société des Nations – que ces réflexions ont abouti à une prohibition relative des armes chimiques, avec la signature du Protocole de Genève(18). La mise au point, la fabrication ou la possession de ces armes étant toujours autorisées, l’accord souleva rapidement un manque de crédibilité, notamment sur l’absence de volonté réelle des Etats signataires de les interdire de manière concrète. En effet, de nombreuses réserves furent émises, ce qui permis à certains Etats membres de les utiliser contre des pays non membres ou de riposter par l’arme chimique en cas d’attaque similaire.
Alors que ces armes furent ignorées lors de la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies décidèrent, entre temps, de les inclure dans la catégorie des armes de destruction massive. Ce n’est qu’au milieu des années 1960 – après que les américains eurent employé des défoliants pendant la guerre du Viet Nam – que cette problématique réapparut comme préoccupation internationale, sans toutefois entrainer de réelles solutions. Au fil des ans, les allégations d’emploi d’armes chimiques ne firent que se multiplier. Même si les cas confirmés ont largement été dénoncés par la communauté internationale – comme l’utilisation de gaz par la Russie en Tchétchénie, par l’Irak en Iran ou encore par le Soudan contre les groupes d’opposition armés, etc. – l’impunité est réelle et ce, en dépit du fait que « utiliser des gaz asphyxiants, toxiques ou assimilés et tous liquides, matières ou engins analogues » (19) soit inscrit dans le Statut de la CPI comme crime de guerre sur lequel la Cour a compétence.
Nonobstant, ce n’est qu’après la fin de la Guerre Froide, que de nombreuses négociations – notamment lors de la Conférence de Paris – eurent lieu pour obtenir la signature d’un traité international crédible sur l’élimination et l’interdiction de l’emploi de tels agents dans le cadre militaire. Le 13 janvier 1993 à Paris, la CIAC – incluant pour la première fois un régime de vérification – fût ouverte à la signature avant d’être déposée auprès du Secrétaire général des Nations unies et d’entrer officiellement en vigueur en 1997.
Cette Convention est actuellement, l’outil le plus performant et le mieux à même de répondre aux nouveaux dangers contemporains, même si certaines lacunes demeurent. Seuls six Etats ne l’ont toujours pas ratifiée(20), la Syrie venant tout juste d’y adhérer en octobre 2013.
S’appliquant en toutes circonstances – y compris dans les conflits armés internes – elle instaure un cadre spécifique sur le désarmement multilatéral (en s’appuyant notamment sur le Protocole de Genève de 1925) et lutte activement contre la prolifération des armes chimiques. Elle prévoit ainsi leur destruction qu’elles soient présentes ou abandonnées sur le territoire des Etats parties et ce, dans un délai de 10 ans, mais également le non recours à l’utilisation d’agents de lutte antiémeute en tant que moyen de guerre. Aucune dérogation et/ou réserve n’étant tolérée, il est donc illicite aujourd’hui d’employer des substances chimiques pour riposter à l’emploi de telles armes par un autre Etat, contrairement à ce qui avait été admis par la Convention de 1925. Toutefois, son universalisation dans sa mise en oeuvre reste la principale limite. En effet, beaucoup trop Etats membres n’ont toujours pas transposé l’ensemble des dispositions de la Convention dans leur législation interne.
Concernant le régime de non-prolifération établi par la Convention de 1993, les Etats parties peuvent « mettre au point, fabriquer, acquérir, conserver, transférer et utiliser des produits chimiques »(21) à partir du moment où ces activités sont réalisées à des fins de nature civile. La Convention prévoit, par ailleurs, la possibilité de transformer certaines installations industrielles de fabrication d’armes chimiques, en installations civiles.
Outre ces mesures, la CIAC possède également différents outils sanctionnant les manquements à ses dispositions. Elle prévoit notamment la possibilité de mesures coercitives et, le cas échéant, de saisine de l’AG et/ou du CS des Nations Unies, s’il s’avérait qu’un Etat partie ne respectait pas les termes de la présente Convention. Elle peut aussi mener des enquêtes sur le territoire d’Etat signataire, après avoir entendu les allégations d’utilisation d’agents chimiques en tant que moyens de guerre par un autre État partie.
En tout état de cause, certains outils de mis en oeuvre sont nécessaires pour que l’ensemble de ces dispositions conventionnelles fonctionnent de manière entièrement autonome.
15 CIAC (1993), art. premier, par. 13.
16 TPIY, Le Procureur Dusko Tadic, alias « Dule », 2 octobre 1995. Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence.
17 Convention de La Haye (1899), vol. II, ch. 24, §1.
18 Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, Genève, 17 juin 1925.
19 Statut de la CPI (1998), art. 8, par. 2, al. b.
20 Selon l’OIAC, la République populaire démocratique de Corée, le Sud Soudan, l’Angola et l’Egypte sont les 4 Etats qui n’ont ni signé, ni ratifié la CIAC. Israël et Myanmar l’ont, quant à eux, pas encore ratifié. Disponible sur : www.opcw.org/fr/a-propos-de-loiac/etats-non-membres/.
21 Convention sur l’interdiction des armes chimiques (1993) article VI, alinéa 1 spécifiant les activités non interdites par la présente Convention.