Les Comités de Probation et d’Assistance aux Libérés (CPAL) étaient, avant 2001, installés au sein des Tribunaux de Grande Instance de chaque juridiction. Les déménagements des SPIP dans leurs locaux propres ont marqué l’apparition d’une hiérarchie autrefois constituée par les JAP en milieu ouvert et par les chefs d’établissement en milieu fermé.
Le rapprochement territorial d’avec les acteurs du droit commun en matière d’insertion est alors souhaité :
F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d’ancienneté
: « L’idée, c’est de dire que le travail des SPIP se situe en total lien avec les politiques publiques de droit commun et donc sur un ancrage territorial, le département qui correspond à une identité administrative, donc l’existence et la création d’un partenariat avec les différents acteurs.
L’idée, c’est que le service est le même dedans dehors ; enfin, l’idée qui a été portée à ce moment là, parce que c’est pas exactement la cas ; mais l’idée c’est que les missions des SPIP, pour le SNEPAP ne sont pas fondamentalement différentes, qu’on soit en milieu ouvert ou en milieu fermé ; l’idée, c’est d’assurer une continuité d’action parce que le boulot du SPIP est quand même principalement orienté vers l’extérieur; le travail que se passe à l’intérieur n’est pas un boulot de gestion de la détention, le SPIP doit être totalement tourné vers l’extérieur et notamment que le partenariat développé en milieu ouvert doit être le même que celui développé en milieu fermé ; les problématiques sont les mêmes et l’objectif est bien de préparer la sortie des personnes, donc d’être dans une logique un peu similaire et un peu identique ».
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté
: « Après, c’est pas une création ex nihilo, puisque existaient les CPAL depuis 1958, les comités d’assistance et d’aide aux libérés, la création en 1999 est dans la continuité de ces comités, même s’il y a des différences de taille, puisque le SPIP est sorti du giron, pas du Ministère de la Justice mais en tout cas de l’autorité judiciaire ; je pense que c’est une extrêmement bonne chose qu’un service pénitentiaire soit créé et qu’il ne soit plus sous l’autorité des magistrats parce que ça permet de pas avoir un seul commanditaire, pas un seul juge et parti ; voilà, comme dans un jugement dans un tribunal, et qu’on se retrouve avec, il y un magistrat instructeur qui est en charge, par exemple d’un aménagement de peine, et c’est pas lui qui va être décideur du début jusqu’à la fin de la proposition, à l’acceptation de la direction dans laquelle aller. Le SPIP, de ce fait là; est autonome, autant que faire se peut, en tout cas le fait de le créer et qu’il ne soit plus sous l’hégémonie du pouvoir judiciaire ; je trouve que, voilà, ça offre un contre pouvoir et une proposition et une richesse qui me semble importantes».
Il semble donc que l’autonomie des SPIP vis-à-vis des magistrats et des chefs d’établissement soit reconnue par les CPIP ayant une expérience plus récente. Cette notion d’autonomie, comme indice de professionnalisation, reste cependant à relativiser.
En effet, selon Catherine PARADEISE, «l’autonomie n’est ni nécessaire, ni spécifique aux professions établies : il faut toujours une loi, un jugement pour construire la délégation de puissance publique qui fonde l’autonomie professionnelle» [LE BIANIC, VION, 2008, p289]. Ainsi FREIDSON, analysant plus particulièrement les relations entre l’État et les professions, sur la base de ses propres recherches sur les médecins, conçoit que cette autonomie ne va pas de soi : elle est en quelque sorte « concédée » par l’État qui délègue à une profession le monopole de la définition légitime d’un secteur de la vie sociale.
Le professionnalisme ne peut donc exister que s’il est adossé à un système sociopolitique plus large qui lui permet de s’épanouir. Une profession, bien qu’autonome sur le plan de ses actes techniques, ne l’est pas dans la définition de ses orientations socio-économiques : «Alors que les professions, contrairement à d’autres activités, contrôlent leur propre travail et peuvent donc être considérées autonomes dans la division du travail et dans leurs marchés, du travail, elles dépendent du pouvoir coercitif de l’État qui soutient cette autonomie. Elles sont autonomes dans leur propre domaine économique mais pas dans la société dans son ensemble car elles dépendent de l’État qui leur délègue du pouvoir » [FREIDSON, 2001, p133].
De fait, les SPIP dépendent des politiques pénales et des décisions des magistrats pour mettre en oeuvre les mesures de justice et gérer les flux de mesures prises en charge. Cette rhétorique de l’autonomie fonctionnelle trouve là une limite importante, même si elle trouve un écho chez une majorité de « jeunes » CPIP interrogés :
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d’ancienneté
: « J’ai eu une courte expérience des SPIP au TGI, quand j’étais élève et stagiaire dans le Val d’Oise et mon premier poste, c’était à Meaux ; c’est pareil, on est resté un certain temps, les locaux étaient exigus et puis, on est parti, et c’était très bien comme ça, c’était beaucoup mieux ; parce qu’avoir le juge en permanence, là, au bout du couloir, alors, il y avait une proximité : c’est vrai, on pouvait le voir si on avait un souci, tout ça mais c’est vrai que c’était pas gérable, on comprenait rien : la salle d’attente c’était la même pour le juge que pour le SPIP, c’était le même couloir, on avait les bureaux à côté, le secrétariat du SPIP et le secrétariat du JAP se partageaient le même, c’est vrai que c’était vraiment beaucoup plus rapide, mais bon, moi, je préfère qu’il y ait une séparation physique parce que j’ai l’impression que les juges n’avaient pas lâché l’affaire, quelque part, le truc d’être nos supérieurs hiérarchiques, et ça, j’aimais pas du tout ».
F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d’ancienneté
: « L’idée, c’est que le service est une entité autonome, bien évidemment en lien avec les autres et notamment en lien avec le judiciaire ; ça, c’est complètement évident, mais il doit définir sa façon de faire de manière propre, sa compétence de manière propre, son identité de manière propre et non pas sur autorisation ou sur instruction, ou sur directive d’une instance autre qui est le magistrat. »
Il s’agit, là, d’un deuxième clivage générationnel entre les CPIP qui perçoivent la création des SPIP comme garants de l’indépendance des CPIP vis-à-vis des magistrats, et ceux percevant la hiérarchie comme une entrave à leur autonomie dans les contacts avec les partenaires, notamment.