Selon Bonnie CAMBELL, professeure d’économie politique à la Faculté de Science
politique et de Droit de l’Université du Québec à Montréal, « quinze années d’ajustement
structurel ont amené les organismes de financement internationaux et notamment la Banque
Mondiale à intervenir de plus en plus profondément dans le tissu social et économique des
sociétés où ils étaient présents. La réforme des institutions est considérée comme une précondition
pour garantir le succès des réformes économiques ».(68)
La professeure tire son argument dans un rapport conduit par des experts de la Banque
Mondiale sur l’Afrique au sud du Sahara. Ledit rapport examine 29 pays engagés sur la voie
de l’ajustement structurel depuis le milieu des années 1980. En fait, elle a cité ce passage du
rapport : « Le succès de ces réformes (d’ajustement) suppose une transformation radicale du
rôle de l’Etat ».(69)
De plus, elle rappelle plus loin qu’ « il est suggéré de plus en plus que le redressement de
la situation en Afrique implique une redéfinition des relations entre bailleurs de fonds et
gouvernements. Plus spécifiquement, l’assistance technique devra être réorientée et mieux
gérée afin de donner la priorité au renforcement institutionnel, capacity building. En d’autres
termes, le véhicule qui contribuera aux réformes institutionnelles devra été amélioré afin de
garantir le succès des réformes économiques ».(70)
En réalité, la situation d’Haïti dans ses rapports avec les organismes internationaux de
financement est loin d’être différente de celle des pays d’Afrique. L’argument du
développement économique reste la finalité de leur action visant la reconceptualisation de
l’Etat en Haïti. Ils sont convaincus que le succès des réformes économique ne peut être
garanti sans la mise en place d’un certain modèle de direction et gestion publiques.
Donc ils promeuvent des réformes institutionnelles mettant en avant la bonne gouvernance ou en
encore la gouvernance démocratique comme préalable au développement économique.
En revanche, selon les professeurs Expert ICONZI, Gisèle BELEM et Corinne
GENDRON, présentant la bonne gouvernance en tant que fin et moyen du développement :
«… la bonne gouvernance ne saurait être ni un préalable ni une conséquence absolue du
développement. Inscrite dans une réinterprétation du développement, elle en constitue à la
fois une fin et un moyen (…). En faire une conditionnalité de l’aide au développement des
pays les moins avancés, autant que la renier à leurs peuples en en faisant une conséquence
absolue, constituent toutes deux des aberrations qui nuisent au développement humain
durable. »(71)
Pour ce qui nous intéresse plus spécifiquement dans le cadre de notre objet d’étude, le
phénomène de la mondialisation et surtout la dépendance financière d’Haïti vis-à-vis desdits
organismes internationaux l’empêchent d’être maitre de la conception et de l’orientation de
son modèle d’Etat.
Or le modèle de management de la Fonction publique et la philosophie de
sa modernisation participent d’une certaine conception de l’Etat. Comment l’Etat haïtien peutil
donc arriver à dépasser le préalable « quelle Fonction publique pour quel modèle d’Etat ? »
dans le cadre de son projet de modernisation de la Fonction publique ? Se met-il à l’écoute de
ses citoyens via la philosophie de l’Etat dégagée dans la Constitution du 29 mars 1987
adoptée dans le contexte de la chute du régime des DUVALIER, ou encore, est-il tiré par le
haut par ses partenaires financiers internationaux se trouvant obligé d’adopter une philosophie
de modernisation dont il n’est pas le maitre ? Y a-t-il effectivement une dichotomie entre la
conception de modernisation de la Fonction publique portée par desdits partenaires
internationaux et cette philosophie de l’Etat consacrée dans la Constitution de 1987 dont la
population haïtienne est le constituant originaire ? Que reste-t-il du principe de
l’autodétermination face au phénomène de la mondialisation financière et celui de la
dépendance économique d’Haïti ?
En effet, selon le lexique de science politique, l’autodétermination c’est un « principe
suivant lequel un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement,
indépendamment de toute puissance étrangère… »(72).
Pour sa part, le lexique des termes juridiques définit l’autodétermination comme « le fait
pour un peuple de choisir librement (par referendum) s’il entend ou non être souverain et
constituer un Etat, déterminer son système politique et économique ».(73)
Tenant compte de ce qui précède, tous les peuples de tous les Etats du monde peuvent en
quelque sorte prétendre, sans aucune influence étrangère, pouvoir eux-mêmes définir leur
propre système économique et leurs propres méthodes de gouvernement. C’est aussi une
conséquence du principe de l’égalité souveraine des Etats qui constitue l’un des fondements
de l’organisation des Nations-Unies(74). Ainsi, si tous les Etats sont-ils égaux en souveraineté,
comment certains d’entre eux pourraient-ils prétendre devoir déterminer ou réguler le système
politique ou économique d’autres Etats à leur place ?
68 B. CAMBELL. « Débats actuels sur la reconceptualisation de l’Etat par les organismes de financement
multilatéraux et l’USAID », article publié dans la revue Politique africaine – Besoin d’Etat, no 61, mars 1996,
page 9.
69 Banque Mondiale, « L’ajustement en Afrique : réformes, résultats et le chemin à parcourir », 1994, p. 257-
258, cité par B. CAMBELL, ibid., page 9.
70 Ibid , page 10.
71 « Conditionnalité gouvernance démocratique et développement, (dilemme de l’oeuf et de la poule) ou problème
de définition ? », Op. cit., page 44.
72 NAY, Olivier (sous la direction de). Lexique de science politique – Vie et institutions politiques, Dalloz, Paris,
2008, page 26.
73 GUINCHARD, Serge ; DEBARD, Thierry (sous la direction). Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris,
18ème édition, 2011, page 82.
74 L’article 2, Paragraphe 1 de la Charte de Nations-Unies énonce : « L’organisation est fondée sur le principe de
l’égalité de tous ses Etats membres ».