La mise en oeuvre des PPR s’est effectuée progressivement, service par service, en laissant une grande autonomie d’action locale afin de mettre en oeuvre les directives de l’Administration Centrale.(38) Parmi les neuf personnes interrogées, on note une proportion d’assistantes de service social, ou d’anciennes assistantes sociales devenues CPIP, nettement plus importante que dans le groupe professionnel des CPIP dans leur ensemble (44% contre 9%). Nous ne pouvons savoir si ce fait notable se vérifie à l’échelle de tous les SPIP.
Le principe de ces groupes de paroles est de s’appuyer sur la dynamique de groupe pour aborder des thématiques parfois laissées de côté en entretien individuel :
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d’ancienneté
: « On leur demande de raconter leur vie sur une espèce de frise chronologique, on leur demande de nous parler de 5 ou 6 événements marquants de leur vie, positifs et négatifs, et de nous dire s’il y avait des choses exceptionnelles au niveau de leur famille ou dans leur vie pour leur montrer que certains événements de leur vie ont permis le passage à l’acte et de fait c’est vrai.
On pensait faire une séance là-dessus, voire une séance et demi ; et on a fait avec 8 personnes et on va faire une troisième séance tellement ils ont des choses à dire ; donc, les séances, on les construit et on les adapte selon le groupe, son rythme propre ».
Il existe ainsi une autonomie dans la conception des séances, leur enchaînement et leur organisation. Les groupes de paroles, analysés dans notre étude, concernent les hommes violents et les agresseurs sexuels, des thématiques nécessitant le soutien et l’appui technique de psychologues. Cette autonomie d’action dans la conception des séances nécessite donc des apports extérieurs, ce qui nuance fortement leur indépendance vis-à-vis d’autres professionnels.
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Déjà, on a recruté un superviseur, puisqu’il faut un superviseur extérieur à l’administration pénitentiaire, on a recruté une psychologue qui a une grande expérience de l’AP puisqu’elle a travaillé en SMPR(39) : elle a fait elle même des groupes de paroles en maison d’arrêt, donc elle connaissait vraiment les directives de la DAP ; elle savait ce qu’on attendait en fait d’elle ; donc, on a commencé à travailler avec elle sur ma mise en place des groupes, sur les thèmes des séances, ensuite une fois qu’on a eu ces journées de travail avec elle, on a arrêté des dates de début et de fin de groupe ; donc on s’est beaucoup appuyé sur ce qui a été fait avant, sachant qu’on allait faire un groupe de 8 séances espacées de trois semaines, ces séances auraient lieu le jeudi de 14h à 15h30 ; on a vraiment défini les modalités du groupe de parole, le nombre de participants : donc, là, on s’est fixé sur 10 à 12 personnes et on fixé le début du recrutement des participants ».
Le choix de cet apport extérieur s’est fait de surcroît en collaboration avec les CPIP et la hiérarchie sur recommandation de l’Administration Centrale :
F, 32 ans, Assistante sociale, 5 ans d’ancienneté
: « Au début oui, au départ, ce qu’on a travaillé avec la psychologue, selon quels critères on va intégrer les probationnaires dans le groupe, le contenu des séances et les horaires ; sauf, qu’au moment où on est passé à la phase de présentation aux collègues, la direction a déjà pris la décision par rapport à ça, qui n’est pas forcément la décision qu’on avait travaillé, donc on nous a laissé l’illusion qu’on pouvait prendre nos décisions, ce qui est assez frustrant dans le travail de ce projet ».
Ce concept d’autonomie est au centre de l’analyse de Freidson, qui interroge plus particulièrement les relations entre l’État et les professions. Selon lui, « une sociologie des professions doit se construire loin des fonctionnalités multiples et ambivalentes, telles que le support ou la résistance à la pression du capital ou de l’Etat » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p130]. Il distingue deux niveaux d’autonomie professionnelle.
Il reconnaît tout d’abord, sur la base de ses propres recherches sur les médecins, que les professions sont autonomes dans l’organisation technique de leur travail et dans la construction de leurs marchés du travail. Mais le professionnalisme ne peut exister que s’il est adossé à un système socio-politique plus large qui lui permet de s’épanouir. Une profession, bien qu’autonome sur le plan de ses actes techniques, ne l’est pas dans la définition de ses orientations socio-économiques : « Alors que les professions, contrairement à d’autres activités, contrôlent leur propre travail et peuvent donc être considérées autonomes dans la division du travail et dans leurs marchés du travail, elles dépendent du pouvoir coercitif de l’État qui soutient cette autonomie. Elles sont autonomes dans leur propre domaine économique mais pas dans la société dans son ensemble car elles dépendent de l’État qui leur délègue du pouvoir »
[FREIDSON, 2001, p133]. De fait, l’autonomie dans la définition du contenu des séances et dans le choix des modalités de supervision de celles-ci répond à une commande explicite de l’administration.
La pratique des programmes de prévention de la récidive nécessite de surcroît l’acquisition de nouvelles connaissances acquises par la formation continue. En effet, cette modalité de suivi a été généralisée à la suite d’expérimentations à partir de 2007 et n’apparaît en formation continue à l’ÉNAP que depuis janvier 2009.
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « La formation à l’ENAP est sur une semaine, les participants sont exclusivement des CIP et il y avait un chef de service ; c’est de la psychologie sociale et de la psychologie cognitive et comportementaliste, des apports théoriques sur la dynamique de groupe, des techniques, des mises en situation, ils mixent tout. Voilà comment ça se passe dans un groupe, des mises en situation avec des observateurs et à la fin, le prof donne sa valeur ajoutée. Le groupe était composé de CIP qui faisaient déjà sur le terrain des groupes de parole ».
Une pratique aussi récente ne peut donc être un élément central de l’identité professionnelle des CPIP en notre sens. Cependant, il faut noter que ces programmes de prévention de la récidive ont été pratiqués depuis une quinzaine d’année, notamment au SPIP d’Angoulême. La mise en place concrète de ces programmes de prévention de la récidive s’est depuis réalisée service par service sur l’ensemble des SPIP depuis 2009.
Cependant, il est possible d’écrire que l’application au niveau local de ces programmes s’est appuyée sur l’expérience de SPIP l’ayant pratiqué auparavant et sur celle des IRTS(40) ou des psychologues cliniciens qui pratiquent depuis des années la technique des groupes de parole. II est donc impossible, à ce niveau de notre réflexion, de prétendre à une généralisation, dans les propos recueillis dans le contexte particulier de notre lieu d’enquête. Nous nous concentrerons donc sur l’articulation entre savoirs nouveaux et savoirs anciens dans la mise en pratique des programmes de prévention de la récidive.
Les CPIP développent donc une expérience importante dans la pratique des PSE et s’appuient sur l’expérience d’autres services et d’autres corps professionnels dans la mise en oeuvre des programmes de prévention de la récidive. Cela crée un corpus de connaissances, non formalisées, qui seraient susceptibles d’être enseignées en formation initiale ou bien partagées dans l’ensemble des SPIP. C’est donc principalement dans l’adaptation des textes sur le terrain que réside leur autonomie d’action dans un cadre législatif très contraint.
38 Voir Annexe 6 p178
39 Le Service Médico-Psychologique Régional ou secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire est un service en charge de. la prévention de la crise suicidaire, des conduites de dépendance avec ou sans produit incluant la prescription de traitements de substitution et des soins aux auteurs de violences sexuelles en détention.
40 Instituts Régionaux du Travail Social
Page suivante : Chapitre 8 : Des professionnalités et des savoirs émergeants