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A/ L’initiation progressive d’un plafonnement au champ d’application restreint

Dans les conclusions du « rapport DUMAS », le groupe de travail se positionne
pour le maintien des régimes de responsabilités existants dans le secteur de la
construction. Selon lui, il faut maintenir le régime de responsabilité des sous-traitants à
l’écart de celui des constructeurs, supprimer le régime spécifique des fabricants
d’Eléments Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire (EPERS)88, renforcer la
Garantie de Parfait Achèvement (GPA)89 et conserver le régime de présomption de
responsabilité décennale.
Concernant ce dernier élément, la mission a conclu, dans sa majorité, qu’il ne
convenait pas, d’une manière générale, de plafonner la présomption de responsabilité
décennale des constructeurs.
L’inconstitutionnalité d’une éventuelle mesure de plafonnement de la responsabilité des
constructeurs est en effet un risque sérieux. La responsabilité décennale des
constructeurs a été instaurée afin de protéger le maître d’ouvrage de tous vices graves
affectant l’immeuble90. Elle est donc d’ordre public, le constructeur ne pouvant pas s’en
exonérer ni le maître d’ouvrage y renoncer.
Par ailleurs, le plafonnement de la présomption de responsabilité décennale ne
modifierait sans doute pas la pratique de l’assurance construction. En effet, les gros
sinistres donnent le plus souvent lieu à une procédure judiciaire, avec recherche
effective de responsabilité au-delà de la simple présomption.
La solution, en terme financier, passe alors par le plafonnement des garanties
assurantielles délivrées pour couvrir les responsabilités décennales dans le domaine de
la construction. C’est notamment ce que préconise le groupe de travail ayant rédigé le
« rapport DUMAS ».
Puisqu’il n’est pas opportun de modifier le régime de responsabilité décennale
des constructeurs, il apparaît intéressant d’envisager d’assouplir l’obligation
d’assurance responsabilité civile décennale. En pratique, le coût important des ouvrages
immobiliers met les assureurs construction dans une position délicate. Ceux-ci délivrant
une garantie à hauteur du coût de reconstruction de l’ouvrage, maintenir l’application
effective de l’obligation d’assurer ne pourrait que les inciter à se retirer du marché de
l’assurance construction et raréfierait ainsi une offre déjà limitée dans ce secteur !
Par conséquent, le groupe de travail a proposé de plafonner, à 30 millions
d’euros environ, la garantie due dans le cadre de l’assurance responsabilité civile
décennale obligatoire. La meilleure option semblerait autoriser un plafonnement du
montant de l’indemnisation versée par l’assureur, pourvu que le maître d’ouvrage
souscrive lui-même une deuxième assurance couvrant globalement la responsabilité de
l’ensemble des constructeurs dans le cadre d’un dispositif complémentaire, tel qu’une
police complémentaire de groupe. Ce plafonnement serait bien sûr réservé au domaine
des constructions hors logement, celui des ouvrages à usage d’habitation étant trop
sensible pour être sacrifié sur l’autel de l’économie assurantielle.
Peu de temps après la remise du « rapport DUMAS », le Bureau Central de
Tarification (BCT), à la demande de l’architecte du Musée du quai Branly, Jean
NOUVEL, a rendu une décision le 7 décembre 2006 qui fera date91.
A l’origine de cette procédure, deux des maîtres d’oeuvre intervenant dans la
construction du Musée des Arts Premiers sur le quai Branly à Paris, ne trouvaient pas
d’assureur pour leur délivrer une couverture en matière de responsabilité civile
décennale. Les assureurs desdits maîtres d’oeuvre, très conscients depuis quelques
années de la fragilité au plan légal des stipulations des polices construction sur les
plafonds de garantie, craignaient en effet le déplafonnement des garanties responsabilité
civile décennales en cas de sinistre total, faute de souscription par le maître d’ouvrage
public d’une police dommages ouvrage92 et donc, aussi, d’une police complémentaire
d’ouvrage couvrant collectivement la responsabilité civile décennale des constructeurs
au-delà de leurs plafonds respectifs93.
Les deux maîtres d’oeuvre, dont l’architecte Jean NOUVEL, ont donc saisi le
BCT qui, dans sa décision, a imposé à l’assureur de délivrer une assurance dans le cadre
des garanties obligatoires au sens de l’article L. 241-1 du Code des assurances94 et a
fixé un taux de prime avec un montant de franchise. Ces mesures s’inscrivent bien dans
le cadre classique des activités du BCT.
Mais, le BCT s’est également prononcé sur l’étendue des garanties obligatoires,
en les limitant à un certain niveau.
Cette décision vient donc en contradiction avec la jurisprudence qui proclamait, jusqu’à
présent, l’illégalité des plafonds des garanties d’assurance de responsabilité obligatoire
en matière de construction et limitait la garantie obligatoire à la seule réparation
matérielle de l’ouvrage95. Il en va différemment en matière de marchés publics puisque
le Conseil d’Etat valide les clauses limitatives96, justifiant ainsi la possibilité laissée au
constructeur de fournir une attestation d’assurance responsabilité civile décennale
limitée au montant de responsabilité plafonnée. En l’espèce, le débat est porté sur le
terrain de la validité d’un plafond de garantie stipulé dans le texte d’une police
responsabilité civile décennale et c’est la jurisprudence de la Cour de cassation, sur
l’interdiction de plafonner l’assurance construction obligatoire, qui aurait du
normalement s’imposer.
De plus, la décision rendue par le BCT apparaît en contradiction avec le champ de ses
attributions. En effet, l’alinéa 2 de l’article L. 243-4 du Code des assurances énonce que
« le BCT a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle
l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé.
Il peut déterminer le montant d’une franchise qui reste à la charge de l’assuré ». Le
BCT a donc pour seule fonction de faire respecter l’obligation d’assurer permettant à
tout constructeur, devant souscrire une garantie obligatoire, de trouver un assureur pour
le couvrir. Or, en décidant comme il l’a fait le 7 décembre 2006, le BCT a outrepassé
ses pouvoirs. Cet excès de pouvoir est d’autant plus contestable que, l’article R. 243-11
du Code des assurances qui prévoyait expressément la possibilité pour le BCT de
moduler l’obligation d’assurance en fonction de l’importance du risque, a été abrogé par
l’article 1er du décret n°92-1241 du 27 novembre 199297. Il est donc étonnant de
constater qu’à la demande de maîtres d’oeuvre de se voir délivrer une garantie
d’assurance partielle, le BCT retrouve des pouvoirs que la loi ne lui donne pas et qui ont
même été expressément abrogés !
Cependant, la décision du BCT part d’une bonne intention : favoriser, en
limitant le montant de l’assurance obligatoire, l’assurabilité des plus grands chantiers,
au-delà d’un seuil d’environ 250 millions d’euros, pour lesquels la capacité de
couverture financière du marché est aujourd’hui insuffisante. Il ne semble pas que
l’assurabilité du risque innovant ait motivé le BCT dans son choix. Pour autant, les deux
problématiques peuvent se rejoindre, comme on le constate avec l’évolution de la
réglementation qui confirme le plafonnement généralisé des garanties décennales.

88 Pour tenir compte de l’importante évolution de la filière industrielle dans le domaine de la construction,
l’article 1792-4 du Code civil prévoit un régime de responsabilité qui pèse sur l’ensemble des fabricants
de matériaux dont les procédés, aptes à être intégrés en l’état à la construction, sont à eux seuls
générateurs de risque (www.smabtp.fr, Dossier pratique, EPERS : quelles responsabilités pour les
fabricants ?).
89 Elle rend responsable le constructeur d’ouvrage immobilier de la réparation des vices apparents ayant
fait l’objet de réserves de la part du maître de l’ouvrage à la réception ou des vices apparus après réception
et notifiés par ce dernier au constructeur.
90 www.jebatis.com
91 DESSUET Pascal, Assurance construction, La décennale bientôt plafonnable, Le Moniteur,
29 décembre 2006.
92 Les maîtres d’ouvrage publics ne sont pas soumis à l’obligation d’assurance dommages ouvrage prévue
par l’article L. 243-1-1 du Code des assurances.
93 DESSUET Pascal, La légalisation des plafonds de garantie des polices RC décennales, Les trois actes
d’une mauvaise pièce…, Gazette du Palais, vendredi 23, samedi 24 février 2007, p.12.
94 Selon cet article « toute personne physique ou morale dont la responsabilité décennale peut être
engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil à
propos de travaux de bâtiment, doit être couverte par une assurance ».
95 Civ. 1ère, 12 mai 1993, UAP c/ SA France Bennes et autres, D. 93.IR.141.
96 CE 29 janvier 1998, n°138650, Société Borg Warner, Rec. Lebon.
97 JO n°277 du 28 novembre 1992.

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