82. Les critiques adressées à l’assimilation traditionnelle ont d’abord été le fait de la doctrine qui, la première, a rappelé que l’identification entre la faute lourde et le dol n’était qu’une identification de régime et non de nature (1). Par ailleurs, le fait de dire que la faute lourde fait présumer l’intention coupable du dol semble, pour une partie de la doctrine, incohérent avec le principe selon lequel la bonne foi se présume (2). Pour ces deux raisons, la thèse de l’assimilation paraît donc être excessive.
1 : L’absence d’identité de nature.
83. Sur le plan des concepts, l’assimilation traditionnelle entre la faute lourde et le dol a été fortement critiquée par la doctrine dénonçant la distinction fondamentale qui existe entre les deux notions. En effet, dans le cadre de la faute lourde, si grave soit-elle, son auteur n’a pas désiré la réalisation du dommage, elle n’est pas intentionnelle. Elle s’analyse en une erreur, une négligence, une imprudence. Elle est de la même nature que la faute légère, dont elle est seulement séparée par une différence de gravité. Au contraire, depuis un arrêt du 4 février 1969 , les juges de la première Chambre civile estiment que « le débiteur commet une faute dolosive lorsque, de propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles même si ce refus n’est pas dicté par l’intention de nuire à son cocontractant ». Ainsi, quand bien même l’intention de nuire n’est plus exigée, la faute dolosive s’entend d’une faute intentionnelle. Ainsi, identifier faute lourde et faute dolosive, c’est mélanger quantité et qualité, confondre bêtise et méchanceté.
84. Par ailleurs, la faute lourde et le dol ne peuvent être assimilés du fait que ce dernier a un effet particulier qui est d’établir d’emblée la faute. En effet, comme le précise Monsieur le professeur Jambu-Merlin , dans notre droit de la responsabilité contractuelle, la faute est appréciée in abstracto. C’est la conduite que n’aurait pas suivi « un bon père de famille ». Peu importe l’attitude psychologique du débiteur. Or cette appréciation psychologique ne peut se faire qu’in concreto par rapport à l’individu qui a commis une faute dolosive.
85. Enfin, il existe encore une distinction d’importance entre la faute lourde et le dol entraînant un certain scepticisme quant à l’application de l’adage romain. L’inexécution intentionnelle est une négation du contrat . Il y a un refus d’exécution, même si ce refus n’est pas avoué. Les règles qui s’appliquent au dol sont donc des règles extracontractuelles. L’individu ne peut stipuler son irresponsabilité pour dol, parce que cela reviendrait à se réserver le droit de ne pas exécuter, donc à nier le contrat dès l’origine. Il ne peut pas non plus limiter sa responsabilité car ce serait encore se donner la possibilité d’une simple exécution partielle. Tout autre est la faute non dolosive qui reste dans le cercle contractuel qui confirme presque l’intention d’exécuter puisque c’est en exécutant que la déviation se produit. On reste alors dans le contrat.
2 : L’incohérence quant à la présomption de bonne foi.
86. Comme nous l’avons précisé auparavant, l’un des arguments favorables à l’assimilation de la faute lourde au dol est d’ordre pratique reposant sur une question de preuve. L’auteur d’une faute intentionnelle, dit-on, « prend le masque facile de la bêtise », il reconnaît sa faute mais pas l’intention. On coupe court à cette défense en estimant que la faute lourde fait présumer la faute dolosive. Cependant, très vite la doctrine a émis des réserves par rapport à cet argument. . Pour certains auteurs, s’il est exact que l’intention, élément psychologique, ne peut se prouver directement, et doit se présumer, en revanche, tirer de cette constatation la conséquence que le stupide doit être présumé méchant, cela n’est pas concevable, car c’est aller à l’encontre d’un des principes certains et fondamentaux de notre droit, à savoir que la bonne foi se présume, et c’est aussi faire de la mauvaise foi le principe et la bonne foi l’exception. Certes, parmi les présomptions que le juge apprécie et qui permettent de conclure à l’existence de l’intention, se trouve la gravité de la faute. Il est, en effet, tout à fait permis au juge de prendre en considération la faute lourde pour en déduire la faute intentionnelle. Néanmoins, il serait abusif d’établir en principe qu’il y a faute intentionnelle toutes les fois qu’il y a faute lourde, et cela quand bien même on permettrai à l’agent d’apporter la preuve contraire. Ainsi, la doctrine estime préférable de maintenir dans cette matière la règle de droit commun, qui impose à la victime la démonstration de l’intention du coupable, sachant que rien n’empêche les juges d’utiliser la présomption au regard de l’énormité de la faute.
87. Les divers arguments de la doctrine, en défaveur de l’équipollence comme une règle générale de notre droit, ne sont pas restés sans écho. En effet, tout en maintenant leur position de principe, les tribunaux lui ont apporté certains tempéraments à propos desquels ils se sont néanmoins montrés parfois hésitants.
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