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A :Un nouvel élargissement de la notion.

268. L’idée de procéder à un nouvel élargissement de la notion ne signifie nullement de revenir à la conception d’avant les arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 . En effet, Monsieur le professeur Thomas Génicon , suivi par Monsieur le professeur Denis Mazeaud , partent du principe que les clauses limitatives de responsabilité sont toujours valables. Cependant, lorsque ces dernières dépassent certaines limites, c’est à dire qu’elles n’assurent pas seulement la réparation anticipée des risques non fautifs d’inexécution du contrat, il faut les bloquer car elles permettent une exonération qui n’est plus légitime. Dans cette perspective, ces deux auteurs on proposé de remettre la faute lourde au centre du régime des clauses limitatives, mais d’en retoucher la notion.

269. Il s’agirait bien sûr, de commencer par rejeter la conception purement objective de la faute lourde, qui consistait, comme nous l’avons précédemment, à la définir comme celle qui touche une obligation essentielle, sinon l’on en reviendrait au point de départ. C’est à partir de là qu’une approche renouvelée de la faute lourde pourrait être envisagée offrant ainsi davantage de souplesse, tout en intégrant les préoccupations qui ont motivé les innovations de la jurisprudence Chronopost. Ce qu’il faut, selon Monsieur le professeur Philippe Delebecque , c’est une « variable d’ajustement », et cette variable, qui permettrait un traitement adapté, pourrait être trouvée dans une faute lourde qui ne serait plus la faute lourde objective, mais qui ne serait pas non plus définie de façon uniquement subjective. De ce fait, Monsieur le professeur Thomas Génicon , propose que les juges soient invités à user de plusieurs variables qui seraient rendues interdépendantes à la façon de vases communicants : « d’un côté, l’importance (satisfaisante ou scandaleusement dérisoire) du plafond de responsabilité compte tenu de l’économie générale de la convention et des promesses que l’on a fait miroiter, de l’autre, le comportement adopté dans les faits par le débiteur lors de l’exécution ». Le juge pourrait alors faire un tri de la manière suivante : plus le plafond d’indemnité serait bas et plus le prestataire de services se serait vanté de ses mérites, plus le juge devrait se montrer exigeant à son égard et donc, les tribunaux admettront plus facilement la faute privant consécutivement d’efficacité la clause limitative de responsabilité . Le degré d’exigence à l’égard du débiteur serait donc immédiatement fonction du montant de la clause limitative de responsabilité et des promesses faites. Cela aurait l’avantage d’instaurer un véritable équilibre : plus le plafond est limité et plus le juge serait en droit de se montrer intraitable vis à vis du débiteur. Au contraire, plus le plafond est élevé, et plus le juge pourrait se montrer compréhensif.

270. Au final, cette faute lourde repensée, et faite à la fois d’objectivisme et de subjectivisme, offrirait au juge toute une gamme de solutions sur mesure combinant à la fois l’appréciation du comportement exact du débiteur avec l’étude de l’équilibre contractuel.

271. Cependant, on peut émettre certaines objections. Tout d’abord, avec un concept aussi large, il serait quasiment impossible de faire les frais d’une variabilité des solutions, cela étant plutôt nocif pour la prévisibilité et donc la sécurité juridique. A cela, Monsieur le professeur Thomas Génicon répond qu’il n’y aurait à cela rien de choquant, car « c’est l’essence même du concept de faute lourde que d’être susceptible d’une appréciation diverse, et de donner prise, en partie, à une appréciation d’ordre moral ». Certes cela permettrait de faire le tri entre ceux qui se sont rendus coupables d’un comportement indigne et ceux qui ont davantage joué de malchance. Néanmoins, les justiciables auront beau regarder la jurisprudence, ils ne sauront pas de quelle manière sera jugée leur propre affaire…Par ailleurs, les inconvénients que l’on a pu observer à propos de la preuve risquent de demeurer. En effet, la faute devra, selon cette analyse, toujours être prouvée par le créancier, faute de quoi, la limitation de responsabilité trouvera à s’appliquer.

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