Dans le cadre de la mise en branle des programmes d’ajustements structurels en Haïti, à
partir de la décennie 80, consistant en des accords passés avec le Fonds monétaire
international (FMI) visant notamment l’assainissement des finances publiques et le retour à
l’équilibre de la balance des paiements ou plus globalement le rétablissement de la stabilité
du cadre macro-économique afin d’éviter des cessations de paiements dans le contexte global
de la crise financière, une attention particulière a été aussi accordée à la réforme de la
Fonction publique consistant essentiellement à la réduction à grande échelle des agents
publics au nom de la prétendue performance du secteur public.
A titre indicatif, en 1996 le Gouvernement haïtien signe avec le FMI un accord
dénommé : « Facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR)». Outre la privatisation de
neuf entreprises publiques, cet accord prévoit la réduction de l’emploi dans le secteur public.
C’est dans cette perspective que la loi de 1998 sur le départ volontaire et la retraite anticipée
dans la Fonction publique a été adoptée. « Dans le cadre du programme, un objectif a été
fixé : le départ d’au moins 5000 agents de la Fonction publique (soit environ 10% des
employés de l’Etat) avant fin septembre 1998. En définitive, à la mi-décembre 1998, 5400
agents ont quitté la Fonction publique. »(63)
En effet, ce phénomène assez récurrent dans les entreprises de réforme de la Fonction
publique en Haïti peut laisser un sentiment d’inquiétude permanente chez les Fonctionnaires
eu égard à la leur carrière dans l’Administration. Comme de fait, en plus de cette hémorragie
provoquée par la mise en oeuvre de ces genres de programmes dans un pays n’ayant même pas
atteint 50 000 Fonctionnaires pour à peu près 10 millions habitants, bon nombre d’entre eux
laissent la Fonction publique pour se réfugier à l’étranger ou plus rarement dans le secteur
privé.
Par ailleurs, parmi les 8 grands points du diagnostic de l’Administration publique
haïtienne présentés dans le Plan d’aide des Nations-Unies pour l’Aide au Développement
(UNDAF) 2009-2011, il est fait état d’ « une grande déperdition technique avec le départ des
cadres les plus qualifiés »(64).
De plus, dans le Plan cadre de la réforme de l’Etat 2007-2012, soulignant un phénomène
plus global et sans lien direct avec la réforme de la Fonction publique en tant que telle, le
Gouvernement haïtien a fait remarquer que « les années d’instabilité politique connues par le
pays ont provoqué une déperdition importante de cadres techniques qui a entrainé une baisse
considérable des capacités managériales et opérationnelles des institutions publiques »(65).
En réalité, le phénomène de l’instabilité politique en Haïti est loin d’être la seule variable
explicative à cette déperdition importante de cadres techniques observée. Nous pourrions
même affirmer, dans une certaine mesure, que la cause première de cette déperdition devrait
plutôt être recherchée dans les politiques de réduction de l’effectif des agents de la Fonction
publique en vue de satisfaire les exigences des bailleurs de fonds internationaux, notamment
les institutions de Bretton Woods. Au nom de quelle performance peut-on subtilement
contraindre un pays comme Haïti de vider son Administration par la mise en oeuvre
systématique de politiques de réduction des ressources humaines de la Fonction publique,
alors que lesdites ressources sont quasiment le socle même de l’Administration publique ? A
l’ère de l’économie du savoir ou encore du capitalisme cognitif, peut-on rendre un
Administration publique performante sans sa substance, en l’occurrence, ses Fonctionnaires ?
Tenant compte de tout ce qui précède, nous sommes amenés à nous demander, à bon droit,
si les efforts de structuration et de professionnalisation par la tentative de dépolitisation de la
Fonction publique et la formation des Fonctionnaires ne sont pas volatilisés ou du moins
neutralisés par le phénomène concomitant du « désossement » de la Fonction publique.
Ajouter à tout cela, les effets néfastes du séisme du 12 janvier 2010 sur ce processus
de réforme. C’est en quelque sorte un phénomène physique qui vient se mêler, voire
complexifier davantage un processus qui est loin déjà d’être simple et facile à faire aboutir.
63 Cf : Site web du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, document intitulé : « Fiche Haïti »,
préparé par Damien MILLET, Sophie PERCHELLET, Pauline IMBACH, publié le 12 mars 2010 et disponible à
partir de l’URL suivant : http://www.cadtm.org/Fiche-Haiti
La page est consultée le 16 août 2011.
64 Cf : Ce programme est préparé en novembre 2008 par le Gouvernement haïtien et le système des Nations-
Unies. Il est revêtu de la signature de Jean Max BELLERIVE, Ministre de la Planification et de la Coopération
externe d’Haïti, et de Joël BOUTROUE, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, Coordonnateurrésident
et Coordonnateur-humanitaire du système des Nations-Unies en République d’Haïti. L’information est
trouvée à la page 10 du document.
65 L’information est tirée de la page 14 du document.