Pour toutes les raisons déjà évoquées dans le cadre de travail de recherche académique, le
rendement de la Fonction publique laissait déjà à désirer bien avant le séisme du 12 janvier
2010 emportant avec lui un nombre incalculable de vies humaines dont des Fonctionnaires.
En effet, dans le cadre d’une conférence de presse tenue à Port-au-Prince le mercredi 12
janvier 2011, soit un an jour pour jour après la tragédie du 12 janvier 2010, le Premier
Ministre Jean-Max BELLERIVE a fait remarquer que le séisme avait occasionné la mort de
17% des Fonctionnaires.(66)
Si nous pouvons nous fier à cette donnée statistique, c’est le cas de dire que les chiffres
parlent d’eux-mêmes. Dans un contexte de raréfaction des ressources humaines où 80% des
cadres Haïtiens vivent à l’étranger selon une étude de la Banque Mondiale, la disparition
brutale de 17% des agents publics permanents de l’Etat peut être présentée comme une
« hémorragie » d’une Fonction publique déjà en « coma ».
En outre, vu le nombre important de victimes causées par le séisme par rapport au poids
démographique total, presque chaque Haïtien a perdu des amis et/ou des parents victimes du
séisme. C’est alors le désarroi collectif, sachant que culturellement l’Haïtien reste attaché à
ses parents et ne partagent pas sociologiquement avec les occidentaux la conception de la
famille nucléaire, en ce sens que quand l’Haïtien parle de sa famille, il fait référence
généralement à sa famille élargie et des liens émotionnels forts sont généralement noués avec
même les tantes, oncles, cousins, neveux, etc.
Par voie de conséquence, presque chaque Haïtien avait à pleurer plusieurs morts dans
cette situation tragique. Ayant bien en tête que le Fonctionnaire est avant tout un Haïtien, car
la nationalité haïtienne est l’un des critères d’accès à la Fonction publique, donc il n’échappe
pas à cette situation. D’autant que la majorité des Fonctionnaires survivants sont amenés à
revenir travailler sous des tentes, mais dans l’emplacement des anciens locaux des services
publics qu’ils ont vu effondrés avec leurs collègues ou amis. D’où des dégâts psychologiques
non quantifiables. Il s’agit bien ici d’une source de démotivation pour le Fonctionnaire qui est
susceptible de causer un affaiblissement de son rendement.
Dans la foulée, le séisme a provoqué une grave crise de logement, particulièrement à
Port-au-Prince. En réalité, le problème de l’accès à un logement décent à Port-au-Prince,
depuis bien avant le séisme, reste un problème complexe. Il est certes symptomatique d’une
certaine fracture sociale, mais en fait il s’agit bien d’un problème à causes multiples que l’on
retrouve d’ailleurs généralement dans l’agenda politique des pouvoirs publics. C’est le cas de
dire que le séisme du 12 janvier 2010 ne fait que complexifier la problématique du logement
dans la capitale. C’est un phénomène physique qui vient impacter sur un phénomène social
multiple et complexe.
Puisque même des bâtiments publics respectant certaines normes de construction ont été
effondrés, les maisons d’habitation qui sont censées être bâties suivant des normes plus
souples ou carrément en dehors de toute norme de construction pouvaient difficilement tenir.
D’où la question de loger les centaines de milliers de sinistrés allait s’imposer et parait
aujourd’hui encore comme un grave problème public(67) qui a fait l’objet d’une émergence
instantanée dans l’agenda institutionnel des différents pouvoirs publics en Haïti.
En outre, les Fonctionnaires ne sont pas épargnés de situation plus ou moins généralisée.
Donc, comment demander à un Fonctionnaire de servir efficacement l’intérêt général quand il
n’a plus de logement pour abriter sa famille ? Un Fonctionnaire, peut-il être motivé à
travailler sous des tentes durant la journée sous un soleil de plomb, pour ensuite retrouver son
campement de fortune le soir ?
En fait, bon nombre de Fonctionnaires, parmi ceux qui le pouvaient, ont laissé le pays
laissant ainsi les Fonctionnaires restants plus démotivés et la Fonction publique plus affaiblie.
66 Cf : « Haïti, un séisme, un an et 316 000 morts », AFP, publié le 12 janvier 2011, la page est consultée le 31
août 2011 et disponible à partir de l’URL :
http://www.7sur7.be/7s7/fr/6176/Seisme-Haiti/article/detail/1207360/2011/01/12/Haiti-un-seisme-un-an-et-316-
000-morts.dhtml
67 « Pour qu’un problème devienne public il ne suffit pas, en effet, que des acteurs se mobilisent pour construire
se problème, il faut aussi que le problème soit pris en charge dans le cadre des arènes publiques, ce qui permet
sa mise sur agenda ». Cf : P. HASSENTEUFEL. « Sociologie politique : l’action publique », Armand Colin,
Paris 2009, page 41.