219. La clause réputée non écrite ne peut que provoquer une discussion quant à sa légitimité. En effet, loin de ne présenter que des désavantages et des contradictions, cette sanction permet, dans un certain sens, de préserver de manière surprenante l’autonomie de la volonté (1) d’un côté, et d’un autre côté, d’être envisagée comme un mode de sauvetage du contrat en n’anéantissant nullement ce dernier dans son entier (2). Toutefois, la sanction du réputé non écrit prend sa source, comme nous l’avons vu auparavant, sur la cause. Or, ce fondement est largement critiqué par la doctrine qui estime qu’il est difficilement compatible avec cette sanction (3).
1 : La préservation de l’autonomie de la volonté.
220. Légitime, la sanction du réputé non écrit semble l’être parce qu’elle assure efficacement le respect du principe de l’autonomie de la volonté en faisant prévaloir la fin poursuivie d’un commun accord par les parties sur ce qui pourrait l’entraver . En effet, en écartant une clause du contrat, le mécanisme du réputé non écrit n’est que d’apparence en contradiction avec le principe de l’autonomie de la volonté. Sans doute, le fait de réputer non écrite une clause qui est pourtant inscrite au contrat semble aller à l’encontre de la volonté des parties. Cependant, comme le fait remarquer Madame Sophie Gaudemet , cette approche dissimule une donnée essentielle : si les parties se sont engagées, c’est d’abord et avant tout pour parvenir à une fin. La clause incohérente au regard de la fin poursuivie doit dès lors être réputée non écrite. S’il se trouve que certaines clauses entravent la réalisation de l’objectif poursuivi, c’est finalement servir l’autonomie de la volonté que de les écarter en les déclarant non écrites. De la sorte, la sanction du réputé non écrit permet d’assurer la bonne fin du contrat, purgé des clauses qui pourraient l’entraver, puisque celles-ci sont supprimées.
221. Dès lors, on comprend, et on peut considérer comme légitime, les juges qui déclarent non écrites les clauses d’un contrat qui modifient l’objectif initial des parties. Certes, cette intervention du juge ne trouve pas de disposition législative lorsque l’on se trouve en présence de clauses abusives entre professionnels, mais ici, elle trouve son fondement dans une conception matérielle de l’autonomie de la volonté et dans les conséquences qui en résultent quant à la force obligatoire du contrat . En effet, si la loi donne force obligatoire à l’accord des volontés , ce doit être en tant qu’il permet la réalisation de cette fin. « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » seulement si leurs stipulations ne compromettent pas la réalisation de la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord en adhérent à un contrat spécifique. L’obligation essentielle d’un contrat doit dès lors nécessairement produire effet. La clause qui entrave les effets de cette obligation doit être automatiquement privée de force obligatoire. C’est là donner son plein effet à la volonté commune des parties .
2 : Un mode de sauvetage du contrat.
222. Légitime, la sanction du réputé non écrit semble l’être aussi, parce qu’elle permet de ne pas anéantir le contrat. Bien au contraire, elle procède à une véritable correction de ce dernier . En effet, dans le cadre de la jurisprudence Chronopost, la clause limitative insérée par Chronopost dans ses contrats avait pour effet de porter atteinte à l’obligation essentielle, et de rendre insuffisante la cause de l’engagement de l’expéditeur au regard de l’objet, à savoir le tarif payé par ce dernier, largement supérieur au tarif postal habituel. Il existait un manque d’équivalence entre l’objet et la cause, qui préjudiciait à l’un des contractants. La convention faisait donc subir à l’une des parties des pertes auxquelles elle n’avait pas consenti. Ici, de la même manière que pour les clauses de claims made , la Cour n’a pas annulé le contrat dans son ensemble, mais a choisi de le corriger, en réputant non écrite la clause litigieuse.
223. Cette solution a le mérite de prendre en considération la valeur du contrat, et d’éviter sa disparition qui serait souvent plus préjudiciable à la victime du déséquilibre qu’à son bénéficiaire .
3 : La cause : un fondement néanmoins difficilement compatible.
224. Certes, dans sa thèse, Madame Gaël Piette justifie la théorie de la cause comme fondement de la sanction du réputé non écrit. En effet, elle estime qu’il faut différencier l’absence de cause de l’insuffisance de cause. Dans le premier cas, il est impossible de sauver le contrat, et donc de réputer la clause non écrite, car celui-ci est trop gravement atteint pour pouvoir subsister. En revanche, lorsque la cause est seulement insuffisante, l’acte peut être sauvé. L’auteur fonde cette solution en étudiant l’article 1131 du Code civil a contrario , lequel précise qu’une « obligation sans cause (…) ne peut avoir aucun effet ». Ce texte ne concerne que l’absence totale de cause, en raison de l’utilisation de la préposition « sans ». Celle-ci exprime, en effet, l’absence de cause. Le contrat sans cause ne peut donc avoir aucun effet du fait de sa nullité. En sens contraire, il apparaîtrait qu’une insuffisance de cause n’a pas à influer sur l’existence même du contrat. Par conséquent, elle ne saurait engendrer son anéantissement, mais davantage sa correction, qui permettra de rééquilibrer les intérêts de chaque contractant, de manière à rétablir la suffisance de la cause.
225. Cependant, cette analyse n’est pas celle de beaucoup d’auteurs qui estiment, au contraire, que la cause est un fondement difficilement compatible, explicable avec la sanction du réputé non écrit. En effet, fondée sur la cause, la sanction prononcée a surpris une partie de la doctrine. Entendue comme une condition de validité des conventions , la cause appelle logiquement la sanction de la nullité de la convention dans son entier en cas d’absence. La Cour de cassation retient néanmoins, non la nullité du contrat, mais la sanction de la seule clause litigieuse réputée non écrite, semblant ainsi admettre la notion d’absence partielle de cause dont les effets seraient plus limités. Cependant, selon Monsieur le professeur Daniel Cohen , une telle sanction ne peut se concevoir que pour une clause accessoire, qui ne menace pas l’ensemble, et qu’il est alors possible de réputer non écrite pour limiter l’intervention du juge à ce qui paraît utile. En revanche, elle paraît difficilement compatible avec un manquement à une obligation jugée essentielle par la Cour de cassation : un tel manquement devrait nécessairement entraîner, selon cet auteur, parce qu’il porte sur l’essence même du contrat, sa nullité intégrale. La même analyse se retrouve sous la plume de Monsieur le professeur Dimitri Houtcieff qui s’étonne de ce que « l’absence de cause n’entraîne pas la nullité du contrat ». Il tente d’expliquer la solution par le « défaut de contrepartie sérieuse ». En effet, « si on examine attentivement les espèces dans lesquelles le juge s’est livré à l’appréciation de la validité d’une seule clause au regard de l’existence de la cause, il en ressort que les parties avaient prévu une stricte équivalence si bien que le juge devait en vérifier le respect ». Cependant, comme le reconnaît l’auteur lui-même, cette explication recèle l’inconvénient de conduire à une vision arithmétique de la cause.
226. Par ailleurs, en sanctionnant le manquement à l’obligation essentielle par la nullité partielle sur le fondement des articles 1134 et 1131 du Code civil, la Cour de cassation s’est attirée les foudres de la doctrine qui estime que le mariage de ces deux articles, c’est à dire de l’inexistence de la cause et de la force obligatoire du contrat, a quelque chose de contre nature . Les questions posées par les auteurs sont les suivantes : comment expliquer qu’une clause ait pu être valable jusqu’à l’exécution défectueuse du contrat ? Comment la sanction traditionnelle du vice de formation du contrat peut-elle tendre à stigmatiser un comportement défectueux ?
227. Ainsi, l’invocation de la nullité partielle fondée sur la cause, en cas de manquement à une obligation essentielle, serait le produit d’une confusion : elle résulterait d’un amalgame entre les conséquences de la stipulation d’une clause contraire à l’essence du contrat (qui porte atteinte à la cause du contrat), et le manquement à l’obligation essentielle, qui n’a guère de raison de retentir sur la formation du contrat. Ce curieux détour a amené la doctrine à formuler une très nette désapprobation de la sanction du réputé non écrit, non plus cette fois-ci sur le fond, mais sur la forme.
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