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A : L’arrêt Chronopost du 9 juillet 2002.

ADIAL

135. L’arrêt Chronopost du 9 juillet 2002 a mis en place un régime distinct propre au contrat type qui diffère pleinement de celui appliqué pour les clauses purement contractuelle (1). Toutefois, la solution a fait l’objet d’un débat doctrinal qui laisse transparaître une décision mitigée (2).

1 : La mise en place d’un régime distinct propre au contrat type.

136. Pour mesurer tout l’intérêt de cet arrêt de principe, il est nécessaire de revenir sur l’historique de cette affaire. Dans le célèbre arrêt Chronopost de 1996, la Chambre commerciale avait entrepris de réputer non écrite, en utilisant le concept de cause, la clause du contrat limitant l’indemnisation, en cas de retard dans la livraison, du prix facturé à l’usager. Faisant application de ces directives, la cour de renvoi, le 5 janvier 1999 , après avoir considéré que l’engagement de la société Chronopost s’analysait en une obligation de résultat, avait déclaré non écrite la clause limitative de responsabilité figurant au contrat. Elle avait par ailleurs écarté les prétentions de la société Chronopost qui soutenait que la suppression de la clause devait laisser place à l’application des dispositions du droit commun du transport, en l’occurrence celles du contrat type messagerie établi par le décret du 4 mai 1988, qui prévoit une limitation de responsabilité semblable à celle qui était contractuellement stipulée. Or, saisie d’un nouveau pourvoi, c’est sur ce dernier point que 9 juillet 2002, la Chambre commerciale de la Cour de cassation censura la décision de la cour de renvoi.

137. La Chambre commerciale a réglé la question de l’application du texte réglementaire. Elle a jugé « qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a(vait) violé l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988 ». Eliminée en tant que stipulation contractuelle, la limitation de responsabilité, au demeurant identique, réapparaît par l’application d’un texte réglementaire. Ainsi, « chassée par la porte , la clause limitative de réparation rentre par la fenêtre » .

138. Ainsi, seule la faute lourde du débiteur peut tenir en échec l’application d’un plafond légal d’indemnisation. On peut constater qu’en soi, cette considération n’est pas nouvelle. Comme nous l’avons étudié auparavant, il est admis que les clauses limitatives de responsabilité, si elles sont en principe valables en matière contractuelle, ne jouent pas en cas de dol ou de faute lourde du débiteur. Certes, dans un premier temps, cette solution ne concernait que les clauses de nature contractuelle et restait tenue à l’écart en présence de limitations de responsabilité d’origine légale ou réglementaire . Cependant, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, abandonnant tout traitement différencié, a jugé le 30 juin 1998 que la faute lourde du débiteur l’empêche de se prévaloir des limitations de responsabilité même lorsqu’elles ont une origine légale. La Cour de cassation accepte donc d’appliquer aux clauses limitatives de responsabilité d’origine légale ou réglementaire, et à elles seules, le régime de droit commun des obligations afin d’écarter les effets à travers la considération de la faute lourde qui demeure dans ce cas une source d’éviction avérée.

2 : Une solution discutée.

139. Malgré le fait que la Cour de cassation, à travers cet arrêt, marque sa volonté de ne pas enterrer la faute lourde, la doctrine, quant à elle, est restée divisée alternant les critiques et les justifications de la solution de la haute juridiction.

140. Le fait que la clause privée de validité, au regard des règles du droit commun des contrats, est en quelque sorte restaurée par le jeu des règles supplétives du droit spécial des transports a suscité des appréciations doctrinales contrastées et de nombreuses critiques. En effet, selon Messieurs les professeurs Grégoire Loiseau et Marc Billiau , malgré l’apparente logique de cette solution, il existe un paradoxe. Le fait de déclarer non écrite une stipulation comportant une limitation de responsabilité pour la remplacer par une siamoise est contradictoire. Le déséquilibre subsiste et la sanction se révèle en définitive inefficace. L’efficacité de la règle de l’article 1131 du Code civil n’est qu’un trompe l’œil car si elle commande la suppression de la clause contractuelle, elle n’empêche finalement pas l’application d’une clause identique du contrat-type arrêté par décret. Ce paradoxe semble cependant s’expliquer par la nature juridique du contrat-type établi par décret, au regard des pouvoirs dont le juge judiciaire est investi. En effet, malgré son appellation de « contrat », celui-ci est considéré par la jurisprudence civile comme un acte administratif (réglementaire) précisément parce qu’il est l’objet d’un décret. Or, le juge judiciaire se reconnaît traditionnellement incompétent pour apprécier la légalité d’un tel acte en vertu de la règle de la séparation des pouvoirs posée par la loi des 16 et 24 août 1790. En conséquence, il se refuse à écarter l’application d’un tel contrat pour contrariété à la loi. Lorsque l’illégalité est invoquée devant lui, il doit, dès lors qu’elle présente un caractère sérieux, renvoyer au juge administratif l’examen de cette exception et surseoir à statuer dans l’attente de sa décision . La première Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer, dans un arrêt du 31 mai 1988 , que « les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent sans méconnaître le principe de séparation des pouvoirs déclarer que des clauses figurant dans un décret ou reprises dans un règlement du service d’eau sont abusives ». C’est donc une simple règle de compétence qui fait obstacle à l’efficacité de la sanction civile.

141. Par ailleurs, Monsieur le professeur Jean-Pierre Tosi estime que « l’application du contrat-type était loin d’aller de soi ». Selon cet auteur, celle-ci suppose, d’une part, que la société Chronopost se soit contractuellement engagée en qualité de transporteur. Or, la qualification de « commissionnaire de transport aurait pu être recherchée » . D’autre part, l’esprit de la clause du contrat-type excluait nécessairement qu’elle puisse se substituer à la clause contractuelle réputée non écrite. Pour démontrer ce point de vue, ce même auteur explique que l’idée fondatrice sur laquelle repose le plafond légal réside dans l’existence d’une option offerte à l’expéditeur qui peut échapper au plafond de réparation en souscrivant une déclaration d’intérêt spécial à la livraison. Or, en raison de son libellé, la clause contractuelle supprime l’option en question. Ainsi, la prétendue substitution du plafond légal à la clause contractuelle, par l’effet de l’application du contrat-type, se solde, en fait, par l’impossibilité de l’expéditeur « d’échapper au plafond dérisoire d’indemnisation des dommages » causés par le manquement du transporteur à son obligation essentielle. Cependant, en dépit de ces objections, comme nous le verrons dans la suite des développements, la Cour de cassation a maintenu son cap.

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