1. Les acteurs non régulés
Le Conseil de Stabilité Financière définit les acteurs du Shadow Banking comme des “intermédiaires de crédit impliquant des entités et des activités en dehors du système bancaire régulier”. En effet, le Shadow Banking représente une grande diversité d’acteurs, soit les entités qui effectuent de l’intermédiation ou la distribution de crédit mais n’acceptent pas de dépôts et ne sont pas régulées comme des banques, on distinguera :
– les Money Market funds
– les Hedge Funds
– les assureurs qui fournissent des garanties de crédits
– Money Market funds (MMF)
Les money market funds (MMF), sont essentiellement présents aux Etats-Unis par exemple le plus gros MMF est JPMorgan Prime Money Market Fund. Apparus dans le début des années 70, ils représentent une alternative aux dépôts bancaires. Ces fonds monétaires sont créés en réponse à une réforme « Regulation Q » visant à limiter le taux d’intérêt que les banques payent sur les dépôts, y compris à zéro. Ces fonds sont investis dans de la dette à court terme, comme des certificats de dépôts, des titres commerciaux, mais aussi dans des produits titrisés. Ils ont pour particularité de n’investir que sur des dettes court terme.
Ces fonds non assurés par l’état sont considérés comme étant aussi sûrs que des dépôts bancaires tout en offrant un rendement plus élevé. Ces fonds sont souvent sponsorisés par une banque ou par un asset manager, c’est un gérant (souvent salarié) qui gère le fonds. Ces fonds attirent principalement des investisseurs tels que les ménages, les institutionnels et les entreprises.
Les MMF sont d’importants émetteurs de liquidités pour les intermédiaires financiers, ils visent à ne jamais perdre d’argent. Contrairement à la plupart des instruments financiers, les money market funds cherchent à maintenir une valeur liquidative (VL, et en anglais Net Asset Value – NAV) de 1 dollar par action par exemple. On parle de fonds à liquidité constante. Leur valeur liquidative affichée est donc toujours la même et les surplus sont redistribués aux investisseurs en permanence.
Toutefois, cette pratique de liquidité constante n’est pas sans risques, notamment dans les cas suivants :
– si l’actif de ces fonds vient à matérialiser des pertes,
– si les fonds investissent dans titres risqués,
– si des risques ne sont pas compris ou mal appréhendés par le gestionnaire.
Dans ces situations, on peut aboutir à un risque de retrait massif des investisseurs de ces fonds, et de vente de l’actif correspondant dans des conditions dégradées. La capacité du fonds à servir une valeur liquidative peut être remise en cause dans la mesure où il n’y a pas de fonds propres dans la structure. Ces risques ont déjà été identifiés aux Etats Unis lors de la crise en 2008, le Trésor américain avait été contraint de garantir la valeur liquidative des fonds.
Bien souvent, ces fonds donnent l’illusion du produit monétaire mais qui n’a en réalité pas de capacité d’accès à une banque centrale pour se refinancer en cas de risque de liquidité court, ou de risque de crédit (besoin en fonds propres). Dès lors, même avec un calcul de volatilité constante, les investisseurs ne sont pas protégés sur leurs investissements.
– Les Hedge funds
Les hedge funds se définissent essentiellement par une philosophie d’investissement différente des fonds de gestion traditionnelle tels que les SICAV ou OPCVM (on parle de performance en absolue sans référence à un benchmark). Contrairement à ces fonds traditionnels, les hedge funds ou fonds alternatifs font appel à l’emprunt (effet de levier) pour composer leurs portefeuilles, ce qui les contraint donc à dépasser des seuils de rentabilité minimale.
L’une des caractéristiques principales de la gestion alternative est d’être très dynamique et capable de s’adapter de manière opportuniste aux conditions de marché, autrement dit, leur rapport rendement/risque peut évoluer sensiblement à travers le temps. Du fait de la non diversification des portefeuilles (choix d’une stratégie unique) et du recours éventuellement massif aux produits dérivés, les hedge funds échappent aux catégories traditionnelles de fonds mutuels. De plus, étant par essence moins réglementés que les fonds classiques, ils ne peuvent être distribués au grand public et sont réservés aux investisseurs institutionnels ou aux grandes fortunes.
En langue anglaise to hedge signifie couvrir une position en prenant une autre position symétrique, leur objectif est en effet de délivrer une performance stable à travers le temps en s’affranchissant autant que possible des évolutions négatives des conditions de marchés des actifs traditionnels (actions ou obligations). En d’autres termes, ils ont pour but de délivrer une performance absolue et insensible aux fluctuations des marchés actions ou obligataires (on parle de décorrélation).
Le secteur des hedge funds est passé d’environ 80 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 1990 à au moins 1800 milliards de dollars en 2010.
Le plus souvent, le hedge fund est constitué sous la forme entrepreneuriale : le gérant du hedge funds investit une grande part de sa fortune personnelle dans le fonds ; il est donc associé aux investisseurs et gère le fonds pour leur intérêt commun. Il se rémunère essentiellement à la performance du fonds.
Les hedge funds fonctionnent en collaboration avec un Prime Broker. Le Prime Broker (département d’une BFI) est le banquier du fond (exemple : JP Morgan, Goldman Sachs, Crédit Suisse, Morgan Stanley, Deutsch Ban, la défunte Lehman). Il fournit aux hedge funds différents services. Il offre du financement garanti (par collatéral issu du fonds) : des prêts avec appel de marge, des pensions livrées et des prêts/emprunts de titres.
Cette offre permet aux hedge funds de générer un effet de levier. De plus, le prime broker propose des services de back office tels que l’exécution, la conservation, le règlement/livraison et du reporting. Le prime broker mesure les risques du fond pour pour déterminer les montants de garanties à mettre en face des ses prêts(les actifs su fond) et procéder à des appels de marges en cas de mauvaise performance du fond ou détérioration de la qualité de ses actifs. Enfin il commercialise des services auxiliaires recouvrant l’introduction en capital, du conseil et des études de marchés. Le prime broker lie le système régulé au le système non régulé.
Les fonds de Private Equity (en français capital risque)
Les activités de Hedge funds étant de plus en plus diversifiées, il devient difficile de les distinguer de la gestion classique. La différence tient dans la sophistication, et des niches novatrices. En outre, il est de plus en plus malaisé d’opérer une différence entre les hedge funds et les fonds de private equity. Ces fonds vont investir dans des entreprises non cotées ou des entreprises cotées qu’ils retirent de la Bourse. Ils deviennent les propriétaires de ces entreprises et leur objectif est de rationaliser la gestion, l’améliorer, pour les revendre avec une plus-value importante. Pour en devenir propriétaire, ces fonds font appel à des emprunts colossaux. Les fonds de pension peuvent faire partie alors des investisseurs potentiels à ce type d’achat, appelé LBO : Leverage Buy-Out. En misant peu et en réalisant une large plus-value, ces fonds ont attiré de nombreux investisseurs avides de rendements importants.
Les hedge funds recourent de façon croissante à cette stratégie d’investissement et on commence à voir des hedge funds nouer des partenariats avec des fonds de private. Les hedge funds ont augmenté leur participation dans des secteurs réservés auparavant aux fonds de private equity : achat de participation dans des sociétés en restructuration, investissements en dettes mezzanines (risques intermédiaires) ou en dettes de sociétés en difficultés (distress). En général, les hedge funds sont créés par des anciens gérants de fonds de private equity.
Réglementation des hedges fund
L’activité des hedge funds est très peu régulée, ils sont souvent développés dans des zones dites offshore et offrent une importante flexibilité d’offres d’investissement. La réglementation des hedge funds fait actuellement l’objet de nombreuses discussions au sein des autorités financières mondiales.
Techniques spécifiques de hedge funds
. Les outils des hedge funds
La vente à découvert (short selling)
La vente à découvert consiste à vendre au comptant des titres empruntés, en espérant les racheter moins cher ultérieurement, et donc de bénéficier de la différence de prix. Pour ce faire le recours à la technique de prêt/emprunt de titres est adapté.
L’arbitrage
L’arbitrage consiste à exploiter les écarts de prix injustifiés, par exemple en achetant des obligations convertibles supposées sous-évaluées tout en vendant à découvert l’action sous jacente. L’arbitrage permet aux hedges funds de délivrer une performance absolue et insensible aux fluctuations des marchés. Les hedge funds utilisent cet outil sur un ou plusieurs types de marchés financiers (essentiellement actions, obligations, crédit, taux de change, matières premières).
L’effet levier (leverage)
Le levier est un mécanisme par lequel les hedge funds peuvent prendre des positions plus importantes que celles correspondant aux fonds dont un investisseur dispose réellement. En d’autres termes, le gérant décide d’emprunter pour augmenter la taille effective du portefeuille. L’effet de levier est décidé par le biais d’un contrat de souscription entre le fonds et les investisseurs institutionnels.
L’effet de levier est obtenu essentiellement à travers le Prime Broker et des opérations de prêt de titres (permettant la vente à découvert) ou de lignes de crédits sur les comptes en espèces Il s’agit d’un prêt sur gage, afin d’obtenir du levier, le hedge Funds se finance en apportant les actifs du fonds au Prime Broker qui lui fournit du levier sur ses actifs.
. Les stratégies de hedge funds
Il existe de nombreux critères permettant de classifier les stratégies d’investissement utilisées par les gérants de hedge funds. De plus, certains gérants peuvent combiner plusieurs stratégies, on parle alors de « fonds multistratégies ». Les hedge funds sont connus pour leur rôle dans les activités de shadow banking à travers leur activité de titrisation et sur le marché des pensions livrées (repo). Ce sont donc principalement les hedge funds ayant une activité de crédit : utilisation de titres de dette (loans, obligations, CDS) ou des titres titrisés (CDO, ABS..) ou apport de collatéral dans les opérations de repo ou comme garantie dans les opérations de gré à gré (OTC).
Les gestionnaires de hedge fonds de crédit utilisent une gamme variée de stratégies d’investissement, allant des prêts aux entreprises directement (similaire à l’activité classique des banques) à la négociation d’instruments dérivés complexes.
Le risque de crédit (par opposition au risque de marché) a un profil asymétrique. Le gain maximum est capé (correspondant à l’amélioration de la qualité de l’emprunteur), alors que la perte peut être très élevée (défaillance de l’emprunteur). On dit que l’emprunteur possède une option (le droit de faire faillite).
Il n’existe aujourd’hui aucune classification officielle des différentes catégories de placement des hedge funds. La meilleure façon de comprendre les hedge funds de crédit est de regarder au-delà du nom, les activités réellement exercées. A titre d’exemple, nous détaillerons les stratégies de Relative Value et Fondamental Credit.
Relative Value
La stratégie relative value (valeur relative) vise à exploiter les anomalies de prix entre des instruments financiers apparentés tels que les actions et les obligations. Les stratégies de relative value de crédit (valeur relative) investissent dans des obligations, y compris les convertibles, les swaps de défaut de crédit (CDS) et dans une moindre mesure, dans du capital. Rappelons l’usage du CDS pour décrypter le fonctionnement de cette stratégie et comprendre son rôle de financement.
Le CDS (swaps sur défaillance de crédit) est un contrat à travers lequel le vendeur de protection s’engage, contre le versement d’une prime, à dédommager l’originateur en cas d’évènements négatifs sur son portefeuille (défaut de paiement ou dégradation de la qualité de ses débiteurs). Le CDS permet donc un transfert de risque. En cas de défaut de paiement sur un nombre prédéterminé de titres retenus en portefeuille, le détenteur du contrat reçoit un dédommagement de la part du vendeur de protection. Ce type de contrat correspond au besoin d’un investisseur qui accepte d’assumer des pertes limitées mais veut de couvrir contre les grosses pertes.
La stratégie d’investissement pratiquée consiste à posséder un instrument (position longue soit d’achat en espérant que sa valeur augmente), et dans un même temps en vendre d’autres à découvert suivant un rapport qui optimise le couple rendement / risque des échanges.
Pour détecter ces opportunités, il est nécessaire de pouvoir comparer les différents emprunteurs. Plus la qualité de l’emprunteur est bonne plus ses taux d’intérêts seront faibles. L’idée principale de cette stratégie peut être par exemple de sélectionner un investisseur ayant une bonne situation avec de faibles intérêts et de pouvoir anticiper la détérioration de son profil. Cette détérioration implique une hausse de ses intérêts reversés par l’emprunteur et par conséquent un rendement plus important pour le hedge funds qui a vendu à découvert l’emprunt.
Afin de détecter ses opportunités, le gérant utilise une approche d’analyse dite fondamentale utilisant une méthodologie classique utilisée pour l’octroi de crédit dans un financement classique. L’utilisation de modèles mathématiques est aussi fréquente afin de détecter les anomalies d’évaluation.
De manière générale ces investissements sont effectués suivant un horizon de placement variant de 2 à 6 mois du fait qu’ils sont très souvent liés à un évènement (par exemple, l’annonce de bénéfices pour une société), qui est supposé réaligner la valeur.
Fundamental crédit manager
Cette stratégie de « Valeur Fondamentale » est plus communément connue sous l’appellation «event driven» (évenementielle), «situations spéciales» et «activistes». Les gérants de crédit fondamental sont des investisseurs de valeur. Certains fonds peuvent être classé dans la catégorie « actions » du fait de la diversité des produits utilisés (toute la structure capitalistique d’un émetteur), y compris les capitaux propres. En outre, lorsque ces fonds participent à une restructuration, ils peuvent recevoir des actions en règlement d’une dette.
Les gérants de crédit fondamentaux sont généralement “acheteurs” dans leurs perspectives d’investissement, ce qui signifie qu’ils prennent très peu de positions à découvert pour compenser les risques. Ces positions longues sont généralement inférieures à 100% du capital de leur fonds (le reste étant du cash), tandis que les positions courtes (ventes à découvert) sont généralement utilisées comme une couverture “macro” contre les grandes baisses des marchés.
L’horizon d’investissement d’un gérant de crédit fondamental est généralement de longue durée, de 24-36 mois et peut dans certains cas être prolongée plus longtemps. Comme dans le cas de Private Equity, les gestionnaires de crédit fondamentaux achètent lorsque la valeur perçue de l’investissement est nettement inférieure à celle induite par le prix. Les gestionnaires visent généralement à 20-30% de taux de rendement interne, en fonction de la perception du risque de l’investissement. Cependant, alors que, les fonds de private equity investissent dans les capitaux propres dans une optique de continuité d’exploitation, les hedge funds ciblent les sociétés en difficulté financière afin d’acheter leur dette, avec l’espoir qu’ils pourraient recevoir du capital de la société si celle-ci devait subir une restructuration ou une liquidation.
Semblable à des fonds de Private Equity, les gestionnaires de crédit fondamentaux peuvent devenir des investisseurs «activistes». Ces investisseurs cherchent à acquérir une quantité suffisamment importante de participations dans la structure du capital de l’entreprise (emprunt ou par actions) qui leur permet, en maintenant des positions de blocage soit dans le capital ou de la dette de la structure du capital, d’exercer une influence suffisamment forte pour que l’entreprise soit contrainte de les écouter.
Tels que décrits précédemment, les hedge funds se caractérisent par une grande diversité de stratégies d’investissement et de styles de gestion.
Individuellement, ces fonds offrent une source diversifiée de rendement ajustée au risque, en fonction de l’environnement de marché et des perspectives économiques. Pris dans leur ensemble, les hedge funds visent la préservation à long terme du capital, indépendamment des grandes évolutions du marché (décorélation). En investissant dans des instruments financiers peu liquides et innovants, les hedge funds améliorent la liquidité des marchés financiers et le processus de formation des prix. Les hedge funds constituent une alternative aux classes d’actifs traditionnelles, ils accroissent l’efficience des marchés financiers, en effectuant des arbitrages sur les différents prix entre titres similaires sur différents marchés. Si l’on se réfère au cas de la gestion de portefeuille, une allocation en hedge funds peut contribuer de manière significative à sa diversification.
L’impact de diverses stratégies d’investissement sur le système financier diffère fortement en fonction des instruments financiers utilisés. A contrario, on remarquera que les stratégies de crédit jouent un rôle important dans le financement de l’économie. En effet leur activité s’apparente fortement aux activités de financement offertes par les banques telles que l’octroi de prêts. De plus, leur capacité d’investissement dans des sociétés en faillite permet un relance de l’activité (et par conséquent de l’économie) qui n’aurait pu être accordée par le système traditionnel de financement.
– Les assureurs
Les organismes d’assurance, souvent filiales de groupes bancaires sont rigoureusement réglementés, le CSF (Conseil de Stabilité Financière) les inclut toutefois dans sa classification des entités du Shadow Banking. En effet, il ne s’agit pas des compagnies d’assurance dans leur ensemble mais certaines de leurs activités telles que les activités de crédit ou de garantie de crédit qui sont considérées comme appartenant à du financement non régulé. L’assureur américain AIG en 2006 lors de sa quasi-faillite a montré que des transferts de risques importants avaient pu s’opérer par la voie du secteur assurantiel et bancaire.
En France, les encours d’assurance vie représentent plus de 1 434 milliards d’euros en juin 2012, soit 39% du total des placements financiers des ménages.
Dans le cas où les activités bancaires et assurantielles sont proches, certaines décisions d’investissement peuvent être influencées au détriment de la stabilité financière de l’assureur et donc de ses cotisants. Certaines grandes compagnies d’assurance sont entrées sur le marché de la dette avec la capacité d’engager des montants significatifs pour des prêts directs : tel est le cas en particulier d’Allianz. Leur profil de risque diffère de celui des banques en ce qui concerne leurs attentes en termes de maturité, plus élevée, de leurs prêts ainsi que le niveau de levier, plus conservatif.
Il est important de constater que ces activités répandues aux Etats Unis, demeurent nouvelles en France et requièrent un suivi particulier. En effet, l’octroi de prêt, en direct ou par l’intermédiaire de structures dédiées, engendre des risques supplémentaires car à la différence des banques, les compagnies d’assurance ne disposent pas nécessairement de toutes les informations utiles à la connaissance de la situation patrimoniale du client et de sa capacité de remboursement.
Leur part de marché est amenée à se renforcer dans le futur, principalement sur le segment de la dette sécurisée avec des maturités longues.
2. Les Mécanismes
– La titrisation mécanisme du Shadow Banking
Comme exposé en première partie, la titrisation est un mécanisme permettant de transformer de la dette en la découpant en portefeuille de crédits (pools) puis de titres. Dans le cas d’une émission de titres liquides court terme, le mécanisme de titrisation utilisé s’apparente aux fonctions classiques de la banque de transformation de crédit en maturité et liquidité.
Le mécanisme utilisé dans le modèle classique de la banque (intermédié) réside dans le fait que les banques transforment les risques sur un seul bilan. A l’inverse, le mécanisme utilisé par la titrisation (désintermédiée) permet d’effectuer un transfert de risque de la banque vers un véhicule externe suivant un processus de transformation en plusieurs étapes le long d’une chaîne de bilans et de diverses sources de capitaux. La titrisation désintermédiée fait appel à diverses sources de capitaux et de garanties.
Comme dans un processus de titrisation classique la première étape correspond au découpage des collectes de crédits en tranches plus ou moins risquées, la tranche AAA étant la plus sûre. Cette tranche jugée sécurisée sur une longue durée (AAA) est ensuite vendue à un véhicule (SPV) créé sur le marché monétaire à court terme (Money Market Fund –MMF).
Cette opération permet le changement de maturité du titre, puisque d’une tranche de longue durée on est passé à un titre court terme, appelé « commercial paper » ou plus généralement SMMI (Structured money market instrument).
Enfin, le titre à court terme est rendu sécurisé par l’obligation des banques sponsor du MMF, de fournir au véhicule des garanties de liquidité ou une assurance à la baisse « liquidity puts ». Ce titre court et liquide (sécurisé) est acheté par les Money Market Funds (MMF), offrant à leurs épargnants des titres de placements courts terme garantissant la disponibilité des dépôts.
Avant la crise, les tranches AAA sur des actifs titrisés constituaient la seconde meilleure alternative de dépôts assurés.
– Collatéralisation : les cessions temporaires
Un autre mécanisme clé du Shadow Banking s’appuie sur des transactions collatéralisées. Il s’agit de la réutilisation d’un volume de transactions financières aussi grand que possible. Ces transactions appelées plus communément cessions temporaires d’un bien ou d’un droit impliquent deux opérations de transfert en sens opposé et ce dès l’opération initiale. Ces deux opérations en sens opposé impliquent un transfert de propriété du bien ou du droit du patrimoine du cédant vers celui du cessionnaire. On appelle « collatéral » (en anglais « collateral ») l’ensemble des actifs, titres ou liquidités, remis en garantie par la contrepartie débitrice à la contrepartie créditrice afin de couvrir le risque de crédit résultant des transactions financières négociées entre deux parties.
L’intermédiation par collatéralisation est importante pour l’économie réelle et la stabilité financière, car elle sous-tend une large gamme de transactions financières. Celles-ci comprennent le financement obtenu (pour la plupart des investisseurs non bancaires), les prêts de titres, et de couverture (delta hedging de dérivées, ou collatéral pour le risque de contrepartie dans des opérations OTC). Contrairement à la titrisation qui se concentre sur des actifs sûrs, le collatéral lui-même peut être de qualité variable. Dès lors que ce collatéral atteint un prix d’équilibre du marché, même des garanties faiblement évaluées peuvent être échangées.
Il est difficile de quantifier l’avantage comparatif des BFI, toutefois celles-ci peuvent probablement avoir des prix fixés à l’entrée, pratiquer des économies d’échelle et bénéficier des effets vertueux de leur position centrale au sein du réseau. Ces opérations sont perçues comme ayant de très faibles risques de contrepartie.
La meilleure façon de décrire la ré-utilisation de la garantie (collatéral) est de la visualiser dans les chaînes de bilan. Les BFI attribuent les garanties. Elles reçoivent des agents qui nécessitent un financement ou auprès d’autres agents qui souhaitent améliorer leur rendement par location de leurs actifs en garantie. Ensuite, cette garantie est promise à d’autres agents pour obtenir des fonds ou soutenir d’autres contrats. Il s’agit donc d’un système de réutilisation répétée des garanties où un seul même appareil peut prendre en charge de multiples transactions.
Au sein des cessions temporaires, on distinguera la pension livrée, un prêt de cash garantis par du collatéral titres et le prêt /emprunt de titres, un prêt garanti par du collatéral titre ou cash.
La pension livrée
Comme expliqué en première partie, la pension livrée (REPO) est une garantie donnée pour courir un risque de crédit. Le collatéral peut prendre de multiples formes : obligations, actions et même de créances bancaires.
Les activités de pension livrée sont organisées en deux marchés d’échange : le marché bilatéral et le marché tripartite.
Le marché bilatéral
Sur le marché bilatéral l’échange de cash et de garanties (titres) s’effectue entre les deux parties, on parle de « Delivery versus Payment » – DVP.
Le schéma 1 décrit une opération de pension classique. Lors de l’ouverture de la transaction la partie qui détient des liquidités à investir, l’émetteur de liquidité, achète des titres auprès de la partie souhaitant emprunter des liquidités, l’émetteur de titres. Le montant du haircut est un pourcentage défini en amont par les deux parties en fonction de différents critères des titres (volatilité, liquidité et la qualité des intervenant dans le collatéral).
Schéma 1 : Opération de pension classique
Dans la pratique, les échanges à grand volume sur le marché bilatéral requièrent une expertise opérationnelle de la part de l’émetteur de liquidité. En effet, celui-ci doit s’assurer de la viabilité du collatéral, de suivre les titres reçus en garantie et s’assurer que le « haircut » ait été pris en compte.
Les hedge funds et les autres investisseurs qui ont besoin d’emprunter de l’argent ou des titres constituent la source la plus commune de collatéral. La figure 6 illustre la façon dont un titre de garantie (par exemple, un bon du Trésor US) peut être utilisé par un hedge fund pour obtenir du financement (“cash”) à partir d’un prime broker, comme Goldman Sachs. La même garantie peut ensuite être utilisée par Goldman Sachs comme marge pour le Credit Suisse.
Credit Suisse peut alors passer l’obligation à un money market funds jusqu’à l’échéance. Notez que dans cet exemple la même obligation du Trésor a été utilisée trois fois en tant que garantie, par le propriétaire d’origine, des hedge funds aux money market funds. Le repo est donc un moyen de prêter du cash sans altérer son profil de liquidité.
En effet, dans le cas d’une vente à découvert, un agent vend un titre qu’il ne possède pas encore. Avec le cash qu’il reçoit de cette vente, il peut aller sur le marché du repo, prêter l’argent à une contrepartie et recevoir en échange le titre qui lui fait défaut.
Afin de faciliter la transaction certains émetteurs de titres peuvent conserver les titres de l’émetteur de cash. Ce cas implique un risque de fraude plus important, l’émetteur de liquidité peut rencontrer des difficultés à récupérer ses titres garantis en cas de défaillance de l’autre partie.
Sur ce marché, les émetteurs de cash financent les actifs de leurs clients et prêtent des liquidités à d’autres. Les titres obtenus par l’émetteur de liquidité peuvent être réhypothéqués dans d’autres opérations de prise de pension. Le marché bilatéral a pour principale caractéristique de se baser sur le détail des titres remis en garantie.
Le marché bilatéral est essentiellement utilisé pour les échanges entre les banques dans le cas de titres récents du trésor très convoités pour leur sûreté « titres spéciaux ». En contre partie les émetteurs de liquidités généralement les hedge funds acceptent des taux d’intérêts plus faibles. Sur le marché bilatéral américain, les transactions de titres spéciaux représentaient un trillion de dollars en mai 2012(5).
Le marché tripartite
Les opérations de pension tripartites se caractérisent par le fait qu’elles font intervenir une partie tierce, l’agent tripartite qui a la charge de la gestion des garanties. L’agent tripartite peut être une institution fournissant des services de règlement – livraison telles que les grandes centrales de compensation (clearing) comme Clearstream ou Euroclear bank, ou une banque commerciale spécialisée dans les opérations de conservation.
Dans ce schéma, les deux entités contreparties à la transaction s’engagent sur les différents termes de l’opération, à savoir la maturité de l’opération, le taux d’intérêt sur les liquidités ainsi que la nature du collatéral (et non pas le détail des titres remis en garantie comme dans le cas des opérations bilatérales).
Le contrat de gestion des garanties donne délégation à l’agent de procéder à ces mouvements pour le compte des contreparties de l’opération et définit l’ensemble de ses obligations. Au moment de l’initialisation de la transaction, l’agent s’assure de la coïncidence des deux mouvements et sécurise le règlement de l’espèce contre la livraison des titres.
Contrairement au marché bilatéral de pension livrée, le marché tripartite offre un éventail plus large de titres sous-jacents comme garanties. Le marché du repo tri partite est aux Etats Unis la première source de financement des banques et BFI où les volumes approchent 1,8 trillions de dollars. Les opérations tripartites constituent une alternative aux opérations traditionnelles de trésorerie interbancaire permettant des économies d’échelle importante sur l’organisation des back offices.
Le prêt / emprunt de titres
Le prêt de titres émane d’un contrat suivant lequel un prêteur livre des titres à un emprunteur, à la charge pour ce dernier de les lui restituer à l’échéance du contrat. Le prêt de titres permet de couvrir un besoin de titres en contrepartie d’une remise de titres ou de liquidités en garantie.
Le marché du prêt/emprunt de titres est un marché sur lequel les banques de marché et les primes brokers agissent en tant qu’intermédiaires entre les investisseurs institutionnels et les arbitragistes.
Lorsqu’un investisseur prête des titres à une banque celle-ci peut les utiliser soit sur le marché du repo ou pour son coussin de liquidité, tel que réclamé par Bâle III. Il peut s’agir parfois de rehausser la qualité du collatéral (collatéral swap) ; la banque échange avec un investisseur des obligations d’entreprise qu’elle détient contre des obligations d’ Etat dont elle a besoin moyennant une décote. Les investisseurs qui ont une vision plus long terme peuvent conserver ces obligations d’entreprise, même si elles sont moins liquides que les titres souverains qu’ils ont donnés.
Le prêt de titres permet aux institutionnels de rémunérer leur portefeuille et aux arbitragistes de couvrir des ventes à découvert. La vente à découvert (hedge funds) consiste à vendre des titres empruntés sur le marché, si leur prix baisse nous pourrons ainsi les racheter moins cher et bénéficier d’une marge plus importante lors de la clôture de l’échange du prêt emprunt de titres. Les intermédiaires offrent aux institutionnels, le service d’agent (gestionnaire des garanties) ou de principal (prenant les titres les titres à leur compte) en contrepartie d’une marge ou d’une commission.
– Les effets vertueux & limites des mécanismes de Shadow Banking
Le système dans son ensemble
Pour résumé, les activités de Shadow Banking sont regroupées autour d’un système complexe au sein duquel des acteurs régulés et non régulés interagissent via des mécanismes de titrisation et de collatéralisation visant à optimiser leurs besoins de financement et d’investissement.
Schématiquement, ce système est composé de différents agents non bancaires (Hedge funds, SPV, MMF, assureurs) qui sont liés au système traditionnel via le Prime Broker. Ces agents utilisent également les services des BFI.
L’ensemble du système bancaire est représenté sur le graphique ci-dessous, intéressons-nous aux différents échanges entre les agents régulés et non régulés.
Les agents opèrent à travers deux chaînes de transactions :
– Une chaîne de titrisation (rangée supérieur du graphique) qui
o transforme la liquidité d’actifs risqués en actifs sûrs par la titrisation
o utilise des assurances à la baisse « puts » du système bancaire
– Une chaîne de collatéral (garantie de titre ou de cash) (rangée inférieure du graphique) est mise en place afin de réutiliser le collatéral et par conséquent réduire le risque de contrepartie entre emprunteurs et prêteurs. Les émetteurs de collatéral sont dispersés dans l’ensemble système financier.
Ce schéma illustre bien les liens entre les établissements régulés (Banques, Prime Brokers) et non régulés sont nombreux. Les interactions au sein du shadow banking sont par ses agents ou par ses mécanismes d’échange reliées au secteur bancaire. Ses activités sont majoritairement complémentaires aux activités classiques permettant une optimisation des investissements.
Analysons en détails les effets vertueux du shadow banking sur le financement de l’économie et ses limites qui en découlent.
La titrisation un mécanisme indispensable au financement de l’économie
L’AMF (Autorité des Marchés Financiers), le régulateur français mentionne dans sa cartographie des risques de 2012 « Sur une base saine elle [la titrisation] est indispensable au financement des banques et plus généralement de l’économie ».
La titrisation répond à l’idée selon laquelle les banques ont besoin de titres de dette à utiliser comme collatéral pour dégager du financement par pension livrée. En effet, les banques détiennent les tranches equity (directement ou via le véhicule affilié) étant donné que les investisseurs (de leur trésorerie ou d’épargne) ne souhaite pas assumer ce risque. L’utilisation de ces titres en collatéral de la pension livrée permet à la banque de lever des fonds.
La titrisation permet également aux banques de contourner les règlementations traditionnelles :
o Proposer une nouvelle forme de financement
o Vendre des tranches de créances à un véhicule (SPV) permet d’alléger les fonds propres.
o Détenir des créances par le véhicule permet un transfert de risques
o Opérer en toute discrétion, les clients ne sont pas informé de la cession de leur crédit
Besoin de garantie, forte demande de collatéralisation
La fonction de collatéralisation du système bancaire parallèle est importante au sein du système financier dans la mesure où elle soutient le crédit, elle est également importante pour l’économie réelle. Lors d’une baisse des émissions de collatéral, l’intermédiation financière ralentit, avec des effets similaires à l’assèchement des marchés interbancaires.
On remarque également, que le stock de titres peut diminuer à mesure que les investisseurs deviennent plus préoccupés par le risque de contrepartie (aversion au risque), ce qui les rend moins enclins à prêter des titres et des pensions livrées. Il peut également être affecté par les mesures des banques centrales, telles que les achats d’actifs à grande échelle, ou un élargissement de la masse des avoirs collatéraux éligibles.
Toutefois, la fonction d’intermédiation de garantie est susceptible de devenir plus importante au fil du temps. A long terme, avec de plus en plus transactions sans lien de dépendance à un système financier intégré dans le monde, les acteurs du marché recherchent la sécurité de garantie pour soutenir l’ensemble de leurs demandes. Les nouvelles réglementations suivant des exigences accrues de garantie des produits dérivés sont également susceptibles d’accroître la demande pour les opérations de garanties.
Les risques de la collatéralisation
Une source de risque systémique dans l’intermédiation de garantie est le risque de liquidité des banques opératrices dans les chaînes de garantie. Les banques opératrices utilisent régulièrement certaines garanties obtenues auprès de clients (par exemple, réhypothécation des hedge funds) pour leur propre financement. Un retrait de client peut alors avoir des conséquences sur la liquidité de la BFI, qui devra trouver de nouvelles sources de garanties ou liquider ses positions. En 2008, la fuite des clients du prime brokerage (par exemple, les hedge funds) désirant le retour de leurs garanties a conduit à une grande instabilité des banques opératrices (y compris les banques d’affaires américaines autonomes, comme Bear Stearns, Lehman Brothers et Merrill Lynch). Ce déséquilibre a contraint la banque centrale et l’état à intervenir.
Suivant cette idée de contagion, le prime brokerage, maillon entre les systèmes régulés et non régulés représente un risque systémique non négligeable. Il fait actuellement parti des préoccupations majeures du régulateur. L’utilisation du prime brokerage touche la partie régulée du système financier, des activités qui sont les préoccupations majeures du régulateur.
La propagation du risque est particulièrement importante lorsqu’une banque de financement et également un établissement de dépôt. En effet, ce lien engendre des possibilités de déplacement des risques pour la partie de dépôt qui subventionne des activités de financement parallèle visant à réduire ses coûts de financement. Des propositions de réglementation visant à séparer les activités de trading des autres activités sont en partie motivées par ces risques.
5 Adam Copeland, Darrell Duffie, Antoine Martin, and Susan McLaughlin – Key Mechanics of The U.S. Tri-Party Repo Market – FRBNY Economic Policy Review / Forthcoming , Juin 2011
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