51. La consécration de l’approche subjective stricte de la faute lourde a été réalisée récemment par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 avril 2005 (1). Face à cette décision d’importance, la Chambre commerciale s’est immédiatement alignée en confirmant la volonté de la Cour de cassation de recentrer la notion de faute lourde autour des critères subjectifs (2).
1 : Les arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005.
52. Pour mesurer tout l’intérêt de cet arrêt de principe, il est nécessaire de revenir sur l’historique que nous reverrons plus en détail au cours de nos développements. Dans un premier épisode Chronopost (Chronopost 1), la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait entrepris de réputer non écrite, en utilisant le concept de cause, la clause du contrat limitant l’indemnisation en cas de retard dans la livraison du prix facturé à l’usager . Par la suite, un autre arrêt Chronopst (Chronopost 2)fut rendu dans la même affaire qui redonna la vie à la limitation de responsabilité sans revenir pour autant sur la solution antérieure. La Chambre commerciale, tout en relevant que la clause limitative de responsabilité était réputée non écrite, estima que le plafond légal d’indemnisation, fixé par le contrat type de messagerie approuvé par décret, devait s’appliquer et ne pouvait être écarté qu’en cas de faute lourde . La conception de celle-ci devenait donc cruciale.
53. Ainsi, la question qui était posée à la Cour de cassation était la suivante : l’inexécution de l’obligation essentielle souscrite par le transporteur rapide est-elle suffisante pour caractériser la faute lourde, susceptible de neutraliser le plafond légal de réparation, ou la preuve d’autres éléments que celle du retard est-elle, à cette fin nécessaire ?
54. La Cour de cassation, le 22 avril 2005 (Chronopost 3), réunie pour l’occasion en
Chambre mixte en raison d’un partage égal des voix au sein de la Chambre commerciale, décida de reprendre la définition que l’on retrouve habituellement dans les arrêts de la Chambre commerciale, notamment en matière de transport où la faute lourde joue un rôle particulier pour écarter divers plafonds d’indemnisation résultant de dispositions légales ou de conventions internationales. C’est ainsi qu’elle rappelle que la faute lourde est caractérisée par « une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle » . Cette formule s’attache de manière explicite à l’examen du comportement de l’auteur et correspond aux critères subjectifs de la faute lourde. Par ailleurs, la Cour de cassation précise que la faute lourde d’un transporteur ne peut résulter du seul retard de livraison, alors même que ce retard constitue un manquement à une obligation essentielle dans les contrats de messagerie rapide. Ainsi, la Haute juridiction marque, et cela sans équivoque, son attachement à la conception subjective de la faute lourde et tourne délibérément le dos à la conception objective.
55. Ce choix a été approuvé par un certain nombre d’auteurs qui estimaient que l’extension, dont faisait l’objet la faute lourde, était à certains égards exagérée et aboutissait à retenir trop facilement la faute lourde afin de pourvoir écarter une clause limitative de responsabilité. Ainsi, la conception subjective permet d’éviter une acceptation trop généreuse de la faute lourde ce qui aurait fatalement provoqué une augmentation du coût de l’assurance . Par ailleurs, ils considéraient que l’appréciation de la gravité de la faute ne devait dépendre que de l’examen du comportement de l’auteur, l’importance de l’obligation transgressée ne devant être qu’un élément d’appréciation parmi d’autres de l’écart de conduite du débiteur. Enfin, ce recadrage de la faute lourde serait justifié du fait qu’on lui attribue souvent un rôle de pénalisation de responsabilité en considérant que le débiteur qui commet une telle faute ne mérite plus l’avantage qu’il tient de la limitation d’indemnisation.
56. Cependant, cette approbation a néanmoins été nuancée par ces mêmes auteurs. En effet, la critique vient du fait que, pour beaucoup, les deux conceptions ne se chassent pas l’une de l’autre, elles se complètent afin d’assurer une ferme discipline des clauses limitatives de responsabilité , ces dernières étant souvent considérées comme l’archétype de la clause abusive. La solution de la Chambre mixte serait donc excessive. Certes, il est normal d’exclure les considérations qui tiennent uniquement à l’ampleur des conséquences de l’inexécution de l’obligation car cela relève du dommage alors que la faute lourde sanctionne un comportement. En revanche, la notion de manquement à une obligation essentielle n’est pas forcément étrangère à la faute lourde. Comme le précise Madame le professeur Geneviève Viney, « le contrat se définit bien davantage aujourd’hui par son contenu, son intérêt pour les parties, c’est à dire les obligations qu’il crée, que comme une norme de conduite imposant certains comportements » . De plus, le manquement à une obligation essentielle est souvent révélateur de l’inaptitude du débiteur à accomplir sa mission contractuelle.
57. Ainsi, une solution plus nuancée aurait pu être recherchée, notamment, tout en conservant une définition subjective de la faute lourde, d’admettre qu’un manquement à une obligation essentielle puisse faire présumer cette faute. La présomption resterait simple afin de permettre au débiteur de la renverser en établissant les circonstances qui justifient sa négligence.
58. Cependant, cela n’a pas été le choix de la chambre mixte qui a préféré s’en tenir à une définition subjective stricte, choix, qui a été aussitôt confirmé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
2 : L’alignement de la Chambre commerciale.
59. Pour trancher la délicate question de la notion de faute lourde susceptible de priver d’effet la clause limitative de responsabilité, la Chambre commerciale s’est alignée sur la position adoptée par la Chambre mixte. En effet, dans un arrêt du 21 février 2006 (Chronopost 4), relatif une nouvelle fois à la responsabilité d’un transporteur, la cour énonce que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fut-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ». Ainsi, la Chambre commerciale exprime, de manière encore plus précise et plus ferme que la Chambre mixte, son ralliement à la conception subjective de la faute lourde. Elle refoule ouvertement toute velléité d’objectivation. La gravité de la faute ressort d’une défaillance inadmissible dans la manière d’exécuter l’obligation et se rapporte à la conduite du débiteur.
60. Par la suite, la Chambre commerciale a repris cette solution dans deux arrêts, l’un du 30 mai 2006 , l’autre du 13 juin 2006 . Ainsi, la gravité de la faute est mesurée à travers l’inaptitude du débiteur.Il semble qu’il faille y voir un abandon de tout critère objectif, cependant, certains doutes subsistent.
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