196. L’existence dans un contrat, fut-il conclu entre professionnels, d’une clause qui est le fruit d’une inégalité entre les contractants n’est pas impossible. L’inégalité des contractants n’est pas l’apanage des rapports entre les consommateurs et les professionnels. Cependant, dans ce cadre là, il n’existe pas en leur faveur de régime spécifique (1) contrairement à ce qu’il existe pour les relations entre consommateurs et professionnels. Or, la notion d’obligation essentielle permet de lutter contre ces clauses abusives en prenant en considération la vulnérabilité potentielle du professionnel (2).
1 : L’absence de régime spécifique.
197. La législation sur les clauses abusives ne joue pas entre professionnels depuis que la haute juridiction a retenu une conception restrictive du consommateur . Elle énonce aujourd’hui qu’une personne ne peut se prévaloir de la législation des clauses abusives dès lors que le contrat qu’elle conclut a un « rapport direct » avec son activité professionnelle . La jurisprudence semble considérer qu’un tel rapport existe dès lors que le contrat a été conclu à des fins professionnelles.
198. Certes, ce n’est pas à dire que les professionnels soient, en la matière, dépourvus de toute protection. Cependant, ils ne bénéficient pas d’un régime spécifique qui leur permettrait, de la même manière que les consommateurs, d’évincer facilement les clauses reconnues par avance comme abusives. En réalité, c’est par le biais de dispositions éparses du droit que les professionnels peuvent se protéger actuellement contre ces clauses. En effet, comme le précise Monsieur le professeur Denis Mazeaud , ces dernières peuvent être écartées sur le fondement du devoir de loyauté exprimé à l’article 1134 du Code civil. L’exigence de loyauté conduit à refuser au contractant, qui consciemment ne respecte pas sa promesse, de s’abriter derrière la clause pour atténuer sa responsabilité. Par ailleurs, plus que le droit commun qui n’assure qu’une protection imparfaite, le droit de la concurrence pourrait semble-t-il de prime abord être le plus adapté pour atteindre cet objectif. Cependant, le contrôle n’est concevable que si la clause litigieuse répond à la qualification d’une pratique anticoncurrentielle, c’est à dire par exemple en cas d’abus de dépendance économique ce qui limite le champ d’application de cette solution .
199. Ainsi, la doctrine a fait part de son inquiétude face à cette faible protection dont jouissent les professionnels. Les notions d’abus et de bonne foi ont fait preuve de leur faible rendement en terme de protection. C’est pourquoi, les juges ont pris en considération la réelle vulnérabilité des professionnels et ont utilisé la notion d’obligation essentielle pour y remédier.
2 : La prise en considération de la vulnérabilité potentielle du professionnel.
200. Certains auteurs ont souligné que « le label de professionnel n’est pas un antidote à l’inégalité et à l’injustice contractuelles » . Et de fait, il est des professionnels qui, pas plus que les consommateurs, n’apprécient exactement la portée des clauses qui leur sont imposées par leur cocontractant . Ainsi, face aux déséquilibres excessifs ou significatifs engendrés par les clauses contractuelles, la chasse est ouverte par la jurisprudence contre ces dernières, et cela afin de protéger un minimum les professionnels. C’est ainsi que les juges ont fait resurgir l’utilité de la notion de cause, et par là même la notion d’obligation essentielle, en tant que mécanisme général de protection de la partie faible, que celle-ci soit un professionnel ou non. En effet, l’obligation essentielle prône le respect des termes du contrat en refusant que les obligations souscrites soient anéanties par d’autres stipulations contractuelles accessoires et contradictoires .
201. Ainsi, avec la solution de l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation a trouvé le bon moyen pour écarter dans les contrats entre professionnels des clauses qui déséquilibrent manifestement les obligations des parties, c’est à dire, des clauses qui font que les obligations souscrites par l’une ne trouvent pas une raisonnable contrepartie dans celle assumées par l’autre . Ainsi, la Cour de cassation a donc instauré une limite à l’encontre des clauses relatives à la responsabilité. Ces dernières ne doivent pas porter atteinte à l’essence du contrat. Dans le cas contraire, elles seront, à l’image des clauses dites abusives en vertu de l’article L.132-1 du Code de la consommation, réputées non écrites. L’idée de retenir une sanction identique à celle édictée par la législation spéciale sur les clauses abusives révèle bien la volonté des juges de donner un minimum de sécurité juridique aux professionnels et d’instaurer une interdiction de portée générale, objective et systématique d’éradication des clauses abusives dans les contrats conclus entre toute partie. Ceux qui sont conclus entre professionnels ne sont donc plus mis à l’écart .
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