1°) Le dirigeant de droit
Deux types de direction des sociétés coexistent en droit des sociétés en témoigne l’article L624-3 et 624-5 du code de commerce qui visent «les dirigeants de faits ou de droit, qu’ils soient rémunérés ou non ». Mais, alors que la loi prévoit clairement les deux hypothèses afin d’étendre au maximum son champ d’application elle ne précise pour autant qu’une seule des deux formes de gestion puisque seule la direction de droit est définie par la loi.
Concernant cette modalité de gestion le législateur est intervenu pour déterminer son véritable sens. Comme l’énonce la loi du 24 juillet 1966 sont des dirigeants de droit « toute les personnes auxquelles cette loi attribue des pouvoir de gestion et dont la nomination est soumise à publicité »
Deux types de dirigeants sont à distinguer dans cette catégorie, d’une part ceux qui exercent effectivement une fonction et d’autre part, ceux qui y ont exercé des responsabilités. Cette deuxième catégorie repose évidemment sur l’hypothèse selon laquelle la création du passif actuel de la société serait imputable à leur mauvaise gestion.
a) Les dirigeants en fonction
Le lien de causalité permettant la mise en cause de la responsabilité des dirigeants de droit découle de la nature même de leur fonction. En effet, il est mis à leur charge une obligation de moyen par laquelle ils doivent réaliser l’objet social en y apportant toute leur diligence. Dès lors la responsabilité de ces derniers pourra être engagée si on constate une insuffisance d’actif pouvant leur être imputable.
En ce qui concerne la personne du dirigeant la loi puis la jurisprudence sont venues énoncer puis appliquer la possible responsabilité d’une personne morale en tant que dirigeant de droit en fonction.
En effet, l’article L624-2 c.com précise que « lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation est ouverte à l’égard d’une personne morale de droit privé, les dispositions suivantes du présent titre lui sont applicables à ses dirigeants personnes physiques ou morales ainsi qu’aux personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales ».
Par cette disposition la loi étend le champ d’application de la responsabilité des dirigeants qui ne peuvent plus s’abriter derrière l’écran théoriquement constitué d’ une personne morale. En effet, le dirigeant personne physique de la société dirigeant de droit de la société en difficulté pourra également être tenu responsable par ricochet en raison de sa mauvaise gestion.
Dans son application de la responsabilité des dirigeants de droit, la jurisprudence ne s’est prononcée qu’en 1981 pour affirmer que le dirigeant de droit est considéré comme tel dès qu’il tient ses pouvoirs des statuts et qu’il peut être considéré comme un organe social. En conséquence de quoi c’est à lui de prouver qu’il a apporté à l’activité les diligences nécessaires à son activité.
b)Les dirigeants n’exerçant plus leurs fonctions.
A l’heure de la recherche systématique de l’indemnisation il est apparu fondamental de limiter au maximum les causes d’exonération des dirigeants de droit n’exerçant plus leurs fonctions au sein de l’entreprise. Deux situations coexistent où, alors que le dirigeant n’exerce plus ses fonctions dans l’entreprise, sa responsabilité peut néanmoins être engagée.
Le premier cas est l’hypothèse du dirigeant arrivé en fin de mandat qui quitte ses fonctions naturellement. Le second est celle du dirigeant qui met fin volontairement à ses fonctions par la remise de sa démission.
Alors que les causes de ses deux issues divergent, il est à noter que paradoxalement, la recherche de la responsabilité de ces derniers sera également recherchée que le dirigeant ait quitté l’entreprise de lui-même ou par simple effet de la fin de son mandat. Seule compte la santé comptable de la société c’est à dire l’existence ou non d’une insuffisance d’actif pour engager ou non la responsabilité des dirigeants de droit qu’ils y exercent encore une activité ou pas.
Cette solution résulte d’une interprétation jurisprudentielle établie depuis l’arrêt du 19 mars 1925 dans lequel un dirigeant social avait été considéré responsable de l’insuffisance d’actif de la société alors que celui-ci n’était plus en fonction à l’ouverture de la procédure collective. Dans cet arrêt, la cour considère que la responsabilité du dirigeant retiré peut être engagée bien que celui-ci n’exerce plus de fonctions de direction à la date de la cessation des payements retenus. Et ce au motif que la situation financière de l’entreprise était due à des agissements du dirigeant antérieur à cette date.
Par cet arrêt il est donc établi que la cessation volontaire de ses fonctions de dirigeant est sans incidence sur la recherche et la mise en cause de sa responsabilité.
2°) L’émergence de la notion de dirigeant de fait
Alors que le droit des affaires vise tant les dirigeants de droit ou de fait aucune disposition légale ne les définit réellement, c’est pourquoi la doctrine puis la jurisprudence ont tour à tour comblé cette carence.
a) La direction de fait élaborée par la doctrine.
Selon M.Rives-Lange, « est dirigeant de fait celui qui, en toute souveraineté et indépendance exerce une activité positive de gestion et de direction » Ainsi, il convient d’étudier deux critères cumulatifs, d’une part l’indépendance de la gestion (1), et d’autre part, l’activité positive du dirigeant de fait (2).
– L’indépendance du dirigeant de fait :La direction de fait suppose une absence totale de subordination juridique ce qui lui confère, aux yeux des tiers, l’apparence d’un dirigeant de droit. En effet, prévue pour protéger les tiers induits en erreur par le comportement d’une personne se présentant comme ayant tous les attributs du dirigeant, cette condition d’indépendance revêt une importance particulière. Ainsi comme l’ont précisé certains auteurs, dont MM Cozian et Viandier, l’objectif de cette notion est « de faire tomber le masque de celui qui singeait les organes légaux de la société » Or ,si l’indépendance apparaît comme la qualité la plus ostensible du dirigeant de droit celui qui se prévaut de cette qualité laisse entendre aux tiers qu’il est le dirigeant.
– Les actions du dirigeant de fait : Ici, encore, c’est au travers du regard des tiers que l’on apprécie la situation d’un dirigeant de fait. C’est pourquoi la doctrine exige un comportement positif de la part de celui qui se prétend dirigeant.
b) la direction de fait consacrée par la jurisprudence.
Par un arrêt de la cour de cassation en date du 22 mai 1977 la cour affirme l’unité de cette notion en droit pénal et civil puisqu’elle la consacre tant au regard d’une action en comblement de passif qu’à celui du délit de banqueroute.
Confirmée régulièrement par la cour, la notion de dirigeant de fait l’a encore été récemment dans un arrêt du 20 janvier 1988 où la cour approuve la décision des juges d’appel qui avaient retenu la qualification de dirigeant de fait à l’encontre du fils du dirigeant en titre; au motif que celui-ci avait accompli des actes positifs de gestion sans mandat de son père. A ce titre il a été considéré comme dirigeant de fait et condamné au comblement de passif en vertu de l’article L 624-3 c.com.
La cour de cassation n’en opère, pas moins, un contrôle rigoureux de la notion. Par un arrêt en date du 26 mars 1999, la cour a consacré le pouvoir souverain des juges du fond car selon cet arrêt « ce pouvoir s’exerce par une décision dont les motifs propres à caractériser, en fait, la direction de la société, est soumis au contrôle de la cour de cassation »
Ainsi, d’après cet arrêt la cour semble reprendre les critères élaborés par la doctrine afin d’apprécier la validité des décisions des juges du fond si elle l’estime non fondée en droit.
Ainsi la cour de cassation a partiellement cassé un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence qui avait retenu à tort la qualification de dirigeant de fait pour défaut de preuve d’une activité positive, en n’établissant qu’un document au sein duquel était indiqué que toutes les décisions commerciales devaient être approuvées part une autre personne que le dirigeant de droit.