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A : Le droit anglo-saxon.

256. Le droit anglo-saxon, de même que notre droit français, reconnaît la validité des clauses limitant la responsabilité. La théorie générale du droit des obligations anglais reste celle de la liberté contractuelle. Néanmoins, à l’image du mouvement d’éviction de ces clause dans notre droit interne, le droit anglo-saxon se forge des armes pour lutter contre celles qui sont manifestement excessives. Il présente principalement deux outils permettant de combattre les clauses limitatives de responsabilité manifestement abusives. Il s’agit en premier lieu de l’estoppel (1) et en second lieu de l’Unfair Contract Terls Act de 1977 (2).

1 : L’estoppel.

257. Alors que lorsque la France a commencé à s’intéresser à la notion d’obligation essentielle, l’Angleterre, quant à elle a cessé de s’y référer pour tenir d’avantage compte de la notion d’estoppel . Cette dernière a été traduite en français comme étant « la confiance légitime », ou encore « une interdiction de se contredire au détriment d’autrui ». Cette notion va en fait à l’encontre de la philosophie de Spinoza dans laquelle l’homme est libre de dire et de se dédire. Elle évoque l’idée d’un devoir de cohérence avec soi-même et de loyauté envers les autres.

258. Le droit anglo-saxon, et particulièrement le droit anglais, a consacré plusieurs formes d’estoppel : l’estoppel by representation et le quasi estoppel. Concernant le premier, il s’agit de celui dans lequel une personne (representor), par la représentation qu’elle a faite, en a induit une seconde (representee) à croire en l’existence d’un certain état de fait et à modifier sa position à son préjudice. Ainsi, l’estoppel by representation empêche définitivement l’auteur de la représentation d’établir une réalité différente de celle dont il a initialement établi la croyance . Il n’existe pas dans notre langue de vocable traduisant fidèlement le mot représentation. Ce dernier évoque l’idée d’attitude ou de comportement adopté par l’individu et recouvre également les actes juridiques . Cependant, depuis un arrêt Jorden vs Money, seules les représentations portant sur des faits existants sont susceptibles de donner lieu à un estoppel by representation. C’est ainsi que le quasi estoppel a été crée afin de remédier aux lacunes du premier. Ce celui-ci requiert la réunion de certaines conditions : en premier lieu la promesse initiale doit être claire et univoque, destinée à affecter les relations de droit entre les parties en induisant un comportement préjudiciable du promisee. Elle doit ensuite avoir effectivement influencé la conduite du destinataire de la representation, de telle façon que les conséquences d’un revirement éventuel du promisor puissent être considéré comme inéquitables. Enfin, le quasi estoppel ne peut être utilisé que pour empêcher l’exercice d’un droit durant une certaine période. Ainsi, le quasi estoppel sanctionne une contradiction entre deux attitudes successives du même sujet .

259. Maintenant que nous avons défini ce concept anglo-saxon, il convient de voir l’accueil qui lui est fait dans notre droit interne et savoir si à terme, il pourrait être utilisé comme mode d’éviction des clauses limitatives de responsabilité. Dans ce cadre, on ne peut que constater que ce principe tend à irriguer notre droit . Une partie de la doctrine l’a adopté en le désignant, comme nous l’avons vu précédemment, sous la formule de « principe de cohérence ». Nos tribunaux ne sont pas non plus restés insensibles à ces sirènes d’outre-Manche. C’est ainsi que la Cour de cassation , dans une affaire processuelle, a expressément visé et pour la première fois « la règle de l’estopel ». Il en est de même dans un arrêt encore plus récent en date du 27 février 2009 , où l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fait référence de manière expresse à l’estoppel, dans le cadre de la procédure civile. Cependant, dans cet arrêt, en même temps qu’elle s’y réfère, la Cour de cassation entend « se réserver…le droit d’en contrôler les conditions d’application » . En d’autres termes, il s’agit d’une notion de droit à part entière, dont la mise en œuvre n’est donc pas abandonnée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Par ailleurs, il est tout de même permis de douter de sa consécration en droit français. En effet, il vise certes l’estoppel, mais uniquement dans l’attendu qui résume l’arrêt d’appel qu’il casse…

2 : Le Unfair Contract Terms Act de 1977.

260. Le droit anglais connaît un autre instrument permettant d’évincer les clauses limitatives de responsabilité : le Unfair Contract Terms Act de 1977 . Il s’agit du premier texte législatif de grande ampleur destiné à lutter contre les clauses ayant trait à la responsabilité . Cependant, malgré son titre très large, la loi de 1977 ne lutte pas contre toutes les clauses de responsabilité ayant un caractère abusif. Le but est d’accorder une meilleure protection au consommateur contre les pratiques abusives des professionnels, d’une part, et de lutter contre les clauses déraisonnables dans les contrats entre professionnels quand l’un a abusivement profité de sa supériorité sur l’autre d’autre part . Ainsi, contrairement à notre droit français qui, dans sa législation sur les clauses abusives ne protège que les consommateurs et non les professionnels, le droit anglais possède un véritable texte législatif prenant en considération la vulnérabilité potentielle des professionnels. Cela pourrait inciter notre législateur à refondre sa législation sur les clauses abusives en prenant exemple sur cette loi. Cependant, malgré les efforts avoués de la Law Commission d’Angleterre et d’Ecosse, rédactrices du projet, le texte reste assez complexe et très anglais dans sa présentation, avec des définitions et le renvoi dans les annexes de questions importantes comme la liste des contrats non régis par la loi et les directives données au juge pour apprécier le caractère raisonnable ou non des clauses . Ainsi, notre législateur, s’il décidait d’adopter cette position et de prévoir des dispositions spécifiques à l’égard des professionnels, devrait améliorer le texte et l’adapter à notre philosophie du droit.

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