En réalité, l’informatisation du travail administratif ou encore l’électronisation de
l’Administration a été déjà présentée par les pouvoirs publics en Haïti comme un levier
majeur de la réforme des services publics et de la Fonction publique.
Pour nous en convaincre, le Premier Ministre Jacques Edouard ALEXIS, dans son Avant-
Propos présenté in limine dans le document présentant le « Programme-cadre de la réforme
de l’Etat 2007-2008 », a mentionné parmi les objectifs assignés à cette réforme l’importance
d’ « exploiter les possibilités immenses offertes par l’utilisation et la généralisation des
Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ».(118) D’ailleurs,
l’électronisation de l’Administration c’est l’un des six volets du Programme-cadre aux côtés
de la réforme de l’Administration centrale, de la réforme de la Fonction publique, de la
déconcentration des services publique, de la décentralisation et de la modernisation du cadre
physique des services publics.
Dans l’axe 6 dudit programme, intitulé : « Mise en place d’un système d’e-gouvernance »,
nous pouvons lire : « Cet axe programmatique vise à renforcer les capacités de
l’Administration à exploiter les capacités des TIC ainsi que les pratiques modernes de gestion
qui s’y rattachent. Il envisage de mettre en place un système de gestion de l’information
appelé à rendre l’action publique plus visible, plus transparente, plus cohérente et un système
de gestion des ressources matérielles, humaines et financières conduisant à plus d’efficacité
et d’efficience ».(119)
En revanche, est-ce un phénomène de mode comme pour dire qu’Haïti veut entrer dans la
société de l’information? Où on est-on effectivement avec ce processus d’électronisation de
l’Administration publique ? Quelles peuvent être les avantages internes et externes de
l’utilisation des NTIC dans les services publics et la Fonction publique ?
Selon le professeur Annie BARTOLI :
« Deux voies de e-administration se développement de façon complémentaire :
L’usage interne des TIC au service de l’organisation et des méthodes de travail ;
L’usage externe des TIC qui traduit la mise en relation sous forme électronique de
l’organisation publique et de ses publics »(120).
Tout en rappelant que l’accent est surtout mis dans la communication politique, voire les
media sur la seconde voie, elle fait ressortir l’importance de la première voie : « La mise en
place d’intranet, les échanges électroniques internes, l’usage de plus en plus fréquent de
progiciels dans les activités des agents publics, et plus largement l’utilisation de diverses
technologies de mise en relation, constituent une transformation profonde des modes de
travail des organisations de ce secteur. Comme pour l’entreprise, cela suppose un pilotage du
changement et une gestion des nouvelles compétences requises, dans le cadre d’une politique
cohérente.
Faute de quoi, l’organisation tombe dans un travers techniciste, avec l’illusion de
l’outil miracle, alors que les problèmes organisationnels et stratégiques demeurent, voire
empirent… ».(121)
En grosso modo, l’usage interne des TIC dans les Administrations vise à améliorer leur
fonctionnement interne moyennant un pilotage programmé de cette transformation et des
ressources humaines qualifiées disponibles.
L’usage interne des TIC dans la Fonction publique en Haïti aura facilité, entre autres, les
échanges entre les Fonctionnaires d’un même corps par le développement de forums en vue
de partager des expériences, des difficultés et des enjeux dans le cadre de leurs travaux
quotidiens au sein des services publics. Vu que les meilleurs cadres de la Fonction publique
veulent rester à la capitale à cause d’une quasi-absence d’infrastructures dans les zones de
provinces, en attendant de pallier ce problème, l’Etat haïtien gagnerait vraisemblablement
gros à les garder à la capitale tout en s’assurant qu’ils peuvent téléconseiller ou partager en
ligne leurs acquis de l’expérience professionnelle, via ces dispositifs, à des collègues moins
qualifiés et expérimentés de certaines villes de provinces. Par suite, l’une des conséquences
immédiate d’une telle démarche aura été l’amélioration de la productivité(122) des agents de la
Fonction publique en vue de la satisfaction des usagers des services publics.
Par ailleurs, le professeur BARTOLI définit l’usage externe des TIC, la « seconde voie »,
comme : « la mise en relation de la puissance publique et de ses usagers par le biais des
TIC (…). Il vise à rapprocher l’organisation publique du citoyen et à atténuer, voire à
effacer, la barrière bureaucratique aveugle qui s’était traditionnellement mise en place entre
eux ».(123)
Selon une recherche menée par D. M. West, « en utilisant les services en ligne, les
citoyens ont une perception plus positive de la performance et de la qualité des services
publics »(124).
Pour sa part, le professeur Henri OBERDORFF, réfléchissant sur les téléservices(125) en
France avance : « Le recours à l’Administration électronique, pour les relations entre
administration et administrés, représente un progrès majeur, sans se substituer à
l’Administration de proximité, par les avantages qu’elle procure aux administrés, comme par
exemple : l’ouverture permanente des téléservices, la dispense de déplacement physique vers
les administrations, le gain de temps et le gain financier ».(126)
L’usage externe des TIC dans les administrations publiques haïtiennes aura été susceptible
d’apporter une transformation profonde dans la qualité de la relation entre les services publics
et les usagers, moyennant que l’Etat haïtien s’engage et s’implique du même coût à réduire
sinon minimiser la fracture ou le fossé numérique entre les différentes couches de la
population.
Le problème de l’inaccessibilité des services administratifs, par exemple, aura été atténué.
Combien de citoyens ayant déjà trouvé la mort sur les routes dangereuses de certaines
contrées en laissant une ville de province pour entrer à Port-au-Prince, la capitale, en vue de
retirer un document administratif qu’ils pourraient juste faire sortir eux-mêmes chez eux à
partir du portail électronique du service concerné?
L’usage de la téléprocédure peut aussi contribuer à rendre les Administrations plus
transparentes et donc permettre aux citoyens de prendre confiance dans le secteur public.
Le téléservice, la mise en ligne, entre autres, d’informations et de documents administratifs, des
instruments juridiques, la réduction des délais d’attentes de traitement des dossiers, la
réduction de la corruption, l’élimination des déplacements de guichet en guichet sont autant
d’avantages que peut offrir une Administration électronique.
Toutefois, l’Etat haïtien se devra aussi de réformer son corpus juridique afin d’encadrer
juridiquement cette innovation dans la gestion publique. L’enjeu c’est que le document
administratif obtenu en ligne doit avoir la même valeur juridique que s’il était retiré dans les
locaux du service. Sinon, l’Administration électronique commencerait à perdre de son sens.
Mise à part cette mise en garde relative à la nécessité d’aménager la législation haïtienne,
l’Etat haïtien, peut-il effectivement entrer dans cette ère de modernité face aux défis de la
pauvreté ?
118 Op. cit., page 6.
119 Op. cit., page 37.
120« Management dans les organisations publiques », op. cit., page 383.
121 Idem, page 384.
122 En réalité, ici, le concept Productivité est utilisé dans le sens d’un indicateur de performance. Selon Valentin
K. DOVONON : « La productivité est la production réalisée en un temps donné (heure, jour, semaine, mois,
etc.) par un individu, un groupe d’individus ou une institution donnée (…). Toutefois, dans l’Administration
publique, c’est l’esprit qui se cache derrière la productivité qu’il convient d’adopter : les données à mesurer ne
se prêtent pas souvent à un comptage systématique, et l’appréciation risque d’être plutôt qualitative que
quantitative. Le principe de la productivité, adopté dans son esprit, pourrait consister à ce que l’agent, appelé à
exécuter une tâche, l’exécute avec diligence et minutie ». Cf : DOVONON, Valentin K. « Méthode de la
nouvelle gestion publique : responsabilité, accessibilité, productivité, résultats et clients, etc. », CAFRAD,
Tanger, 2001, pages 6 et 7.
123 A. BARTOLI. « Management dans les organisations publiques », op. cit., page 384.
124 WEST, Darrel M. « E-government and transformation of service delivery and citizen attitudes », University
of Brown, Taubman Center for Public Policy an American Institutions, USA, 2001, cité par Annie BARTOLI in
« Management dans les organisations publiques », op. cit., page 383.
125 Selon l’ordonnance no 2005-1516 du 08 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers
et les autorités administratives et entre les autorités administratives, est qualifié de téléservice : « Tout système
d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités
administratives ».
126 OBERDORFF, Henri. « La démocratie à l’ère numérique », Presses Universitaires de Grenoble, 2010, page 83.