Dans la pensée trotskiste, en effet, les riches et les puissants, à savoir les bourgeois et les capitalistes, doivent être politiquement et économiquement expropriés, c’est-à-dire privés de leurs droits civiques et politiques, et dépossédés de leurs biens matériels (on pense généralement aux propriétaires terriens de grands domaines). Ce concept d’expropriation, trouve le début de son application durant la Révolution d’Octobre, mais c’est bien durant la guerre civile russe, qu’il atteint son point culminant. Pour illustrer notre exemple, nous avons choisi de nous pencher sur le cas des Comités de la pauvreté paysanne, créés dans le but d’exproprier les koulaks, paysans riches de Russie et grands propriétaires terriens, afin de redistribuer leurs terres aux paysans pauvres, désormais maîtres des campagnes russes. Ces Comités de la pauvreté paysanne, sont fondés en juin 1918, et sont effectifs six mois durant : « Les Comités de la Pauvreté Paysanne vécurent près de six mois, de juin à décembre 1918 »75. Ces Comités de la pauvreté paysanne, non seulement créés dans le but d’exproprier les koulaks, ont également un but d’éducation. Ils servent à faire naître la méfiance et la défiance des paysans pauvres à l’égard des paysans riches, à leur donner à s’interroger sur le monde les entourant ; habitués à la misère et à 33
l’oppression, ces paysans pauvres ont ici la possibilité de voir les choses autrement, et de se rebeller afin de basculer la situation à leur avantage, contraignant les koulaks à leur céder le pouvoir et leurs récoltes, tout en déjouant les stratagèmes de contournement par ces derniers de la politique bolchevique : « Le pouvoir des Soviets tendait naturellement à faire peser tout le poids de l’impôt du ravitaillement sur les riches des campagnes. Mais dans les relations sociales amorphes de la campagne, les paysans cossus et influents, habitués à mener les paysans moyens, trouvaient aisément des stratagèmes pour repousser les charges de l’impôt à la large masse paysanne et les rendre ainsi hostiles au pouvoir des Soviets. Mettre en défiance les masses paysannes, éveiller leur hostilité à l’encontre des « gros », s’imposait. Les Comités de la Pauvreté Paysanne servirent à cela. Ils se créaient dans les bas-fonds de ceux qui avaient été autrefois écrasés, effacés, repoussés à l’arrière-plan, privés de tout droit »76. Ainsi, nous enseigne Trotski, ces Comités de la pauvreté paysanne deviennent de véritables groupes d’assaut à l’encontre de ces paysans riches que sont les koulaks, et exercent une véritable terreur à leur encontre. Ils sont appuyés par le pouvoir gouvernemental, qui envoie dans les campagnes des ouvriers compétents pour les diriger. Par ailleurs, ces Comités de la pauvreté paysanne symbolisent par excellence l’idée que se fait Trotski de la dictature du prolétariat, phase de transition du capitalisme vers le socialisme appuyée par la coercition et la terreur, dans le but de faire capituler les ennemis de la classe ouvrière, et les contraindre à appuyer d’une aide forcée la construction du socialisme : « Le seul fait de la remise du pouvoir dans les campagnes à la paysannerie pauvre avait une profonde signification révolutionnaire. Afin de diriger les semi-prolétaires de la campagne, le Parti y envoyait des ouvriers avancés qui accomplissaient un travail inappréciable. Les Comités de la Pauvreté Paysanne devinrent contre les paysans cossus de véritables groupes d’assaut. Appuyés par le pouvoir gouvernemental, ils mirent par cela même, les couches moyennes de la classe paysanne en demeure de choisir, non seulement entre le pouvoir des Soviets et celui des propriétaires, mais encore entre la dictature du prolétariat et des éléments à demi prolétariens de la campagne et l’arbitraire des riches »77. 34
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