« Nous nous sommes penchés sur un problème : l’absence d’influence du régime
sur l’amélioration de la qualité »49 déclarait Georges MERCADAL, ancien viceprésident
du Conseil Général des Ponts et Chaussées, et président du groupe de travail
auteur d’un rapport remis en 2006 aux pouvoirs publics sur l’assurance construction, la
prévention, la qualité et les mesures proposées pour en améliorer le fonctionnement.
Faisant un bilan du régime instaurée par la loi SPINETTA du 4 janvier 1978, le
« rapport MERCADAL » conclue à une absence d’influence du système sur
l’amélioration de la qualité des constructions.
En effet, le dispositif d’assurance décennale, avec indemnisation rapide au premier
euro, empêche pratiquement les maîtres d’ouvrage de subir les conséquences financières
de leur choix sur la qualité d’un ouvrage. Au contraire, le dispositif fonctionne souvent
à l’envers et apparaît comme une raison supplémentaire de ne pas trop redouter les
conséquences de la non-qualité qui se trouve gommée par l’assurance. Le choix des
intervenants à l’acte de construire ou des modalités de construction est d’autant moins
réfléchi que les garanties légales, aux contours trop étendus, se caractérisent pour les
assureurs par l’obligation d’assurer n’importe qui sur des travaux, des ouvrages et des
désordres dont la frontière apparaît relativement floue et indéfiniment extensible. Ceci
est bien évidemment un facteur de hausse des coûts pour l’assureur et un facteur
permissif pour les constructeurs les moins qualifiés.
Plusieurs arguments peuvent être avancés pour expliquer la qualité médiocre des
constructions françaises.
Tout d’abord, le contrôle technique, prévu dans le régime SPINETTA, a une
influence insuffisante sur la qualité des ouvrages50. La nouvelle législation était
construite sur plusieurs grands principes fondamentaux dont la légitimation du contrôle
technique comme instrument principal de la prévention des sinistres. Force est de
constater que cet objectif n’est que très partiellement atteint. En effet, le peu d’intérêt de
la plupart des maîtres d’ouvrage pour ce contrôle a entraîné une politique du moins
disant préjudiciable à sa qualité et à son effectivité, avec un effet négatif sur la
survenance des désordres dans la construction.
Par ailleurs, le rapport sur l’assurance construction, établi conjointement par
l’Inspection générale des finances et le Conseil général des ponts et chaussées, sous la
présidence de Philippe DUMAS, Inspecteur général des finances, et rendu public en
Octobre 2006, avance quant à lui d’autres explications. Les mécanismes de l’assurance
construction présentent, selon ce rapport, des effets déresponsabilisants contradictoires
avec l’objectif de qualité des constructions et de réduction de la sinistralité.
D’une part, la double obligation d’assurance de responsabilité civile décennale et
de dommages ouvrage imposée par le régime SPINETTA, freine la sélection des risques
par les assureurs et n’encourage pas la maîtrise de la sinistralité par les constructeurs. La
possibilité pour les constructeurs d’exercer un recours devant le Bureau Central de
Tarification (BCT)51 peut les inciter à prendre plus de risques que s’ils étaient soumis à
la menace de voir leur contrat résilié. Dans les autres pays examinés par le « rapport
DUMAS », en l’absence d’institution équivalente au BCT, le risque de perdre la
couverture d’assurance en cas de sinistralité élevée constitue souvent une puissante
incitation à la qualité. Les constructeurs sont alors plus enclins à considérer la police
pour sa vraie finalité d’assurance et non comme une simple garantie financière aux
effets quasi systématiques.
D’autres part, certains mécanismes d’assurance visant à réduire les coûts de
gestion peuvent avoir un effet déresponsabilisant. Destinée à simplifier la gestion du
risque, la Convention de Règlement de l’Assurance Construction (CRAC)52 a certes,
dans un premier temps, contribué à la baisse puis à la stabilisation du coût de gestion
des sinistres. Mais elle pousse néanmoins à certains effets déresponsabilisants pour les
constructeurs.
Le mécanisme du « ticket modérateur »53 empêche ainsi l’assureur dommages ouvrage
de recouvrer l’ensemble des frais de prestation qu’il a exposés et lui fait supporter
notamment la totalité du coût des sinistres inférieurs à 1 500 euros. Ces sinistres ne sont
donc pas enregistrés dans la sinistralité des constructeurs qui sont à l’origine des
dommages. Le coût financier qu’ils supportent, soit directement en remboursant le prix
des dommages, soit via leur prime d’assurance, est donc allégé d’autant. Libérés
financièrement, les constructeurs prennent donc plus de liberté quant au contrôle de la
qualité de leurs ouvrages.
Par ailleurs, le barème de préfinancement54 prévu par la CRAC a dérivé, par simplicité,
vers un barème de responsabilité de fait qui, bien souvent, exonère partiellement les
responsables réels des sinistres en diluant la charge de remboursement entre les
différents assureurs de responsabilité civile décennale.
Autant d’éléments qui font que la qualité des constructions françaises laisse
souvent à désirer ! Aujourd’hui, l’assurance construction semble considérée par certains
comme une « voiture balai »55 qui déresponsabilise les intervenants du secteur. Pour
Christian BAFFY, président de la Fédération Française du Bâtiment, et Marc PIGEON,
président de la Fédération des Promoteurs Constructeurs, « la qualité au service du
client, de l’acquéreur d’un logement ou d’un bâtiment, s’obtient par une coopération
permanente entre les promoteurs et les entreprises, une bonne préparation des
chantiers, la qualification et la compétence des intervenants, une réception complète et
soigneuse, et un service après-vente efficace jusqu’au parfait achèvement »56. Gageons
que de telles promesses soient suivies de mesures concrètes…
Indépendamment du défaut récurent de qualité des constructions, l’insuffisante
capacité financière du marché est également préjudiciable à l’assurabilité du risque
innovant en assurance construction.
49 Le Moniteur, 3 février 2006.
50 MARIE-JEANNE Philippe, Professions à risques ou professions risquées, comment assurer tous les
acteurs de la construction ?, Risques, n°68.
51 Le BCT est une Autorité Administrative Indépendante qui a pour rôle exclusif de décider à quelles
conditions un assureur choisi par l’assuré, mais qui lui a opposé un refus, peut être contraint à le garantir.
52 La CRAC, conclue entre les assureurs construction, à effet du 1er janvier 1983, prévoit, en cas de
sinistre inférieur à 112 400 euros, une procédure d’indemnisation comportant une expertise unique et
assortie de barèmes de responsabilités des constructeurs, l’assureur dommages ouvrage conservant à sa
charge l’équivalent du montant du ticket modérateur.
53 Supprimé pendant la première année après la réception de l’ouvrage, depuis l’actualisation de la CRAC
applicable pour les sinistres déclarés à compter du 1er janvier 2008.
54 Il permet une répartition provisoire de la charge de remboursement par l’application de quotients de
responsabilité forfaitaires, à partir d’une grille d’analyse du sinistre faisant intervenir la typologie du
désordre et la nature du ou des acteurs concernés (entreprise, maître d’oeuvre, bureau d’études techniques,
contrôleur technique).
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