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A Des inconvénients de voisinage excessifs

L’appréciation du caractère excessif du trouble de voisinage relève de l’exercice souverain des juges du fond. D’ailleurs l’incertitude est présente quant à l’évaluation de l’anormalité du trouble. Deux critères de l’appréciation des juges se dégagent: la fréquence (1) et l’intensité du trouble (2).

1. La fréquence du trouble

On enseigne traditionnellement que le trouble de voisinage présente certaines caractéristiques et notamment que le trouble ait un caractère continu. D’ailleurs l’effet dommageable du trouble tient largement à cette continuité : tel trouble qui ne provoquerait aucun préjudice appréciable s’il ne durait que quelques minutes, devient un trouble de voisinage en raison de son caractère permanent ou du moins de sa prolongation .

Ainsi, le trouble de voisinage suppose à sa source une situation présentant une certaine permanence ou durabilité , ce qui d’ailleurs n’exclut pas que des travaux de chantier en soient une cause s’ils se prolongent sur une certaine période. Ce sont d’ailleurs bien souvent cette durabilité et cette répétitivité qui le rende intolérable. En tous cas, le trouble du voisinage parait ainsi s’opposer au dommage purement accidentel se produisant de façon instantanée. Si les troubles ne sont pas de tous les instants mais qu’ils se produisent à intervalles réguliers, ils sont alors pris en considération . Par exemple, parfois le chant d’un coq suffit pour causer un trouble anormal de voisinage, surtout en milieu urbain .

On peut également illustrer la caractéristique de la continuité du trouble en citant l’affaire qui traitait de la suite des répercussions des violentes tempêtes de 1999. En effet, en l’espèce un trouble de voisinage avait été causé de part la tempête mais cela représentait un cas de force majeur et donc le causeur de trouble n’en devait pas réparation au titre de la théorie des troubles de voisinage. En revanche, en raison de la durée de ces troubles (car le voisin a laissé les débris dus à la tempête plusieurs mois sur le terrain voisin), il n’y avait plus de force majeur et le trouble de voisinage a été relevé .

Cependant, la jurisprudence ne pouvait en rester là. Par un arrêt du 13 avril 2005 , la Cour de Cassation a retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage résultant d’un évènement à caractère accidentel. Il s’agissait, en l’occurrence, de la coupure d’un câble d’alimentation en électricité entraînant des dommages sur l’appareillage électrique du voisin. La Haute juridiction retient, au débit du constructeur, un évènement soudain au lieu d’exiger une nuisance continue et excessive. Les hypothèses de recours contre les constructeurs s’en trouvent donc multipliées dans la mesure où s’applique alors une responsabilité de plein droit, sans qu’il soit besoin d’apporter quelque autre preuve. Cette solution ne fait pas jurisprudence et est susceptible d’un revirement. Cela souligne donc le caractère fluctuant de la continuité d’un trouble de voisinage.

2. L’intensité du trouble

La seconde originalité du trouble tient au fait qu’il n’est supportable qu’au-delà d’une certaine limite. L’agressivité du bruit, d’une lumière ou d’une odeur nauséabonde, le caractère total ou partiel de la perte de vue ou d’ensoleillement, mais aussi la durée de la nuisance, sa répétition (…) sont autant d’éléments à prendre en compte pour décider de la tolérance du trouble.

Cependant, depuis quelque temps, on constate que la gravité du trouble prend le pas sur la durée d’exposition au trouble. D’ailleurs, le caractère plus ou moins supportable du trouble s’apprécie souvent en fonction de sa répétition : c’est un rapport intensité – fréquence. La notion d’intensité parait devoir prendre le pas sur celle de durée d’exposition des voisins du trouble comme le montre l’arrêt du 13 avril 2005 .

B Les circonstances de temps et de lieu : l’environnement social du trouble

Chaque fois qu’elle en a l’occasion, la Cour de cassation rappelle que l’anormalité du trouble doit s’apprécier « en fonction des circonstances de temps et de lieu » . La notion de normalité est relative au contexte spatio-temporel du trouble constituant l’environnement social dont le voisinage fait partie intégrante. Le seuil de tolérance varie donc selon l’endroit et le moment où se manifeste le trouble. A coté de la dimension et des qualités intrinsèques du trouble, l’anormalité dépend de conditions extérieures. Elle apparaît à partir du moment où le bruit crée une disparité, une rupture dans l’environnement ordinaire. Deux critères, retenus par la jurisprudence, mettent en évidence ce déséquilibre anormal : le « temps » et le « lieu ».

Concernant le facteur temps, il désigne d’abord le moment ou l’heure à laquelle se produit le trouble, indication qui pourra influencer fortement la décision du juge. C’est ainsi que les bruits occasionnés par les départs matinaux des camions d’un grossiste en fruits et légumes n’excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage les jours ouvrables mais ils constituent un trouble anormal de voisinage les dimanches et jours fériés, où la circulation est très restreinte . La jurisprudence tente ainsi de préserver certaines plages de tranquillité en sanctionnant les troubles nocturnes, matinaux ou tardifs. Cependant, ces créneaux d’ambiance ont connu une grande évolution au fil du temps. En effet, le facteur temps, élément d’appréciation de l’anormalité du trouble, renvoie à l’époque dans laquelle nous vivons et nous produisons le trouble. Par exemple, les bruits de la vie quotidienne actuelle ne sont pas du tout les mêmes que ceux d’une époque passée. On peut prendre comme exemple plus que révélateur l’évolution de l’utilisation des automobiles ou le secteur de l’habitat qui s’est transformé au fil du temps.

Egalement, le seuil dépend de l’endroit et de la destination des lieux dans lesquels se produisent le trouble. Le voisin ne peut prétendre à la même qualité de vie selon la nature du quartier dans lequel il habite. Incontestablement, certains inconvénients admis dans une zone industrielle ne le seront pas dans un quartier résidentiel dont la nature est d’offrir des conditions d’habitation de haute qualité, ce qui inclut une garantie de tranquillité . Pour les bruits d’animaux, il y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit d’animaux à la campagne ou en ville, comme l’a rappelé l’arrêt de la Cour d’appel de Riom le 7 Septembre 1995 à propos d’une poule . Tout dépend donc du contexte géographique et humain qui caractérise le voisinage concerné. Les juges disposent à ce sujet d’une marge de manoeuvre extrêmement large quant à l’utilisation qu’ils font de ces éléments d’appréciation de la normalité ou de l’anormalité du trouble.

C La réceptivité de la victime

Si la gêne est évaluée en fonction d’éléments extérieurs qui constituent l’environnement de la victime, elle est avant tout un sentiment ressenti par une personne dont il faut tenir compte. Les juges vont donc s’attacher à la réceptivité de la victime du trouble, à sa situation personnelle, qui constitue ainsi le troisième critère jurisprudentiel du seuil de la normalité. La jurisprudence manifeste, dans son ensemble, une réticence certaine à retenir les considérations propres à la personne de chaque victime et opte pour une appréciation in abstracto de la gêne induite par le trouble de voisinage.

Le jugement du Tribunal de Grande Instance de Riom, rendu le 17 mars 1965, ne laisse subsister aucun doute à ce sujet. Il affirme que « le trouble de jouissance doit être examiné en tenant compte des répercussions possibles qu’il peut avoir sur une personne normale et bien portante et non sur une personne malade et hypersensible . C’est par conséquent le standard d’un individu « normal » qui est pris comme référence par la jurisprudence, ce qui équivaut, en matière de troubles de voisinage à une personne moyennement sensible. L’âge, l’état de santé ou de sensibilité peuvent influencer sur l’appréciation générale mais elles demeurent accessoires en ce qu’elles sont beaucoup trop subjectives . En revanche, dans certains cas la Cour de Cassation subordonne la prise en compte de la santé des victimes à la nature particulière de certains lieux qui implique repos et tranquillité .

Toutefois, la jurisprudence est loin d’être constante, et des arrêts ont accepté de
prendre en considération l’état de santé ou la réceptivité particulière de la victime pour admettre le caractère excessif du trouble dont elle se plaint. De plus, la jurisprudence retient toujours les particularités professionnelles de nature à rendre intolérable l’inconvénient de voisinage. C’est ainsi qu’une blanchisserie est admise à se plaindre de la suie provenant de l’usine voisine, qu’un avocat peut être gêné par la présence d’un cinéma, que le fabricant d’appareils de haute précision peut être incommodé par les vibrations . Cette attitude trouve une explication dans le fait qu’il s’agit là de circonstances externes à l’individu et en tout cas susceptibles d’être appréhendées de l’extérieur, puisqu’elles concernent la profession.

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